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18 mai 2019 6 18 /05 /mai /2019 17:05
Le château de Caumale à Escalans, haut-lieu d'histoire gasconne et créole

Le château de Caumale à Escalans, haut-lieu d'histoire gasconne et créole

Château gascon, château de dames

Longtemps, le château de Caumale, archétype du château médiéval gascon, aux confins du Gabardan et de l'Armagnac, a dressé la puissante mais fantomatique silhouette de ses hautes tours aux toitures dévastées par les intempéries à la sortie de la ville de Gabarret sur la route de Castelnau d'Auzan, comme un ultime témoignage de sa splendeur passée avant une disparition qui paraissait annoncée et inéluctable. Car les châteaux meurent aussi comme nous l'a montré il y a peu le château voisin de Bertheuil à Campagne. Mais l'histoire, intangible, veille, et l'antique demeure est aujourd'hui sauvée après avoir bien changé au cours des siècles. C'est une nouvelle fois une bonne fée qui est venue réveiller ce beau château qui avait pris l'habitude, comme Chenonceau, d'être transmis par les dames…

Aussi loin que puisse remonter la mémoire historique des pierres, c'est en effet à Aliénor d'Aquitaine qu'il faut se référer pour retrouver la propriétaire de la forteresse bâtie autour du gros mur de refend, âme de la maison, aujourd'hui caché dans la restructuration intérieure d'un couloir du rez-de-chaussée. Mais à quoi pouvait rimer cette présence massive d'une forteresse en plein champ sans même la traditionnelle motte féodale justifiant une position militaire défensive ? Il faut prendre le temps de contourner le château par le Nord pour découvrir, de l'ancienne route, qu'il occupe en réalité la dernière marche de la plaque du piémont pyrénéen avant la grande forêt, face aux Barbares du Nord. Et, plus tard et vers l'Est, qu'il est la première défense face aux grands ennemis voisins : la maison des comtes d'Armagnac, alliés aux souverains français contre le pouvoir anglo-gascon. C'est ce qui explique la présence de meurtrières dans les communs appuyés sur les murs d'enceinte qui forment une cour intérieure carrée, et des deux petites tours d'angles massives du XIIe siècle subsistantes. C'était aussi le château-refuge de la ville toute proche de Gabarret vers laquelle s'ouvre un mystérieux souterrain.

Les célèbres Rôles Gascons, témoins des actes des successeurs de notre duchesse devenue reine d'Angleterre, nous apprennent que les rois-ducs, depuis au moins Richard Cœur-de-Lion et son compagnon d'armes et ami, Arnaud-Guilhem de Marsan, le troubadour d'Aliénor, avaient confié la garde de la ville et château de Gabarret à ces Marsan, co-seigneurs de Roquefort avec les vicomtes leurs cousins fondus au fil du temps dans les maisons de Bigorre, de Gabardan et de Béarn par les alliances de Guiscarde de Béarn, Béatrix et Pétronille de Bigorre, Mathe de Mastas, puis sa fille Marguerite de Béarn qui porta ces biens par mariage au comte de Foix, Roger-Bernard, bisaïeul de Gaston Fébus. Ce qui valut à Caumale d'être épargné par le Prince Noir lors de sa Grande Chevauchée.

On a surtout retenu parmi eux la grande dame que fut Clarmonde de Marsan, issue du troubadour et mère du célèbre Pées de Gabaston qu'Edouard II appelait son frère (certains historiens anglais évoquent une paternité royale, d'une liaison avec Clarmonde lors d'un séjour d'Edouard Ier). Son mari, Arnaud de Gabaston, tenait toute la terre de Gabardan que son autre fils Arnaud-Guilhem de Marsan remit à Gaston de Béarn. Ces biens parvinrent ainsi à Jeanne d'Albret, mère du futur Henri IV, qui racheta les fiefs restants d'Escalans à Françoise de Marsan, dame du château voisin de Lacaze à Parleboscq.

Château noble, château créole

C'est donc à Louis XIII que le premier membre connu de la famille de gentilshommes verriers des Grenier de Caumale, Fortis, rendit hommage en 1618. On lui doit sans doute l'apparence actuelle du château noble avec ses pierres de taille marquées de rosaces de compagnons. Quatre générations plus tard, une autre demoiselle, sa dernière héritière, Jeanne de Grenier de Caumale le transmit à sa fille, Marie-Paule de Boyrie de Caumale, et elle-même à sa fille, Jeanne-Marie-Françoise de Tartanac de Gensac, laquelle, devenue Madame Bernard de Laborde de Mirambel par mariage à Escalans en 1788 avec un avocat bordelais, vendit en 1830 avec sa sœur à un ancien colon gascon de Saint-Domingue, Joseph-Bernard, alias José, Delisle, créole de Labastide d'Armagnac.

Celui-ci, ruiné par la révolution des esclaves après un riche mariage créole avec une Duverger, avait refait sa fortune dans le café à Cuba, dans l'Oriente, sur les hauteurs de la Sierra Maestra, et, comme tout colon « américain » rêvait de rentrer au pays richissime et en position de s'y installer comme châtelain et d'y marier ses filles dans la noblesse. Ce qui ne manqua pas d'arriver avec Catarina-Ygnacia de La Merced Delisle, née à Santiago de Cuba, dite Nathalie en famille, unie au marquis de Cumont dont les héritiers vendirent plus tard à Marie Maysonnave, aïeule des actuels propriétaires.

Une importante restauration du château avait eu lieu à l'époque des Boyrie comme en attestent leurs armes de sinople au chevron d'argent accompagné de 3 chabots de sable et 2 merlettes en chef gravées sur la porte d'entrée sud aujourd'hui condamnée. Le château dut alors y gagner en apparence et confort. C'est de cette époque pré-révolutionnaire que datent sans doute les fenêtres en trompe-l'œil destinées à donner une apparence de symétrie classique de meilleur aloi aux façades. Une autre restauration intervint avec les nouveaux occupants créoles qui marquèrent l'intérieur de fresques exotiques très colorées sur des fonds de mur ocres, orangés ou rougeâtres. On peut imaginer aussi qu'ils attachèrent quelque importance aux jardins extérieurs et au potager grillé où pouvaient être cultivés quelques produits des îles pour leur alimentation ou leur agrément. Lors de leurs divers séjours à Caumale, les Delisle rapportaient de leurs voyages cabosses et fèves de cacao, grains de café verts ou en coques, sucre de canne brut ou terré, piments et autres épices. Ils ont apporté ainsi une note que l’on imagine particulièrement exotique à la région pour l’époque, et laissé une empreinte bien singulière à Caumale, toujours visible…

Cette créolisation des lieux permet d'évoquer lors des visites costumées du château le florissant commerce des denrées coloniales : café, cacao, coton, sucre, indigo... expédiées des îles vers les grands ports aquitains de Bordeaux, La Rochelle et Bayonne. Mais aussi l'esclavage des Noirs aux Amériques dont certains, jouissant d'un statut privilégié de domestiques de confiance, pouvaient accompagner leurs maîtres en France à l'occasion de voyages. On voyait aussi sur les listes de débarquement de nombreux petits « mulâtres », enfants de colons et de leurs ménagères de couleur, mais très rarement des enfants noirs esclaves, négrillons et négrittes, qui, sur les plantations, vivaient en bande sous la conduite d'une vieille domestique jusqu'à l'âge de douze ans avant de rejoindre les ateliers pour les rudes travaux des champs.

C'est toute cette histoire hors du commun, marquée par la présence de grands noms tels que Rochambeau, Casamajor, Préval, Vaublanc, Humbolt, Vilmorin…, que les actuels propriétaires, Geneviève et Pierre Fabre, ancien diplomate, et leurs proches font revivre aujourd'hui dans l'antique demeure léguée par un vieil oncle qui avait conservé dans une grande maison de Gabarret le mobilier du château mis en fermage. Ce qui a permis, avec les pièces d'archives, plans, inventaires et correspondances conservés, de reconstituer un intérieur qui a retrouvé et sans doute même surpassé sa splendeur créole d'antan. D'innombrables trésors d'objets d'art, tableaux, porcelaines, chocolatières..., y attendent le visiteur. Classé à l'ISMH, Caumale est devenu aujourd'hui le siège de la Fédération des Académies de Gascogne et de la Demeure Historique des Landes et offre un prestigieux éventail d'activités culturelles et artistiques gasconnes et créoles.

Dans le droit fil, figurent parmi les héritiers des petits-enfants créoles vivant aujourd'hui dans l'île antillaise de Saint-Martin.

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