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14 décembre 2018 5 14 /12 /décembre /2018 09:01
Antoinette Lespérance, mère du président François-Denys Légitime, et le buste imaginaire déjà bien avancé de la présumée Modeste Testas, mère présumée d'Antoinette Lespérance.Antoinette Lespérance, mère du président François-Denys Légitime, et le buste imaginaire déjà bien avancé de la présumée Modeste Testas, mère présumée d'Antoinette Lespérance.

Antoinette Lespérance, mère du président François-Denys Légitime, et le buste imaginaire déjà bien avancé de la présumée Modeste Testas, mère présumée d'Antoinette Lespérance.

Pr. Jacques de Cauna                                                                               Bordeaux, le 26 novembre 2018
Docteur d’État (Sorbonne), Chaire d'Haïti à Bordeaux
Commandeur de l'Ordre national Honneur et Mérite de la République d'Haïti
 
Monsieur le Maire,
Il me paraît de mon devoir, de l'intérêt de ma ville natale et du vôtre, d'attirer votre attention sur l'évolution d'un point d'histoire ancien dont je viens de prendre à nouveau connaissance dans la presse quotidienne (Sud-Ouest du 19 novembre) après ma lettre d'il y a deux ans. Je précise qu'il s'agit d'un sujet que je connaissais depuis de longues années, en Haïti, et dont j'ai eu l'occasion de m'occuper ici même à Bordeaux en accueillant en direction de recherches en archives il y a dix ans la porteuse d'une recherche familiale haïtienne dont il s'inspire, Mme Lorraine Manuel-Steed.
Sous le titre « Et l'esclave Modeste Testas sortit de l'oubli », il est écrit que « sa statue représentera bientôt l'esclavage à Bordeaux. Alain Juppé l'a décidé en Mai dernier, d'après les propositions d'une commission chargée d'activer la mémoire de l'esclavage dans la ville ».
 
Il est bon que vous sachiez que le buste présenté en illustration ne représente aucunement Modeste Testas, « ménagère » affranchie du colon bordelais couchée sur son testament, mais sa fille, mère du président haïtien François-Denys Légitime, dont le tableau retrouvé à l'occasion du Bicentenaire de la Révolution avait été exposé avec d'autres en 1989 à l'Institut français d'Haïti à l'instigation du Comité Haïtien pour le Bicentenaire dont j'étais alors Secrétaire général fondateur, ayant accueilli à ce titre le délégué interministériel, le regretté Michel Baroin. Ceci est de notoriété publique en Haïti. On peut légitimement s'interroger sur la représentation évoquée de cette grande dame libre « les fers aux pieds », les connotations véhiculées, leur effet et retentissement éventuels.
 
La rigueur historique la plus élémentaire aurait consisté à ce que les promoteurs de cette initiative au sein de la commission municipale que vous avez initiée, avant de même s'interroger sur ces points délicats, aient mis en œuvre les nécessaires précautions scientifiques dont ils convient habituellement de s'entourer avant toutes choses en ce domaine sensible :
- quelles preuves tangibles peuvent-ils fournir de l'origine « éthiopienne » et du nom « africain » yéménite Al-Bouhessi de Modeste Testas ? De son parcours intra-africain jusqu'au port de traite ?
- et de son « passage » préalable à Bordeaux – sur quel navire – à la fin du XVIIIe siècle en provenance d'Afrique en dépit de toute évidence connue de la marche du commerce triangulaire ?
- quant à l'emplacement « tout trouvé » en face du buste de Toussaint Louverture, ce « clin d'œil de l'histoire », aura tout simplement pour résultat de réunir deux fausses représentations statuaires dont la portée symbolique heurte la nécessaire connaissance historique des choses.
 
L'encadré suivant l'article évoque en outre, entre autres, dans les « dix propositions toutes adoptées par Alain Juppé », nous dit-on, les « explications » qui seront apposées sur le buste et « sur les plaques de rues portant des noms de négriers ».
Sera-ce en l'espèce pour ce nouveau buste quelque chose comme « fille d'une esclave affranchie par un Bordelais et devenue mère d'un président », ou pour la plaque de la rue Saige « fils d'un négrier, mais maire de Bordeaux, Girondin philanthrope et défenseur des hommes de couleur, guillotiné par les Terroristes » ?
 
Vous connaissez l'intérêt que je porte à vos interventions dans notre ville sur ce sujet. Là, outre la désinformation historique, on peut craindre le pire en matière de réception par les Bordelais et par tous ceux qui chercheront à mieux connaître notre ville. Alors que d'authentiques personnages historiques témoins de nos liens privilégiés avec la première république noire du monde attendent toujours leur reconnaissance sur une plaque de rue bordelaise, tels Mallet, Ogé, Etienne de Polvérel, Julien Raimond, Laffon de Ladebat ou Alexandre Pétion. Mais peut-être la dernière page de mon rapport de 2009 contenant ces noms, que vous avez reçu il y a deux ans, vous aura-t-elle échappé…
Je vous prie d'agréer, Monsieur le Maire, l'expression de mes meilleurs sentiments.

                                                                                            Cauna

                                                                                                                                        Jacques de Cauna

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