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Le blog de Jacques de Cauna Chaire d'Haïti à Bordeaux

Lettre d'un rescapé des massacres de Blancs français en Haïti, réfugié à la Nouvelle-Orléans

24 Octobre 2016, 16:12pm

Publié par jdecauna

Vestiges de la caféterie Bois Arada (c) Fonds Jacques de Cauna

Vestiges de la caféterie Bois Arada (c) Fonds Jacques de Cauna

La Nouvelle-Orléans - 30 Janvier 1805

La Nouvelle-Orléans - 30 Janvier 1805

© Fonds Jacques de Cauna. Archives de Saint-Domingue (Haïti)

A Monsieur Martial Vivés, ht de Haget, département des Hautes-Pyrénées, à Vic en Bigorre

de Aden Colomé1 à Maral Vivés2 de Haget, Nouvelle Orléans, le 30e Jer 1805

Mon cher Vivés,

Je ne sais à quoi attribuer votre silence, vous sur qui je comptais le plus pour m'instruire de ma position de fortune et savoir de vous si avec la plus grande économie il serait possible d'avoir du pain à mettre sous sa dent dans mon pays.

Le dernier événement de St-Domingue me contraint à en venir là, ayant resté dans ce pays-là trois mois avec les indigènes, car c'est le nom qu'ils s'étaient donné, et voyant que la place n'était pas tenable puisqu'à cette époque ils pendaient et fusillaient les Blancs, j'ai cherché à m'enfuir mais il m'a été impossible sans le consentement des chefs lesquels exigèrent de moi plus que je ne possédais. Par accommodement je leur ai laissé à peu près tout, à l'exception de mes hardes et celles de ma femme et quelques papiers qui me seront peut-être utiles si l'on rétablit St-Domingue, ce que je me plais à croire. Voilà ma position après avoir bravé les événements les plus périlleux et avoir été assaciné [sic] pendant trois fois différentes depuis le commencement de cette révolution.

J'avais toujours tenu bon, la crainte de devenir à charge aux miens m'avait donné du courage. J'étais cependant seul, et aujourd'hui que j'ai une femme, je suis obligé de prendre le parti que j'avais toujours rejeté… Jugez des regrets dont mon âme est pénétrée.

Je vous ai écrit l'an dernier de Philadelphie par Mr Duranton3, mon camarade d'infortune, homme aussi aimable que respectable. D'après la promesse qu'il m'avait faite de ne pas getter [jeter] les lettres à la mer, j'avais lieu de croire qu'ayant reçu de mes novelles, vous m'auriez répondu. Cependant, je suis toujours dans cette attente… J'espère qu'après la réception de celle-cy j'aurai le plaisir de recevoir de vos chères nouvelles, de même que de celles de mes nièces. C'est cet espoir qui me nourrit. Le capne [capitaine] de navire Kinker m'a promis qu'il remettrait celle-cy à la poste à Bordeaux. Ainsi, si vous voulez me répondre, vous pourrez adresser la lettre à Mr Ducru4 qui, m'a-t-on dit, est négociant à Bordeaux, qui aura la bonté de la lui remettre.

J'ai eu le plaisir de m'entretenir de vous très souvent à Philadelphie l'an dernier avec Mr Duthil5 que vous avez dû voir chez Mde des Lincout [?] à Auch : sa mère est une intime amie de ma femme.

Je vous désire une santé parfaite et veuillez me croire avec une amitié sincère

Mon cher Vivés

votre très humble

et très aff[affectionné] beau frère

Colomé

1 Adrien-Anne-Antoine de Colomé, né en 1762, fils de Jean-Pierre de C., conseiller et avocat du Roi, de Vic-Bigorre (Haute-Pyrénées), et de Jeanne de Pérès, épousée le 26 novembre 1750 à Mirande (Gers).

2 Martial de Vivès, né en 1749 à Haget, décédé en 1817 à 68 ans, Garde du Corps du Roi d'Espagne, fils d'Ambroise de V. et Anne du Faur, épousée le 30 avril 1744 à Miramont d'Astarac (Gers). Il avait épousé le 3 janvier 1784 à Vic-en-Bigorre Marguerite de Colomé, soeur d'Adrien. Le père d'Adrien, Jean-Pierre de Colomé, fils de Jean de Colomé et Catherine de Ramonjean, était lui-même fils de Pierre de C. et de Catherine de Maigné de Sallenave (1660-1731), elle-même fille de Raymond de M. de S., écuyer, seigneur de Sallenave, né en 1723, d'une famille propriétaire à Saint-Domingue, et de Barthélémie de Monda.

3 Sans doute Ferdinand Duranton, second époux à Jérémie de Marie Catherine Buchey, veuve Duverger, réfugiée à Philadelphie en l'an VII, puis à Bordeaux et Paris avec ses trois enfants et sa nièce.

4 Sans dourte Gustave Ducru, famille de négociants en vin dont le nom se retrouve dans les châteaux Branaire-Ducru et Ducru-Beaucaillou.

5 Duthil, nom landais et gascon, répandu à Bordeaux. Il s'agit ici de Jean-Antoine, alias John Dutilh, négociant à Philadelphie, qui était parent par sa femme, une Saint-Martin, du célèbre colonel dominguois de Louis-Anne de Tousard, héros de l'indépendance américaine et fondateur de West Point.

 

 

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Tina, sur les traces des ancêtres cubains. Entretien avec Ghislaine Graillet.

17 Octobre 2016, 16:07pm

Publié par jdecauna

Tina, sur les traces des ancêtres cubains. Entretien avec Ghislaine Graillet.

Au départ est une belle photo de famille des années 1900 sur laquelle figurent, parmi d'autres personnages, mes grands-parents, mariés à Cuba où mon grand-père était consul à Santiago, dans l'Oriente. Il y avait épousé ma grand-mère, Augustina Rousseau, née Verdereau, descendante de colons français réfugiés de Saint-Domingue, propriétaires d'une grande sucrerie dans la vallée de San Luis. Je l'ai très peu connue et elle parlait peu de ses origines créoles.

Partie sur ses traces à Cuba, j'ai pu y retrouver quelques témoignages émouvants et remonter la lignée familiale de plus d'un siècle, jusqu'au grand précurseur de la présence française dans cette partie de l'île, le Béarnais Prudent de Casamajor, qui avait fui les troubles de la révolution des esclaves en Haïti. Devenu Prudencio Casamayor, il avait fondé à Cuba une grande famille et joué un rôle historique, politique et surtout économique très important, notamment dans l'essor caféier du pays. Bien des mystères subsistent, mais cette plongée dans une histoire qui m'était inconnue m'a au moins permis de mieux comprendre mon père, trop tôt disparu...

Les guerres successives et les cataclysmes conduisent les Français à quitter le pays, tandis que la famille résiste au fil des générations, jusqu’à la révolution castriste en 1959, qui les oblige à s’exiler de nouveau. 
C’est grâce à un témoin vivant, l’homme de confiance du frère de ma grand-mère, dernier propriétaire français des sucrières de la région de Santiago, que la dernière saga familiale est racontée, avec toute l’émotion d'un homme qui a perdu sa “seconde famille” comme il le répète souvent. Ce grand-oncle s’étant suicidé à la suite d'une grave maladie, le témoignage de fidélité de ce Cubain est d’une force sans précédent. Des photos qu’il a gardées précieusement, ainsi que de nombreuses lettres d’archives retrouvées à Cuba étayent ses propos.

Après avoir rencontré l’historien Jacques de Cauna, auteur de nombreux ouvrages sur l’Aquitaine et Haïti, J'ai pu compléter l'enquête en intégrant des documents des archives du Quai d'Orsay et des  images tournées en 2015 dans le Béarn et en particulier à Sauveterre où j’ai pu interviewer Paul de Casamajor, un descendant de la branche familiale qui était restée en France.

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