Daudinot, un Arthézien aux Amériques
par Hugues de Lestapis
Avec les Casamajor, Dufourcq et autres Ribeaux, Daudinot est un de ces Béarnais qui ont animé la colonie française déployée dans l’Oriente cubain au début du XIXe siècle, pour y exploiter du café.
André-Pierre Daudinot est issu d’une famille d’Arthez-de-Béarn, longtemps protestante et alliée aux Formalagues. On trouve sa généalogie dans Un coin de Béarn autrefois, d’Arnaud de Lestapis, qui descendait lointainement des Daudinot.
André-Pierre Daudinot est né le 2 mai 1782 à Bayonne, baptisé le 3 mai, fils d’André Daudinot et de Rose Périssé. Son père, André Daudinot, né et baptisé à Arthez-de-Béarn le 6 octobre 1724, est un homme déjà âgé. Il a été, et il demeure, un négociant entreprenant, établi à Madrid dès 1746 comme marchand de gros avant de fonder en 1763 une maison de banque avec un sieur Bouheben. André Daudinot reste en Espagne jusqu’en 1779, et revient en France avec femme et enfants, après avoir confié sa banque à son fils aîné. Il se fixe alors à Bayonne, et fonde une maison de commerce en 1780 avec Étienne Moracin, son futur gendre. La maison Daudinot et Moracin a eu une certaine envergure d’après les travaux de l’historien Michel Zylberberg1. André Daudinot meurt à Bayonne le 21 août 1792. Etienne Moracin poursuit l’affaire, mais fait faillite entre 1797 et 1798.
André-Pierre Daudinot n’a que 10 ans à la mort de son père. Vers 1802, il est signalé à Madrid, probablement en apprentissage dans la banque familiale. Il obtient sa naturalisation espagnole et s’en va vers les Amériques. À quelle date ? Mystère. On lit parfois qu’il se serait arrêté à Saint-Domingue avant de se fixer à Cuba. C’est possible. En 1809, en tout cas, c’est à Philadelphie qu’il rencontre Adrien-Pierre de Lestapis (1780-1852), d’une famille originaire de Mont, non loin d’Arthez. Deux Béarnais, cousins issus de germains qui plus est. Lestapis, futur receveur général des Basses-Pyrénées, a fini une mission au Mexique pour le compte des banques Hope d’Amsterdam et Baring de Londres, dont il est l’agent. Daudinot, en juillet de la même année 1809, est à Santiago de Cuba. Il y a là nombre de réfugiés français de Saint-Domingue, qui feront, comme l’a raconté Jacques de Cauna, la fortune caféière de l’île espagnole2. Daudinot pressent les choses. Il veut investir dans une exploitation, mais il manque de capitaux. Son cousin Lestapis, revenu entretemps en France et établi à Bordeaux, va lui en fournir. En 1812, les deux hommes sont associés dans la Soledad. Daudinot en contrôle la gestion sur place, tout en développant ses propres affaires, et il entraîne son cousin et ses deux frères dans des investissements toujours plus conséquents outre-Atlantique. La maison Lestapis frères, fondée à Bordeaux en 1818, a pu passer un temps comme la banque de la colonie française de Cuba. Elle prête de gros montants à l’émigré le plus célèbre de l’île, Prudent de Casamajor, originaire de Sauveterre, et elle financera les initiatives de Daudinot et bientôt les projets risqués d’Eugène de Ribeaux. Le Béarn réunit tous ces gens-là, auxquels il faut ajouter les Dufourcq. Tous cousins ou cousins de cousins.
Les affaires en propre de Daudinot sont difficiles à discerner. L’historienne Agnès Renault en parle un peu3. Daudinot a été l’un des rares Français (même s’il était naturalisé) à obtenir un poste dans l’administration espagnole de l’île, comme « capitan del partido de Santa Armonia ». Casamayor, personnage d’une tout autre importance, a eu le même honneur. Les deux hommes étaient amis, l’un a été l’exécuteur testamentaire de l’autre, et membres de la même loge maçonnique. Ils étaient en outre « beaux-frères », encore que le terme soit mal approprié, car ni l’un ni l’autre n’ont épousé formellement la mère de leurs enfants. Daudinot et Casamayor se sont attachés sentimentalement à deux des sœurs Brun, des quarteronnes issues d’une importante famille de réfugiés de Saint-Domingue.
En 1828, selon un courrier adressé par le consul de France à Philadelphie à l’aîné des Lestapis, Daudinot est à la tête d’une exploitation florissante qui vaut « près de 40 000 dollars ». Mais un an plus tard, Daudinot meurt brutalement à 47 ans. On ne sait ni quand, ni surtout les circonstances.
Les familles Daudinot et Lestapis vont rester proches, et même solidaires. La « veuve Brun » peut récupérer la totalité de la Soledad à des conditions avantageuses. Entre 1823 et 1830, le cadet des Lestapis, Pierre-Sévère, avait accueilli à Bordeaux les quatre fils Daudinot, Prudent, Adrien, Sévère et Hippolyte, nés entre 1812 et 1820. Il avait supervisé leur éducation, leur trouvant collège ou pension particulière. Les deux premiers à Sorèze. On le voit d’ailleurs en relation avec la direction de cet établissement réputé. Il suit attentivement les progrès des jeunes Daudinot, n’hésitant pas à les priver de vacances s’ils ne donnent pas le meilleur d’eux-mêmes.
À l’âge d’homme, Prudent, Adrien et Sévère Daudinot retournent à Cuba gérer des plantations. Familiales ou d’autres, dont une de la famille Casamayor. Au milieu des années 1850, Adrien Daudinot supervise ce qu’il reste des propriétés de café Lestapis autour de Santiago et de Guantanamo. Elles étaient au nombre de six vers 1850. Il en sera le dernier « gérant », quarante ans après son père André-Pierre Daudinot. Entre les deux Daudinot, Gustave puis Joseph Dufourcq, cousin des Casamayor, et Théodore Moracin, un des fils d’Étienne Moracin et de Bernardine Daudinot, sœur d’André-Pierre (les quatre fils Moracin sont eux aussi partis à Cuba !).
Le cas d’Hippolyte Daudinot est singulier. En 1860, il est encore à Santiago, où il a une petite exploitation. Il se fixe ensuite en France, probablement à Bordeaux. Il apparaît comme « dentiste rue du Champ de mars » en 1874, sur l’acte de mariage (le second) de son oncle Théodore Moracin, rentré au pays lui aussi. Hippolyte se suicide le 5 octobre 1894 à Bordeaux. Il était atteint, dit un article, d’une maladie incurable.
La sœur de ces garçons Daudinot, Luce ou Lucie, a épousé au Caney à Cuba en 1852 un… Dufourcq, petit-fils de Justice de Casamajor, sœur de Prudent. Dont postérité.
Il serait étonnant qu’aucun des fils Daudinot restés à Cuba n’ait eu de descendance. Le nom y est encore porté de nos jours, mais rien n’a permis de le relier aux nôtres jusqu’à présent.
1 Comité pour l’histoire économique et financière de la France, Une si douce domination. Les milieux d’affaires français et l’Espagne, vers 1780-1808, 1993.
2 J. de Cauna, Des Pyrénées à la Sierra Maestra : aux origines du modèle caféier cubain, Casamajor et les Béarnais dans l’Oriente, dans actes du 124e congrès du CTHS, Université de Pau et des Pays de l’Adour, Pau, 2017, Des ressources et des hommes en montagne, Paris, Ed. CTHS, 2019 [en ligne].
3 A. Renault, D’une île rebelle à une île fidèle. Les Français de Santiago de Cuba (1791-1825), Mont Saint-Aignan, PURLH, 2012