Autour du tombeau de Montaigne et de ses descendants. Le cluster landais.
La postérité landaise et gasconne des Eyquem de Montaigne
par Jacques de Cauna
La toute récente découverte – on devrai plutôt dire redécouverte – au mois de mai dernier du tombeau de Montaigne dans les caves du Musée d’Aquitaine, ancien couvent des Feuillants puis Faculté des sciences et lettres de Bordeaux a été l’événement majeur de l’année dans le monde de la culture et du patrimoine bordelais et aquitain.
Après les premiers travaux de nature essentiellement archéologique, visant à l’identification des restes mis au jour après ouverture, on s’est avisé qu’après avoir fait appel aux archéo-anthropologues et paléo-généticiens, il serait intéressant, sinon nécessaire, de profiter des dernières avancées de la science pour effectuer des vérifications d’ordre généalogique couplées à une identification de type médico-légal en les étayant par des analyses comparatives de l’ADN pris sur les restes présumés de Montaigne avec celui de descendants bien identifiés de l’auteur ou de membres proches de sa famille. Nous avons tout récemment récemment évoqué dans un précédent bulletin l’étonnante fiabilité que l’on peut accorder à ce type de recherches en matière de recherches sur les origines ethnico-régionales, tout en déplorant que dans les temps les plus reculés des généalogies les noms de bon nombre d’épouses restent inconnus alors que ces origines pourraient être encore mieux éclairées par l’apport de l’ADNmt (mitochondrial) à la recherche1. Nous sommes ici en effet, dans le cas de Montaigne, inhumé en 1595, dans le cadre bien plus proche de l’histoire moderne (du XVIe au XVIIe siècle) que celui des origines évoqué plus haut, et l’identité des épouses nous est parfaitement connue par les généalogies existantes.
De manière plus précise et sans trop entrer dans des détails techniques fastidieux, il s'agirait de retrouver, en sus de l’ADN nucléaire, la petite molécule circulaire de 16 539 paires de bases (penser au noyau et aux électrons de l’atome), dont la séquence est entièrement connue, qui est essentiellement transmise par les femmes et dont la variabilité est beaucoup moins importante que celle de l'ADN nucléaire global, c’est-à-dire qu’elle offre beaucoup plus de probabilités mesurables. Tous les individus d'une même lignée maternelle auront, en effet, à l'exception de rares mutations, exactement le même ADN mitochondrial, ce qui représente un gros avantage lorsqu'il s'agit par exemple d'identifier des personnes séparées par plusieurs générations. Ce type de recherche est surtout utilisé dans les deux cas suivants : l'identification de cadavres altérés (peu de matériel ou matériel dégradé), comme c’est bien le cas pour les restes présumés de Montaigne, et l’analyse de cheveux, même sans racines, le corps du cheveu seul étant riche en mitochondries. Technique d’identification qui est aisément applicable à partir de cheveux dégradés (ceux des restes) confrontés à ceux d’individus (descendants) clairement identifiés, par ailleurs porteurs dans leur racine des marqueurs de l’ADN nucléaire.
Au moins cinq familles de nos adhérents sont particulièrement concernées parce qu’elle peuvent répondre à ces prérequis scientifiques pour l’identification : les de Monck d’Uzer (à Biarritz), de Caupenne d’Aspremont (à Bénesse, Biarritz, Hendaye, Lyon), Roques de Borda (à Perquie et Bonnegarde), de Biaudos de Casteja (à Mézos et Biaudos, et région parisienne, Portugal, New York…), sans oublier les nombreuses alliances Le Deschault de Monredon (de Donzacq et Habas).
Par une curieuse prémonition, nous nous étions intéressé de plus près il y a trois ans aux attaches landaises de Montaigne que nous avions évoquées pour nos lecteurs dans nos deux bulletins de l’année 2017 à la faveur de trois articles :
- Un article général, « Montaigne : conscience généalogique, héraldique, familiale et nobliliaire chez un seigneur gascon », Bulletin CGL n° 121-122, 1er sem. 2017, p. 1748-1760.
- Le procès de Montaigne avec les seigneurs landais de Lahontan de la maison de Caupenne-Cauna dans « Jalons chronologiques pour une historie d’Abet et Lahontan », Bulletin CGL n° 123-124 du 2d semestre 2017, p. 1794-1799.
- Et « Le château de Laas et ses seigneurs landais – Généalogie de Lataulade », dans Bulletin CGL n° 123-124 du 2d semestre 2017, p. 1800-1803.
Nous partirons de ces premières approches pour établir rapidement les pistes de recherche de descendants les plus évidentes dans les Landes et les départements voisins des Pyrénées-Atlantiques, Gers et Hautes-Pyrénées, qui viendront s’ajouter à celle des Lur-Saluces bien connus dans la région bordelaise mais dont l’origine se trouve aussi dans les Landes par l’intermédiaire originel de la maison de Lur d’Uza. Dans le cas de cette famille, la postérité originelle passe d’abord par la propre fille de Montaigne, Léonor Eyquem de Montaigne, mariée en 1590 à François de La Tour, dont la fille du premier lit, Françoise de La Tour, mariée en 1611 avec Honoré de Lur de Saluces en eut un fils unique Charles de Lur Saluces (1612), vicomte d'Aureilhan marié avec Isabeau de la Lane, tué en 1636 devant Salses en Roussillon, et resté sans postérité. C’est par un second mariage vers 1600 vers 1600 avec Charles de Raymond de Gamaches, vicomte de Chateaumeillant, seigneur de Fougerolles, issu de la seigneurie de Jussy (Berry), que Léonor de Montaigne eut, d’un second lit donc, une fille unique Marie de Gamache (1611-1682) qui épousa en 1627 Louis de Lur Saluces (mort en 1696) par lequel vinrent les descendances dans les familles de Ségur (alliance landaise de Cauna), Joumart des Achards (Charentes), Galard de Béarn (alliance landaise de Marsan), de Villars en Périgord, Bacharetie de Beaupuy (Mussidan, Périgord), de Pontac (Bazadais, alliés en 1808 aux Caupenne d’Amou landais). La suite étant bien connue.
Il va de soi que dans la perspective de recherches menant vers d’éventuelles analyses recognitives, l’étude généalogique ne devrait pas à se limiter aux seules postérités directes en ligne agnatique mais pourrait s’étendre avec profit aux ascendants (paternels et maternels) et aux collatéraux proches (frères, sœurs, neveux, nièces…). Dans les Landes et régions voisines, quelques lignages pourraient dans cette optique être valablement pris en considération.
La plus connue de ces parentés landaises est celle qui unit au nom d’Eyquem de Montaigne la maison chalossaise de Lataulade dont il a été fréquemment question dans les publications landaises, notamment sous la plume de la baronne de Lataulade disparue il y a quelques années. Cette parenté a pour origine l’union le 1er janvier 1564, du vivant de Montaigne qui dut assister au mariage, entre Jean-Etienne de Lataulade, protestant, seigneur de Lataulade (à Saint-Cricq Chalosse), Marquebielle, Hagetmau, Casalon, etc., et Jeanne Eyquem de Montaigne, dotée de 3 000 Livres, fille du seigneur de Bussaguet, de la salle de Breilhan à Blanquefort, de Gayac, etc.2, Raymond Eyquem de Montaigne, et d’Adrienne de La Chassaigne. Lequel Raymond était frère de Pierre Eyquem de Montaigne, ce qui fait de Jeanne la cousine germaine de Michel de Montaigne. Devenue veuve, elle se remaria avec un autre seigneur landais de vielle souche, Charles de Poudenx, fils de François, et de Marguerite de Saint-Cricq, mais elle avait eu auparavant deux fils dont le premier, Bertrand, marié en 1590 à Antoinette d’Andoins, est le père de Charles de Lataulade, baron de Laas par son mariage en 1633 avec la béarnaise Jeanne-Madeleine de Laas, dame d’Issor, de Bidos et d’Agnos3. Ce Bertrand de Lataulade de Laas avait une sœur, Magdeleine de Lataulade, mariée à un seigneur de Fos (famille de Fos du Rau) d’où provinrent par alliance les Le Blanc de Labatut, de la vicomté de Juliac, dont deux filles contractèrent mariage dans les maisons landaises de Captan et de Junca, puis de Pujolé, de Bezolles, de Salles, et Dupin de Juncarot d’où postérité de Spens d’Estignols, dont le fameux homme de lettres Willy de Spens, décédé récemment en 1989.
Du couple du château de Laas provinrent quatre enfants dont l’aîné Charles eut postérité dans la maison de béarnaise de Luger Précillon pendant que le benjamin Joseph-Gilles assurait la postérité du nom de Lataulade par un mariage en 1689 avec Dorothée de Caupenne d’Amou, à l’origine d’un fils, Charle-Léonard de Lataulade qui s’unit avec Marie-Thérèse de Foix-Candale (de Doazit), les autres alliances de cette lignée se faisant avec des demoiselles du Camp d’Orgas (de Tartas), du Vignac (Marensin, Born), de Blair (Béarnais d’origine écossaise), de Cès-Caupenne, de Clavière, de Casamajor (de Sauveterre-de-Béarn).
C’est par cette dernière alliance que se perpétue après le dix-huitième siècle l’essentiel de la postérité qui nous intéresse plus particulièrement. De Félix-Bernard de Lataulade et Marie-Geneviève de Casamajor, mariés en 1794 provinrent quatre fils, dont le benjamin, Charles-Léonard-Pierre-Nelson de Lataulade, maria son fils aîné, Antoine-Marie-Léonard-Félix, à Mugron en 1869 avec Marie-Victoire-Adeline d’Antin, et le cadet, Raymond-Gaspard de Lataulade, au château de la bastide landaise disparue de Bonnegarde en 1896 avec Joséphine-Elisabeth Roques de Borda (de la famille du célèbre chevalier de Borda). Quant à l’aîné du couple, Léonard-Félix, baron de de Lataulade, il fut le père par son mariage à Mugron en 1837 avec Françoise-Marie-Désirée Domenger, de Bernard-Louis-Raymond qui ouvrit la voix en s’alliant en 1851 à Louise-Marguerite Le Deschault de Monredon à une très prolifique postérité à partir de leurs six enfants alliés dans les familles de Monck d’Uzer (d’où nos adhérents Bernard de Monck d’Uzer, Eric, Jacques et notre regretté Régis de Caupenne d’Aspremont), de Bertereche de Menditte, de Supervielle, de Lagarigue, Roques de Borda (d’où notre regretté Patrick) et Lavigne (à Mugron, d’où les descendants de Paul de Borda et Adeline de Lataulade, entre autres nos amis Bénédicte, Dominique et son fils Jean-Charles de Borda, et le regretté Alain de Borda). Par le frère de Louise-Marguerite, Elophe Le Deschault de Monredon, fils de Térina Caubotte, descendante des Lalanne de Castelnau et des Caupenne, et son épouse Jeanne-Emma-Julia-Marie Navailles, vinrent encore par leurs dix enfants plusieurs familles landaises ou béarnaises qui nous sont bien connues, parmi lesquelles les Casedevant du château de Gaujacq, les Dissez et Laporterie, les Bernède, les Pinsun, et à nouveau les Caupenne d’Aspremont.
Il ne faut pas oublier enfin qu’un frère de Jeanne de Montaigne, Geoffroy fut le grand-père d’Aimée de Gamboa d’Alzate fille de Tristan, seigneur d’Urtubie (du beau château sis à Urrugne), qui par son mariage en 1619 avec André Lalande de Luc, Seigneur de Luc, fut la mère d’Angélique Lalande de Luc mariée en 1661 à Jean-Bertrand de Biaudos de Castéja, fils d’Alexandre et de Marie de Borda et aïeul des familles de Biaudos, de Valier, Dupée de Lagraulet, d’Harader de Lassalle (tous parents de notre adhérent Jean-Denis de Biaudos de Castéja).
En somme, on pourrait dire qu’assez paradoxalement, c’est dans les Landes, en Chalosse plus particulièrement que les recherches annoncées sur l’ADN familial de Montaigne auraient sans doute les plus grandes chances de pouvoir se concrétiser, rejoignant ainsi son goût prononcé dont il fait état dans ses Essais pour ce langage gascon bien plus fin et délié qui a cours « près de nos montagnes (les Pyrénées) », et notamment aux frontières de la Chalosse et du Béarn où il disputa pendant de longues années, sous un prête-nom, les revenus du pélerinage de Notre-Dame d’Abet à Lahontan à ses cousins landais de la maison de Caupenne4.
1 Jacques de Cauna, "Généalogie et tests ADN. Une étonnante concordance des données", Bulletin du Centre Généalogique des Landes, n° 129-130, 1er semestre 2019, p. 1901-1903.
2 Archives départementales de la Gironde [AD 33], 3 E 4456, Contrat de mariage, Minutes de maître Destivals, notaire à Bordeaux, Minutes de maître Dubroca, d’après Vincent de Monredon (Généanet).
3 Voir le tableau généalogique figurant dans Jacques de Cauna, "Le château de Laas et ses seigneurs landais" – Généalogie de Lataulade, dans Bulletin CGL n° 123-124 du 2d semestre 2017, p. 1800-1803.
4 Voir Jacques de Cauna, "Jalons chronologiques pour une histoire d’Abet et Lahontan", Bulletin CGL n° 123-124 du 2d semestre 2017, p. 1794-1799".