Haïti à l’honneur. Comprendre et reconstruire.
Les Pères de la Patrie, par Rose-Marie Desruisseau, 1984. Toussaint Louverture, Alexandre Sabès dit Pétion, Jean-Jacques Dessalines, Henri Christophe
Haïti à l’honneur. Comprendre et reconstruire.
La Chaire d’Haïti à Bordeaux a été invitée à participer à deux important colloques internationaux qui se sont tenus la semaine dernière à Port-au-Prince et Bordeaux.
Le premier, Contribution d'Haïti à l’émancipation des peuples (Lutte globale contre l’esclavage et la colonisation), organisé à l’initiative du Professeur Kenrick Demesvar par la Chaire Unesco en Histoire et Patrimoine (CUHP) de l’Université d’État d’Haïti (UEH) et l’Institut d’Etudes et de Recherches Africaines d’Haïti (IERAH-UEH), s’est tenu du 14 au 16 novembre 2023 en présentiel et en visio-conférence, sous la direction du professeur Watson Denis, et a réuni une trentaine d’intervenants et de communications.
Et le second, Failles haïtiennes, organisé par l’anthropologue Alice Corbet, chargée de Recherches CNRS, en deux journées d’études les 15 et 16 novembre, tenues à Sciences-Po, Université de Bordeaux, dans le cadre du Laboratoire Les Afriques dans le Monde (LAM) avec le concours de l’ANR Osmose dirigée par le géologue géo-physicien Eric Calais, professeur et directeur de l’Institut des Sciences de la Terre de l' Académie des Sciences.
Ont été présentées, au titre de la Chaire d’Haïti à Bordeaux (Ciresc, CNRS), par Jacques de Cauna, Universités de Pau (laboratoire ITEM) et de Bordeaux Montesquieu (Horizons Caribéens, programme scientifique pluridisciplinaire transversal, IRM EA 7434) :
- au colloque de l’Université d’État d’Haïti à Port-au-Prince, une communication intitulée L’exportation de la Révolution haïtienne : un impact oublié.
- et aux Journées d’Etudes de Bordeaux Sciences Po, Failles haïtiennes : La faille libertaire. Bâtir l’Etat sur l’individu. Nouveaux Libres et nouveaux dirigeants.
En voici les résumés.
L’exportation de la Révolution haïtienne : un impact oublié
L’histoire de l’exportation des idées révolutionnaires et républicaines dans la Caraïbe et l’Amérique Latine à partir de Saint-Domingue-Haïti reste à écrire. Elle commence très tôt avec le soulèvement des esclaves du Nord en 1791 de Saint-Domingue et l’on en trouve des traces importantes durant tout le XIXe siècle, de la proclamation de l’indépendance d’Haïti en 1804 à la fin de la guerre de Sécession aux Etats-Unis en 1864 en passant par les indépendances hispaniques des nations issues de la désintégration de l’Empire espagnol de l’Amérique latine dans les années 1808 à 1825. Sans oublier son apport ultérieur jusqu’au milieu du XXe siècle à l’essor des mouvement intellectuels et sociaux du Pan-Africanisme et de la Négritude.
On connaît bien généralement l’aide directe apportée à Miranda et Bolivar notamment, un peu moins, de manière paradoxale, celle aboutissant plus tard à la décolonisation des voisins dominicains et cubains. Et encore moins l’impact universel du modèle haïtien sur les idéaux libertaires d’émancipation, en particulier en Amérique. Il faut rappeler également le rôle de terre d’asile joué par Haïti pour un grand nombre de citoyens européens victimes d’ostracisme dans leur pays d’origine, de Billaud-Varenne et Camille Desmoulins aux Grecs et aux Juifs en passant par les Polonais de l’expédition Leclerc.
L’ensemble devrait conduire à une réévaluation des études haïtiennes dans une optique atlantique élargie.
La faille libertaire. Bâtir l’Etat sur l’individu. Nouveaux Libres et nouveaux dirigeants
Au-delà de l’aspect purement scientifique et universitaire, c’est bien évidemment l’espoir que les analyses et réflexions échangées ici pourront alimenter concrètement l’espoir toujours vivace d’une sortie vers le haut, reconstruction, renaissance ou refondation, d’un pays qui ne cesse de s’enfoncer dans une tragique spirale destructive incompatible avec la dignité et la grandeur de son passé de première république noire du monde.
La faille sismique a réveillé l’obsédante et prégnante permanence de toutes les autres : sociologique, écologique, économique, historique, ou simplement humaine.
Pour tenter d’y voir plus clair, il m’a semblé opportun de les regrouper en trois points : la faille géologique initiale comme révélatrice, une évidente faille sociale d’une permanence apparemment insoluble, une faille d’ordre ontologique décisive qui n’est pas celle qu’on croit.
« Liberté ou la mort », « L’union fait la force », « Tout moun se moun »… Au-delà des constats de méconnaissance généralisée, de dualité sociale et des mots d’ordre, devises et dictons proclamés de part et d’autre, le vrai obstacle structurel, c’est le rejet viscéral, par une anti-culture antagoniste, de la culture du progrès « développeur » proposé par l’économie libérale moderne qui avait abouti aux excès monstrueux de l’esclavage. L’objectif massivement non formulé est finalement celui d’une société post-capitaliste de la « contre-plantation ».
La liberté délivre de l’oppression externe mais c’est l’égalité qui met en place un anti-système. Il s’agit bien de l’égalité fondamentale, celle de la reconnaissance de la qualité d’homme, acquise dans la violence fondatrice. Reste à créer, non contre mais à côté de l’État, une société nouvelle en adéquation reposant sur le surplus d’âme de l’individu haïtien. Seule solution : le rapprochement des deux cultures, bossale et créole, par une éducation égalitaire. Ecoute et patience s’imposent.