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16 octobre 2019 3 16 /10 /octobre /2019 09:57
Pour ceux qui ont aimé Marie de Heredia (Ve Congrès de La Fédération des Académies de Gascogne, communication de Jacques de Cauna).

Pour ceux qui ont aimé Marie de Heredia (Ve Congrès de La Fédération des Académies de Gascogne, communication de Jacques de Cauna).

Marie de Régnier, Stances aux dames créoles

Lorsqu'il fait chaud et que je suis rêveuse et seule
                      Je pense à vous,
Vous, dont je ne sais rien, je rêve, ô mes aïeules,
                      A vos yeux doux.
 
Grand'mères mortes, et jadis des ingénues
                      Aux bras si frais,
Jeunes et tendres et que je n'ai pas connues
                     Même en portraits,
 
Qui vivaient autrefois toutes petites filles
                     Aux longs cheveux,
Dans une sucrerie, en un coin des Antilles
                     Voluptueux.
 
La chaleur trop ardente entr'ouvrait les batistes
                     Sur leur sein blanc,
Elles se balançaient, paresseuses et tristes,
                     En s'éventant.
 
Leurs yeux se reposaient de la lumière vive
                     Joyeux de voir
Le visage lippu d'une esclave furtive
                     Luisant et noir.
 
Les bons nègres rieurs dansaient des nuits entières
                     Leurs bamboulas
Ou bien chantaient des chants parmi les cafeyères
                     Câlins et las.
 
Protégeant votre teint, pâle sous la mantille,
                     Et délicat.
Vous savouriez dans les vergers la grenadille
                     Et l'avocat.
 
En rêve, sous les transparentes moustiquaires,
                     Vous revoyiez
Le vieil aïeul, voguant vers l'or des îles claires
                     Sur ses voiliers.
 
Les papillons étaient plus grands que votre bouche
                     Et que les fleurs
Qu'illuminait le vol du rapide oiseau-mouche
                     Tout en lueurs.
 
La nuit se parfumait d'astres et de corolles
                     Et, peu à peu,
Vous regardiez s'ouvrir au ciel, belles créoles,
                     Des fleurs de feu.
 
Ah! songiez-vous alors, nocturnes et vivantes
                     Qu'un temps viendrait,
Où rien de vos beautés aux grâces indolentes,
                     Ne resterait?

De tout ce qui fut vous nulle petite trace
                     N'a subsisté.
Pas même un pauvre toit sous lequel votre race
                     Ait habité.
 
Tout est mort, ruiné, dispersé; les allées
                     N'existent plus
Qui menaient aux maisons en marbre frais dallées
                     Pour les pieds nus.
 
Par la grande liane et les forêts sauvages
                     Tout est repris;
Et les flots tièdes qui mirèrent vos visages
                     Se sont taris.
 
Pas même un livre usé que j'aime et je manie
                     Ne fut à vous;
Et l'île où vous jouiez à Paul et Virginie
                     Sous les bambous,
 
Si je pouvais la voir, splendide et différente,
                     En aucun lieu
Je ne retrouverais votre mémoire errante
                     Dans l'air trop bleu.
 
Sous quel oubli profond, lointain et solitaire
                     Gît votre cœur?
Ce cœur qui m'a légué sa flamme héréditaire
                     Et sa langueur,
 
Ce cœur qui verse en moi quelques gouttes rougies
                     D'un sang vermeil
Et qui m'aurait transmis toutes vos nostalgies
                     Loin du soleil.
 
Si je n'évoquais pas les beautés éternelles
                     D'un ciel brûlant
Du fond magique et noir de tes larges prunelles
                     Ô mon enfant!

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  • : Site de la Chaire pluridisciplinaire d'Haïti à Bordeaux créée après le séisme du 12 janvier 2010 dans le cadre des activités du CIRESC (Centre international de recherche sur les esclavages du CNRS à l'EHESS). Histoire et culture d'Haïti et de Gascogne. Développement des liens entre la Caraïbe et la région Aquitaine Gascogne.
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