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Le blog de Jacques de Cauna Chaire d'Haïti à Bordeaux

La Revue Française du Livre publiée par la Société des Bibliophiles de Guyenne

27 Janvier 2018, 11:52am

Publié par jdecauna

La Revue Française du Livre publiée par la Société des Bibliophiles de Guyenne
La Revue Française du Livre publiée par la Société des Bibliophiles de Guyenne

La dernière livraison de la belle revue à audience internationale de la Société des Bibliophiles de Guyenne, qui nous a été aimablement communiquée par notre ami Jean-Michel Andrault, Trésorier de la Société, nous offre, comme à l'habitude un riche sommaire au fil duquel nous retrouvons, d'une page à l'autre, des personnages qui nous sont familiers : Corisande d'Andoins, Henri de Navarre, Michel de Montaigne, à plusieurs reprises..., mais aussi d'autres gloires aquitaines : Olivier de Serres, Tamizey de Larroque, Georges de Sonneville, Louis Emié..., et des auteurs que nous croisons toujours avec plaisir, tels Peter Nahon, Xavier Rosan, Guillaume Flamerie de Lachapelle (président), Pierre Coudroy de Lille, Jean-Michel Andrault... Nous avons particulièrement apprécié, sur un sujet qui nous est cher, l'analyse que donne André Gallet des rapports politiques de Corisande, Henri de Navarre et Montaigne, mais aussi l'étude des bibliothèques bordelaises de l'époque, celle de la collection des hommes illustres de Delpech, des registres d'ascension des sommets pyrénéens, du rite comtadin à Bordeaux... et même l'élégante vignette au lozangé qui clôt les articles. 

Bref, une saine et savante lecture que nous recommandons particulièrement aux amoureux du livre (la Société offre également un riche programme de conférences à la Bibliothèque municipale de Bordeaux).

 

La Revue Française du Livre publiée par la Société des Bibliophiles de Guyenne

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La Rochelle et l'esclavage : l'article que vous ne lirez pas dans une revue rochelaise et le livre que vous ne trouverez pas en ville

12 Janvier 2018, 17:56pm

Publié par jdecauna

Censure, boycott, copinages, bien-pensance... et Cie, la caravane historique passe et les fake news trépassent. Renseignons-nous à la bonne source.Censure, boycott, copinages, bien-pensance... et Cie, la caravane historique passe et les fake news trépassent. Renseignons-nous à la bonne source.

Censure, boycott, copinages, bien-pensance... et Cie, la caravane historique passe et les fake news trépassent. Renseignons-nous à la bonne source.

Hôtel Fleuriau, La Rochelle. Le retour de Toussaint Louverture

 

Le célèbre sculpteur sénégalais Ousmane Sow, bien connu à Bordeaux depuis sa grande rétrospective de l'an 2000 sur les quais, vient de s'éteindre à 81 ans. Il a été dit que ses œuvres rendaient beaux ceux qui les regardaient. Ses premières sculptures monumentales de guerriers dataient de 1988 (« Bordeaux porte de l'Afrique », au hangar 5) et sa dernière de 2015 (« Toussaint Louverture », à La Rochelle). L'installation de la statue géante du Grand Précurseur dans l'hôtel du planteur rochelais Aimé-Benjamin Fleuriau, – qualifié à tort d'armateur négrier – a prêté pour certains à polémique ou à récupération. Une mise au point historique s'impose…

Jacques de Cauna, Docteur d’État ès Lettres et Sciences Humaines (Sorbonne), habilité à diriger les recherches, Professeur honoraire d'histoire (Université de Pau et des Pays de l'Adour), Chercheur associé, comité scientifique Centre International de Recherche sur les Esclavages (CNRS/EHESS).

 

Le 20 mai 2017, dans le cadre des manifestations officielles de la journée commémorative annuelle de l'esclavage, une monumentale statue de Toussaint Louverture (1743-1803) en majesté lisant sa constitution autonomiste, réalisée par le sculpteur sénégalais Ousmane Sow, était solennellement installée dans la cour d'honneur de l'hôtel Fleuriau, aujourd'hui Musée du Nouveau-Monde créé trente-cinq ans plus tôt dans ce qui avait été la résidence urbaine du planteur et négociant rochelais Aimé-Benjamin Fleuriau (1709-1787) à son retour d'un long séjour de plus de vingt-cinq ans à Saint-Domingue (aujourd'hui Haïti). Ainsi se trouvaient réunis deux personnages historiques emblématiques au grand étonnement de ceux qui auraient aimé les présenter dans une situation de confrontation polémique, ce que ne manqua pas de faire la petite entreprise mémorielle locale, saisissant ainsi l'occasion d'occuper le devant de la scène et aussitôt relayée comme il se doit par des médias friands de sensationnalisme bien-pensant à peu de frais.

On n'hésita pas alors, dans une vision manichéenne plus que sommaire, à pousser de hauts cris contre l'insupportable enfermement du héros noir (que l'on venait de découvrir peu auparavant, tout comme son pays d'Haïti) « chez un armateur négrier » (que l'on s'obstinait à qualifier ainsi contre toute évidence historique, celui-ci n'ayant jamais armé un seul navire – et qui plus est pour la traite – à La Rochelle). Et même, « le principal armateur négrier » de la ville pour l'« incontournable » entrepreneur mémoriel bordelais K. Diallo qui n'hésita pas à se poser alors dans ses propres supports médiatiques en initiateur du projet.

On voulut aussi y voir naturellement la main perverse du « politique » toujours prêt à occulter la vérité révélée du couple victimisation-culpabilisation, clé conceptuelle de toute interprétation actuelle des rapports sociaux. Tout en se bousculant toutefois pour figurer sur la photo que les médias allaient abondamment diffuser...

Un nécessaire rappel chronologique : rendre à César

Bien au contraire, loin de l'effervescence de l'instant et de ces misérables subterfuges intéressés, on aurait dû se réjouir – et l'histoire le confirmera à son heure – d'une initiative dont le premier mérite était de s'inscrire dans la longue durée d'une action de rapprochement entre la ville et Haïti inaugurée il y a plus d'un tiers de siècle sur de solides bases historiques. Avec pour première concrétisation la volonté politique de Michel Crépeau, unique et pionnière en France, de créer dans sa ville un musée d'histoire ouvert sur ce « nouveau-monde » si mal connu à l'époque par ses administrés, notamment dans sa partie antillaise. Il eût été bon aussi d'en rendre l'honneur de la paternité à son fidèle successeur, animé du même esprit humaniste, le député-maire Maxime Bono dont l'action rejoignait ainsi celle menée dès le début à ses côtés comme conseiller culturel. Et enfin, de se souvenir que dès l'ouverture du Musée et pendant plus d'un quart de siècle le travail d'un historien local, diplomate en poste en Haïti, associé au conservateur Alain Parent, avait déjà permis, au moyen d'une exposition permanente, récemment détruite de manière incompréhensible, de faire pénétrer dans les lieux le personnage de Toussaint Louverture pour le présenter au public rochelais dans le panel final consacré à la première abolition mondiale de l'esclavage en Haïti et la création de la première république noire du monde.

Auteur et acteur de la première heure dans cette aventure de longue durée, l'historien doit rétablir quelques vérités premières, notamment en matière de chronologie, en revenant sur des points essentiels extraits de son dernier ouvrage consacré au sujet1.

C'est le 10 mai 2012, à l'occasion de la journée nationale de l'esclavage, que l'idée prit corps au cours du traditionnel déjeuner auquel m'invitait chaque année Maxime Bono avec les personnalités accueillies ce jour-là : Me Jude Baptiste, Ministre conseiller de l'ambassade d'Haïti à Paris, homme du Nord et fervent admirateur de Toussaint, et Mme Nadège Joachim Augustin, ancienne édile de Port-au-Prince. Le Grand Précurseur2, comme l'appellent les Haïtiens, fut alors le point focal des échanges, d'autant que l'on venait d'inaugurer solennellement le matin sur les quais la Promenade Toussaint Louverture. La commande fut passée à Ousmane Sow par Maxime Bono en 2013.

Pendant que les dérives de la victimisation et de la repentance relayées par les médias et les bonnes âmes finissaient par s'égarer dans les noms de rues à débaptiser, les statues à déboulonner ou les réparations financières à réclamer, voire un pont levant à baptiser « Louverture » à Bordeaux, la Communauté d’Agglomération de La Rochelle, sous l'égide de Daniel Groscolas, poursuivait sereinement un travail d’avenir concret, enté sur la désormais ancienne relation privilégiée de la ville avec Haïti, en soutenant une très utile coopération active en matière de développement et de formation des cadres.

Il s’agit là de bâtir ensemble des projets communs dans un esprit positif de retrouvailles fraternelles.

Pourquoi le Musée du Nouveau-Monde ?

Trois ans plus tard, après un long silence, la direction du Musée me proposa de donner une conférence sur Toussaint le dimanche 10 mai 2015 alors que la la cérémonie d'inauguration de la statue venait d'être repoussée de dix jours, au 20, date à laquelle je ne pouvais répondre à l'invitation de la nouvelle municipalité, ayant été retenu depuis plusieurs mois comme Guest speaker sur le même sujet par deux universités anglaises. Ce qui m'évita ainsi d'assister à l'inconvenante usurpation du très médiatisé représentant autoproclamé de la mémoire des victimes de la traite bordelaise, volant la vedette à l’association locale rochelaise en se plaçant ostensiblement au côté du sculpteur pour la photo « historique » de la statue.

Quelles que soient les raisons du « rattrapage » muséal tardif qui se traduisit le 10 mai par une salle comble, malgré l'absence notable des médias, des officiels et de leurs interlocuteurs mémoriels habituels, contrairement à ce qui se passa ensuite le 20 mai, je pus ainsi présenter le dernier état de mes recherches sur Toussaint Louverture devant un public rochelais sans doute plus désireux d’en savoir davantage sur la vie et l’œuvre d’un personnage historique découvert autrefois dans ces mêmes murs plutôt que sur les mérites « mémoriels » des uns et des autres dans la médiatisation de son image et l’exploitation plagiaire des dernières avancées de la recherche (quand elles sont connues) !

L’occasion était propice pour rappeler que trente-trois ans s’étaient finalement écoulés depuis la première apparition en 1982 au Musée du Nouveau-Monde de Toussaint Louverture en portrait équestre sur son cheval Bel-Argent, œuvre du peintre de la Marine bordelais Gustave Alaux présentée dans le denier panneau de l'exposition permanente Les Fleuriau et Haïti, aujourd'hui disparue. Au-delà du symbolisme de l'âge et du chiffre (To the happy few – comprenne qui voudra), je me plais à y voir un retour qu'il faut saluer pour un personnage qui à l'époque était loin d'intéresser autant de monde dans la ville, et, particulièrement, les donneurs de leçons qui se voudraient dans l'air du temps en dénonçant l’enfermement du héros abolitionniste dans la « prison » que serait la cour de l’hôtel d'un « ancien armateur négrier ».

Sens, portée symbolique et enjeux

Ainsi, pour nous aujourd’hui, qui restons attachés à la connaissance historique, l’année 2015, par l’un de ces signes dont l’heureuse Providence est coutumière, aura vu le retour à l’hôtel Fleuriau du personnage majeur d’une longue histoire, celle d'un pays auquel j'ai pour ma part consacré toute une vie de chercheur et d’enseignant.

Le choix de Toussaint dans la galerie de l'héroïsation haïtienne n'est pas anodin, mais mûrement réfléchi et pesé. Premier général noir de la République française, figure emblématique universelle de la lutte des Noirs pour leur émancipation et précurseur de la première république noire du monde, il fut aussi, face à la radicalisation raciale sanglante posée par son successeur Dessalines, l'homme d'état d'une nation multiculturelle en gestation, de laquelle les nombreux Aquitains de son entourage ou les émigrés qu'il avait rappelés, pas plus que les hommes de couleur, n'étaient exclus. Au point que le grand abolitionniste Schœlcher lança dans les années 1870 une collecte pour lui ériger une statue à Bordeaux, en hommage et reconnaissance de la ville3, ce qui ne fut réalisé finalement qu'un siècle et demi plus tard, à La Rochelle. Aimé-Benjamin Fleuriau lui-même et ses enfants haïtiens, les Fleuriau-Mandron, son épouse et ses fils rochelais, le savant philanthrope Louis-Benjamin Fleuriau de Bellevue et le libéral Aimé-Paul Fleuriau de Touchelongue, défenseur des Libres de couleur, ou son petit-fils, l'officier de marine abolitionniste Aimé-Benjamin, auteur d'une lignée africaine au Sénégal, eurent aussi leur rôle à jouer dans l'avancement de la connaissance et des idées progressistes.

Il n'est pas insignifiant non plus que La Rochelle et son musée d'histoire hébergent aujourd'hui la dernière œuvre présentée par un artiste humaniste de la dimension d'Ousmane Sow, profondément engagé dans la défense des minorités. Lui-même n'affirma-t-il pas dans son discours inaugural qu'il s'agissait d'« un juste retour des choses » :

« Toussaint Louverture est ici à sa place. La Rochelle a le courage d'affronter son passé. En tant que Noir, je suis fier de l'histoire de Toussaint Louverture. Je ne crois pas aux repentances, mais il faut qu'on sache ».

On ne tentera pas imprudemment en quelques mots une synthèse définitive de cette longue dialectique entre mémoire et histoire vécue conjoncturellement pendant un tiers de siècle autour d’un sujet humainement délicat qui mérite mieux que les habituelles réactions à l’emporte-pièce que l’on observe généralement. Mais chacun pourra s’interroger, dans le cadre de la thématique globale de l’esclavage (trop souvent réduite à celle de la traite occidentale), à la lumière du déroulé événementiel ainsi sommairement remémoré, sur les effets structurels du brusque passage, par le biais d'une conjoncture devenue soudainement favorable, d’un relatif oubli généralisé dans la conscience collective à une frénésie mémorielle dont on ne peut que remarquer les dérives entre us légitimes et abus de mémoire de ceux qui prétendent se poser en héritiers de leurs propres reconstructions, et, par conséquent, en victimes attributaires moralement prioritaires de la dette sociale.

Une telle posture engendre un privilège exorbitant qui met le reste du monde en position de débiteur de créances. Elle devient l'apanage de tous les zélés de la gloire.

Au-delà des manipulations intéressées appliquées ponctuellement aux éléments temporels, mais aussi aux lieux, les enjeux de la mémoire sont trop importants pour être laissés à la récupération personnelle ou collective, à l'enthousiasme ou à la colère, à la radicalisation subjectiviste.

A Bordeaux déjà, il y a dix-sept ans, Ousmane Sow, dans sa grande sagesse d'humaniste doublé de scientifique (il était kinésithérapeute, devenu artiste sur le tard), nous invitait plutôt par ses visions et son talent à méditer avec davantage de modération et de nuances sur un sujet aussi délicat :

« L’esclavage est un très lourd passé que les habitants de Bordeaux ne sont bien sûr pas tenus d’assumer. Sans vouloir atténuer la responsabilité des Bordelais ou des Nantais de l’époque, il faut avoir l’honnêteté de dire que s’il y a eu esclavage, c’est qu’il y a eu des gens qui ont vendu des esclaves. Et ceux qui les vendaient, c’était des gens de leur couleur, de leur village ». 

1 Jacques de Cauna, Fleuriau, La Rochelle et l'esclavage. Trente-cinq ans de mémoire et d'histoire, Paris, La Rochelle, Les Indes Savantes-Le Croît-Vif, mars 2017.

2 C’est le titre que j’avais donné la même année à mon troisième ouvrage sur le personnage : Toussaint Louverture. Le Grand Précurseur, Editions Sud-Ouest, Bordeaux, sep. 2012.

3 Jacques de Cauna, Toussaint Louverture et l'indépendance d'Haïti, Ed. Karthala, Paris, 2004, p. 50.

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Le baptême d'Henri de Navarre et la comtesse d'Andoins, mère de Corisande

3 Janvier 2018, 17:51pm

Publié par jdecauna

Histoire

21 déc. 2017 | Par Jacques de Cauna

Henri de Navarre, futur Henri IV de France (2)
La naissance d'Henri de Navarre au château royal de Pau, son grand-père, le roi Henri II d'Albret,  sa mère, la reine Jeanne, et ses dames d'atour, parmi lesquelles, la première, Marguerite de Cauna, comtesse d'Andoins, dame de Mugron et de Poyaler. Tableau de Dévéria (1827)

La naissance d'Henri de Navarre au château royal de Pau, son grand-père, le roi Henri II d'Albret, sa mère, la reine Jeanne, et ses dames d'atour, parmi lesquelles, la première, Marguerite de Cauna, comtesse d'Andoins, dame de Mugron et de Poyaler. Tableau de Dévéria (1827)

Nous avions évoqué dans notre « Lettre Baskulture » précédente la naissance d’Henri de Navarre, futur Henri IV de France, en rappelant le cantique « Nouste Daume deu cap deu pount » entonné par Jeanne d’Albret. L’historien Jacques de Cauna, docteur d’État de la Sorbonne, nous relate maintenant les circonstances du baptême du futur « Vert-Galant » :

Le Baptême de Lou nouste Henric

Le premier à évoquer le baptême du futur Henri IV, témoin digne de foi s'il en est puisqu'il fut plus tard précepteur du jeune prince, est le chroniqueur Pierre-Victor Palma-Cayet qui rapporte de son vivant en 1605 dans sa Chronologie Novenaire que « le baptistère de ce petit prince de Navarre fut fait dans Pau où il était né, en la même année qu'il naquit, ainsi que l'on comptait alors car l'on commençait les années à Pâques depuis le vingt-cinquième de mars, disant avant Pâques jusqu'au jour qu'elles étaient chaque année ; et après Pâques jusqu'au vingt-cinquième d'avril, l'on disait après Pâques. Mais selon que l'on compte à présent, ce prince fut baptisé en l'an 1554, le propre jour des Rois ». Avant de nous livrer d'autres détails parmi lesquels le nom des personnages présents ou représentés, le lieu et les circonstances du baptême, Palma-Cayet nous apprend que le petit prince, conçu au camp de Compiègne où Jeanne était allé rejoindre son mari en guerre, était né « dix jours après le retour à Pau de sa mère le 4 décembre 1553 » (dans la nuit du 12 au 13, entre une et deux heures du matin) sous l'affectueuse pression du grand-père qui voulait à tout prix qu'il soit le premier prince de Béarn à y naître. On sait qu'à la naissance, ce grand-père, le roi de Navarre Henri d'Albret, que les  Espagnols appelaient par moquerie El vaquero [le Vacher] en raison de la figure héraldique des deux vaches sur ses armes, offrit au nouveau-né, selon la tradition populaire, le baptême béarnais au vin de Jurançon après lui avoir passé une gousse d'ail sur les lèvres.

Hardouin de Péréfixe, qui écrit cinquante et un ans après la mort d'Henri IV une Histoire du roy Henry le Grand à l'intention de Louis XIV dont il était le précepteur, précise la date du baptême, après avoir repris les indications de Palma-Cayet. Ce n'est que trois semaines plus tard qu'« il fut baptisé, l'année, suivante le jour des Rois, sixième de Janvier mil cinq cent cinquante-quatre »[1554]. Il confirme aussi que « pour ce baptême, on fit expressément des fonts d'argent doré, sur lesquels il fut baptisé en la chapelle du château de Pau […] par le Cardinal d'Armagnac, Evêque de Rodez et Vice-Légat d'Avignon », qui était l'homme de confiance de la défunte reine de Navarre, Marguerite d'Angoulême, sœur aînée de François Ier et épouse d'Henry d'Albret, la mère de Jeanne.

Péréfixe confirme enfin, en des termes similaires à ceux de Palma-Cayet, le nom des parrains et marraines : « Ses Parrains furent Henry le Second, Roy de France (« le Roi Très-Chrétien Henry II »pour Palma-Cayet), et Henry d'Albret, Roy de Navarre, qui lui donnèrent leur nom ; et la Marraine fut Madame Claude de France, qui fut depuis Duchesse de Lorraine » (« pour la grande amitié qui était entre elle et la princesse Jeanne », précise Palma-Cayet). Il relève également que deux de ces illustres personnages, le roi français et sa fille, la princesse Claude, qu'il avait eue de Catherine de Médicis, étaient absents, retenus à la lointaine cour de France, puisqu'il est précisé que « Jacques de Foix, pour lors Evêque de Lescar, et depuis Cardinal, le tint sur les fonts au nom du Roy Très Chrétien, et Madame d'Andouins, au nom de Madame Claude de France » (« la comtesse d'Andouyns servit de marrine pour madame Claude », avait dit Palma-Cayet). Outre le respect de la hiérarchie nobiliaire du royaume, puisque l'évêque de Lescar est le premier ecclésiastique, premier personnage du Premier Ordre, le Clergé, et la comtesse, l'épouse du premier baron de Béarn, celui qui siège avant tout autre noble aux Etats, on reste donc en famille, puisque Jacques de Foix est aussi le fils de Corbeyran de Foix, baron de Rabat, lui-même fils du célèbre Corbeyran, vicomte de Couserans, précepteur et éminence grise de Gaston Fébus, et que Marguerite de Cauna, est l'arrière-petite-fille d'Isabel de Béarn, elle-même fille naturelle de Jean Ier de Foix, vicomte de Béarn.

C'est par une sorte de confusion que François Bayrou dans son Henry IV, et plusieurs autres,   assimilent à ce baptême la cérémonie qui eut lieu trois mois après la naissance, dans la grande salle du trône au premier étage du château, en donnant pour parrain à l'enfant royal le cardinal de Vendôme, Charles de Bourbon, frère d'Antoine, et pour marraine Isabeau d'Albret, dame de Rohan, sœur d'Henri d'Albret. Cette cérémonie officielle de représentation, très postérieure, en mars, correspond plutôt à une officialisation à la fois formelle et festive d'ordre dynastique et représentatif en présence de tous les vassaux béarnais et du peuple amassé aux portes du château.

Mais ce qui est le plus surprenant, voire prémonitoire, dans la cérémonie familiale du baptême réel telle qu'elle eut lieu dans la chapelle, c'est que la marraine substituée, celle qu'on appelait à la cour « la Comtesse », Marguerite de Cauna, comtesse d'Andoins par son mariage avec Paul d'Andoins, premier baron de Béarn, n'était autre que la future mère de Diane d'Andoins, plus connue sous le nom de « la belle Corisande », plus tard comtesse de Guiche, qui fut l'égérie et le grand amour de jeunesse d'Henri de Navarre qu'elle conseilla et aida de ses deniers pour la conquête de son royaume de France. Compte tenu des incertitudes sur la date de naissance de Corisande, il n'est peut-être même pas impossible que sa mère l'eût alors ce jour-là déjà portée en son sein...

La comtesse Marguerite de Cauna mourut très jeune peu après, et son mari, Paul d'Andoins, vicomte de Louvigny, baron d'Andoins, Hagetmau, Samadet et Mant, fut mortellement blessé à 42 ans au siège de Rouen, en octobre 1562, aux côtés d'Antoine de Bourbon qui, lui, mourut un mois plus tard lors d’un autre siège, aux Andelys, laissant doublement orpheline la jeune Corisande, élevée aux côtés du prince à Pau, et à Coarraze, sous la conduite de sa mère adoptive, la reine Jeanne. 

Jacques de Cauna, docteur d’État de la Sorbonne


 

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