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Le blog de Jacques de Cauna Chaire d'Haïti à Bordeaux

Grands hommes de couleur bordelais et aquitains oubliés (suite)

20 Septembre 2020, 17:27pm

Publié par jdecauna

Le serment des ancêtres

Le serment des ancêtres

Deux leaders charismatiques

Le colonel Hugues Montbrun

Le personnage connu sous cet unique nom dans l’histoire d’Haïti pour avoir été l’un des principaux chefs du parti des mulâtres dans leur lutte pour l’obtention de l’égalité avec les Blancs aux premiers temps de la Révolution de Saint-Domingue, est en réalité Hugues Brisset de Montbrun de Pomarède, dit Hugues Montbrun, brillant colonel mulâtre à Saint-Domingue où il était né sous l’Ancien Régime, puis commandant par intérim de la partie du Sud à l’époque de la Révolution, et enfin gouverneur du Château-Trompette et commandant d’armes de la ville de Bordeaux où il mourut, qualifié dans un document de 1818 de « Messire le chevalier Hugues de Montbrun de Pomarède, maréchal des camps et armées du Roi, chevalier des ordres royaux de Saint-Louis et de la Légion d’Honneur »1. Resté français après l’indépendance d’Haïti, il est connu des dictionnaires de ce pays comme général de brigade de Napoléon2. Mais son importance historique tient davantage à ses origines et au rôle qu'il joua dans la révolution de Saint-Domingue dans laquelle il fut l’un des premiers grands chefs mulâtres aux côtés de Pinchinat.

Né dans le sud de Saint-Domingue, à Aquin, le 12 juin 1756, de Vincent Brisset de Montbrun, colon apparemment blanc et noble, et de Marie-Thérèse Morino, sans doute une mulâtresse ou quarteronne mal connue, il parvient, à l'époque de la Révolution, grâce à sa grande fortune, aux charges de lieutenant des maréchaux de France à Libourne et commissaire du département pour la levée des volontaires, puis au grade de colonel du régiment de Sainte-Eulalie de Bordeaux, avant d’être élu le 27 septembre 1791 lieutenant-colonel (« commandant en chef », dit la légende de son portrait) du 5e bataillon des volontaires de la Garde nationale de la Gironde « destinés à la défense des frontières ». « Officier au Régiment d’Infanterie (ci-devant Champagne) » (toujours selon son portrait) au grade de capitaine, il devient le 11 juin 1792 aide-de-camp du général d'Esparbès de Lussan avec qui il passe à Saint-Domingue où il débarque le 18 septembre avec six mille hommes et les généraux Montesquiou-Fezensac, de Lasalle et d’Hinisdal, tous embarqués pour une mission de rétablissement de l'ordre dans son pays natal durant laquelle il va être amené à prendre de grandes responsabilités à la suite du complot de d’Esparbès et des colons blancs contre les commissaires civils Sonthonax et Polvérel. Rangé aux côtés de ces derniers, il s'impose rapidement comme l'un des principaux chefs des hommes de couleur sous le nom de « colonel Hugues Montbrun », est blessé d'un coup de feu le 14 janvier 1793, puis nommé provisoirement adjudant-général chef de bataillon à titre provisoire le 20 avril par les commissaires civils, et enfin adjudant général chef de brigade (toujours à titre provisoire) le 16 juin et enfin commandant en second de la partie de l'Ouest le 3 novembre en remplacement du Basque de Lassalle, renvoyé en France. Dans la nuit du 17 au 18 mars 1794, il prend la tête de la légion de l’Égalité, composée de mulâtres et de nègres selon les expressions d'époque, que vient de créer Sonthonax et s’attaque au 48e Régiment ci-devant Artois, commandé par Desfourneaux, auquel il inflige une retraite humiliante. Ce coup de main devait être suivi d’un massacre de Blancs qui n’eut lieu qu’en partie, ayant été dénoncé par son aide-de-camp, Benjamin Ogé, à sa mère Marie-Thérèse Leremboure, fille du premier maire de Port-au-Prince, le Basque Michel-Joseph Leremboure.

Lors de la prise de Port-au-Prince par les Anglais, il est blessé à la main d'un coup de feu le 1er juin 1794 au fort de Bizoton qu'il commandait et s’enfuit, manquant de peu d’être fait prisonnier. Comme il s’était fait beaucoup d’ennemis en raison de ses prises de positions pour le moins troubles généralement suivies d’actions violentes, autant parmi ses supérieurs que ses subalternes, il fut destitué, arrêté et renvoyé en France pour être jugé. Mis en arrestation pour trahison, dilapidation..., etc., puis jugé et acquitté à Nantes par le Conseil de guerre en 1794, il fut réformé avec le grade d'adjudant-général en 1798.

L’épopée napoléonienne va lui fournir une seconde chance tardive. Rappelé et promu général de brigade le 13 mai 1800, il siège au conseil d'administration de l'hôpital de La Rochelle, avant d'être nommé le 13 octobre commandant d'armes de la ville de Bordeaux et gouverneur du Château-Trompette, symbole honni de l'autorité royale française dont les canons étaient tournés vers la ville rebelle depuis la conquête sur les Anglais, poste qu'il occupe jusqu'à sa suppression le 23 septembre 1804, puis, après différentes péripéties dont une admission à la retraite en février 1806, à nouveau comme « commandant provisoire à Bordeaux » du 19 avril 1808 au 15 septembre 1810, date à laquelle il reçoit l’ordre de cesser ses fonctions mais continue à les exercer en touchant un traitement de non activité avant de se résigner à les cesser enfin, à nouveau sur ordre, le 27 septembre, ce qui en fait le dernier gouverneur de ce château avant sa démolition et lui vaut de devenir membre de la Légion d’Honneur et chevalier de l’Empire par lettres patentes du 19 septembre .

Admis définitivement à la retraite en 1814 au grade de maréchal de camp, il devient finalement en 1818, sous la Restauration, chevalier de Saint-Louis. Contrairement à ce que dit A. Thiers dans son Histoire du Consulat et de l'Empire, ce n’est pas lui, mais son homonyme, le général d’Empire Louis-Pierre Montbrun, qui fut tué en septembre 1812 à la bataille de la Moskowa3, puisque Hugues Montbrun est pensionné définitivement en 1827 avant de mourir le 5 juin 1831 à 75 ans à Castres-Gironde (aujourd’hui Castres-Beautiran) où l'on peut voir sa pierre tombale restée près de l'église après déplacement du cimetière, sur laquelle on peut lire :

Ici repose Hus[Hugues] Monbrun, Ofer [Officier] Supérieur, Chver [Chevalier] [de l'Ordre] de St [Saint]-Louis et de la Légion d'H [Honneur], décédé le 5 juin 1831, âgé de 76 ans – Bon époux, bon père, ami de l’humanité, passionné pour l'agriculture qu'il améliora dans cette commune. Pleuré de sa famille, regretté de ses amis.

Sa seconde épouse fit rectifier le nom et l’âge portés sur son acte de décès conservé dans les archives municipales qui avait été fait au simple nom d’« Hugues Montbrun, âgé de 82 ans ». Il était propriétaire, outre le château de Haut-Pomarède à Castres qui lui venait de sa première épouse, du domaine d'Issan à Cantenac et Margaux en Médoc.

Le président Pétion

Anne-Alexandre Sabès, dit Pétion, héros de la guerre d'Indépendance, est connu en Haïti comme l’un des quatre « pères de la patrie » au titre de premier président et fondateur de la République, après avoir joué les premiers rôles dans la guerre d’Indépendance4.

Né à Port-au-Prince le 2 avril 1770 d'un colon blanc bordelais originaire de la paroisse de Sainte-Croix, André-Pascal Sabès, et de sa « ménagère », la mulâtresse nommée Ursule « à Sabès », il était quarteron, et son grand ennemi, le roi noir du Nord, Henry Christophe, ne manquait pas de le traiter avec mépris dans ses proclamations de « fils de Français ». Comme tout affranchi, il n'avait pas le droit de porter le nom de son père et la tradition dit qu'une voisine provençale lui donna le surnom de pitchoun, déformé plus tard en Pétion, peu après que sa nourrice noire l'eut sauvé à sa naissance du tremblement de terre qui détruisit la ville le 3 juin 1770 et ne laissa qu'un amas de décombres, faisant une centaine de victimes. Il faut réfuter la version répandue en Haïti selon laquelle il aurait adopté le pseudonyme de Pétion, en hommage à Pétion de Villeneuve, qui fut membre de la Convention et de la Société des Amis des Noirs. « Alexandre Pétion, rapporte Edgar La Selve, était alors à la mamelle. Sa mère, troublée par la frayeur, par le tumulte, par les cris, l'avait abandonné dans sa chambre, endormi dans son berceau. La malheureuse ne peut que balbutier le nom de cet enfant, elle invoque du secours ; mais la terreur et le danger glacent tous les courages ; personne ne bouge. Enfin la nourrice se précipite, au risque de sa vie, dans la maison chancelante et rapporte le petit Sansandre sain et sauf »5.

Son père, imbu du préjugé de couleur en vigueur à l'époque, négligea totalement son éducation si bien qu'à quinze ans il ne savait à peine lire et écrire. Il apprit néanmoins le métier d'orfèvre, puis s'engagea à dix-huit ans dans les chasseurs libres de la milice de l'Ouest où le trouvèrent les événements de 1790. On dit qu’il fit à cette époque de vains efforts pour sauver le colonel Mauduit-Duplessis des mains des pompons rouges ou indépendants, qui l'assassinèrent lâchement.

Ayant participé aux réunions des affranchis de l'Ouest, il se signala parmi les confédérés au premier combat, à Pernier, en août 1791, et en décembre à Bizoton en qualité de capitaine d'artillerie. A l'arrivée des commissaires civils qui firent appliquer le décret du 4 avril 1791 en faveur des affranchis, il entra dans la Légion de l'Egalité formée et commandée par Montbrun et se distingua lors de l'attaque de Léogane en 1794 par les Anglais, ce qui lui valut une promotion au rang de chef de bataillon d'artillerie, puis d'adjudant-général après le siège de Port-au-Prince en 1797 et sa prise du camp de La Coupe le 15 février 1798 qui entraîna l’évacuation anglaise. Partisan de Rigaud dans la guerre du Sud contre Toussaint, il battit Dessalines au Grand-Goâve et résista avec honneur lors du siège mémorable de Jacmel en 1800 mais dut s'enfuir en août en France après la défaite finale des Mulâtres pour échapper aux massacres. Il n’arriva à Paris que le 20 janvier 1801, après être passé par Curaçao et la Guadeloupe et avoir subi une captivité de deux mois sur les pontons de Portsmouth, pris par les Anglais à l'entrée de la Manche. Revenu en 1802 au grade d’adjudant commandant dans l'Etat-Major de l'expédition Leclerc dirigée par Bonaparte contre Toussaint, il causa de grands dommages aux insurgés par ses qualités d'artilleur, mais, chargé de pacifier les hauteurs des Verrettes et de l'Archaïe et de soumettre les bandes de marrons de Jasmin, Sans Souci, Petit-Noël et Macaya après la reddition de Toussaint en mai 1802, il finit par donner le signal de la révolte en octobre à l’annonce du rétablissement de l’esclavage en Guadeloupe et ouvrit les hostilités de la guerre d’Indépendance en prenant le poste français du Haut-du-Cap où il sauva du massacre quatorze canonniers, bientôt rejoint par les généraux Geffrard, Clervaux, Christophe et Dessalines qui le nomma général dans l’armée indigène. Sa tête mise à prix par Rochambeau, il battit le général Kerverseau au Mirebalais (mai 1803) et entra le 16 octobre 1803 à Port-au-Prince après un siège où il brilla par ses qualités de canonnier. Nommé après l'indépendance, par décret impérial, commandant en chef de l'Ouest, mais averti plus tard par Christophe des préventions de Dessalines contre lui, il participa avec les généraux du Sud à la conspiration qui aboutit à l'assassinat, le 17 octobre 1806 de l'empereur Jacques 1er.

Il manœuvra ensuite, avec l'aide du Sénat et en promulguant une constitution républicaine le 27 décembre, pour écarter le successeur désigné, le général noir Christophe, qui ne put entrer à Port-au-Prince avec ses troupes malgré une victoire à Sibert le 1er janvier 1807, bataille au cours de laquelle Pétion échappa de peu à la mort, sauvé par son fidèle aide-de-camp, Coutilien Coutart, et qui inaugura une scission en deux états qui allaient durer treize ans avec le royaume d'Henry 1er (Christophe) au Nord et la République dont Pétion fut élu président le 9 mars 1807, et à ce titre Grand Protecteur de l'Ordre maçonnique haïtien, réélu en 1811 après dissolution du Sénat et porté à la présidence à vie en 1816 après avoir déjoué plusieurs conspirations et été contraint, pour éviter une nouvelle guerre civile, d’abandonner la partie du Sud à Rigaud qui s’y était proclamé président en 1810. Pétion récupéra peu après sa mort l’éphémère Etat du Sud et son successeur, le général Jean-Pierre Boyer, réunifia tout le pays en 1820 à la mort de Christophe, annexa la partie espagnole de l'Est en 1822 et obtint en 1825 contre une lourde indemnité la reconnaissance officielle de la France que Pétion avait préparée.

L'administration de Pétion fut marquée par des mesures de distributions de terres aux anciens soldats et aux paysans, de soutien au commerce d'exportation et à l'instruction publique, ainsi que par l’instauration du bicamérisme, la fixation des armes et du drapeau national et les premières négociations pour la reconnaissance par la France, et, surtout, son aide généreuse au libertador Bolivar qu'il reçut et approvisionna deux fois. Mais il ne put jamais résoudre la gabegie et le pillage des deniers publics, ni la rébellion du noir marron Goman dans la Grande-Anse. D'un caractère doux, souple et débonnaire, il ne fut pas exempt de faiblesse et de laxisme, laissant Rigaud créer une nouvelle scission à son retour et résistant mal aux multiples conspirations de ses généraux. Il réussit toutefois à contenir le plus grand danger, celui que constituait son grand rival, le général Christophe devenu le roi « noir » du Nord sous le nom d’Henry Ier. Mais accablé par le désordre du pays et les chagrins personnels, miné par la maladie, il tomba en langueur et expira à Port-au-Prince, le 29 mars 1818, officiellement d'une fièvre putride et maligne, pleuré de tous.

Ses restes furent inhumés aux environs de Port-au-Prince, dans les hauteurs de Fermathe, sous le fort Alexandre, aujourd’hui en ruines, dont il avait ordonné la construction en 1804. Aucun signe particulier n’en marque l’emplacement.

1 Archives privées, Contrat de mariage du 15 avril 1818 entre Mr Pierre de Lavergne Delage et Delle Angélique-Radegonde de Montbrun, par devant Me Faugère, notaire à Bordeaux.

2 Notamment Georges Six, Dictionnaire biographiques des généraux et amiraux français de la Révolution et de l'Empire (1792-1814), Saffroy, Paris, 1934.

3 A. Thiers, dans son Histoire du Consulat et de l'Empire, Livre IV, p. 435.

4 Jacques de Cauna, article Pétion, dans Corzani, Jack, Dictionnaire encyclopédique des Antilles et de la Guyane, Fort-de-France, Ed. Désormeaux, 1993, VI, 1880-1881, Haïti, l'éternelle Révolution, Port-au-Prince, Deschamps, 1997, L'Eldorado des Aquitains. Gascons, Basques et Béarnais aux Îles d'Amérique (17- 18 s.), Biarritz, Atlantica, 1998.

5 Edgar La Selve, « La République d'Haïti, ancienne partie française de Saint-Domingue », dans Le Tour du Monde, Paris, Hachette, 1879, vol. XXXVIII, 2e semestre, p. 194-196.

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