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Le blog de Jacques de Cauna Chaire d'Haïti à Bordeaux

Du café dominguois au sucre cubain : les La Valade du Repaire de Truffin

20 Mai 2019, 14:07pm

Publié par jdecauna

Du café dominguois au sucre cubain : les La Valade du Repaire de Truffin

Lundi 27 Mai 2019 à l'Institut Cervantes, Bordeaux, 16h30-17h00

Jacques de Cauna, CNRS/EHESS CIRESC Chaire d’Haïti à
Bordeaux
Du café dominguois au sucre cubain : destinées coloniales et post- coloniales d’une famille aquitaine, les La Valade du Repaire de Truffin (XVIIIe-XXe siècles)

Au début du siècle dernier, dans un courrier du 2 octobre 1906 envoyé par le consul de La Havane à Léon Bourgeois, Ministre des Affaires Étrangères, au sujet d'une réunion provoquée par les menaces qui pèsent sur les Français et leurs possessions à Cuba en raison des troubles consécutifs à la guerre d'indépendance, le diplomate français évoque en ces termes ses compatriotes marquants dans l'île : 

« Le Comte de Beaumont, MM. Truffin, Loumiet, Labarrère et Dufau représentaient nos compatriotes propriétaires dans l’île dont les terres vaudraient 21 millions de francs (sucre, tabac, café)... Leur avis est unanime : ils ne souhaitent qu’une chose mais ils la souhaitent avec force, c’est que la crise cesse immédiatement et ne se renouvelle plus. Elle les expose : 1° à ne pouvoir faire leur récolte cette année. 2° à voir leurs fermes, leurs sucreries et leurs champs détruits. Tout régime qui leur donnera la sécurité sera le bienvenu et quelques planteurs seraient pour l’annexion américaine […]

Voici les chiffres qui m’ont été donnés à la réunion (sous toutes réserves) : il y aurait de 800 à 1 000 français épars dans l’île. Parmi eux les plus importants planteurs sont : Truffin (10 millions), Redort (3), Labarrère (2), Kurz (1,5), Laborde (1 ), Labaraque (1), Loumiet (0,8), Beaumont (0,3), Divers (2) ».

Soulignant que l'industrie française est « représentée d’une façon brillante à Cuba », le diplomate précise en exemple que « le trust des mélasses de M. Truffin [...] est la plus jolie démonstration de l’envergure toute américaine qu’une tête française sait donner aux grandes affaires ».

L'auteur du mémoire qui cite ce courrier souligne pour finir que « le premier des ces hommes, le plus riche, s’appelle Régis du Repaire de Truffin ». Malgré cette utile précision, le nom est encore incomplet puisqu'il s'agit en fait de François-Régis de La Valade du Repaire de Truffin.

Issu d'une famille noble du Périgord dont l'aïeul, passé à Saint-Domingue comme officier y était devenu planteur caféier par un mariage créole, il fut Consul impérial de Russie à La Havane en 1892 à 35 ans. Il avait reçu à ce titre la croix de Sainte-Anne et l’Ordre de Saint-Stanislas avant de revenir à la vie commerciale et aux affaires comme président de la Manati Sugar Co., puis investisseur et vice-président de la Cuba Cane Sugar Corporation en 1915 qui finit par contrôler, à travers les dix-sept centrales sucrières qu’elle avait acquises, la quasi-totalité du sucre cubain, ce qui en fit la première compagnie sucrière du monde. Il fut aussi un membre important de la Société de Bienfaisance française et présida la Compania Cubana de Jarcia, la Cuban Rope Factory, la Chambre Franco-Cubaine de Commerce, le Vedado Tennis Club, le Country Club, le Yacht Club de La Havane et l’Union Club situé sur l'avenue qui prit son nom. A l’origine de la construction du Ferrocarril del Norte de Cuba qui, terminé en 1920, reliait tout le nord de la province de Camaguëy (ex Puerto-Principe) au port de Nuevitas, permettant à toute une région d’embarquer ses produits, en particulier la canne à sucre, il fut ainsi l'artisan du développement de la plus grande centrale sucrière du monde gérée par la American Sugar Refining Co. Il offrit enfin à sa seconde épouse un magnifique domaine urbain dans le quartier de Vedado à La Havane, la finca Mina, qui devint plus tard le célèbre cabaret Tropicana sur l'avenue qui porte son nom, comme la petite ville de Truffin, près de Camagüey.

La famille, dont subsiste en France une postérité charentaise et une autre girondine, a des descendants à Cuba, en Espagne, aux Canaries, aux Etats-Unis en Floride et en Californie, en Belgique, en Allemagne, en Nouvelle-Zélande...

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Le château de Caumale à Escalans, haut-lieu d'histoire gasconne et créole

18 Mai 2019, 17:05pm

Publié par jdecauna

Le château de Caumale à Escalans, haut-lieu d'histoire gasconne et créole

Le château de Caumale à Escalans, haut-lieu d'histoire gasconne et créole

Château gascon, château de dames

Longtemps, le château de Caumale, archétype du château médiéval gascon, aux confins du Gabardan et de l'Armagnac, a dressé la puissante mais fantomatique silhouette de ses hautes tours aux toitures dévastées par les intempéries à la sortie de la ville de Gabarret sur la route de Castelnau d'Auzan, comme un ultime témoignage de sa splendeur passée avant une disparition qui paraissait annoncée et inéluctable. Car les châteaux meurent aussi comme nous l'a montré il y a peu le château voisin de Bertheuil à Campagne. Mais l'histoire, intangible, veille, et l'antique demeure est aujourd'hui sauvée après avoir bien changé au cours des siècles. C'est une nouvelle fois une bonne fée qui est venue réveiller ce beau château qui avait pris l'habitude, comme Chenonceau, d'être transmis par les dames…

Aussi loin que puisse remonter la mémoire historique des pierres, c'est en effet à Aliénor d'Aquitaine qu'il faut se référer pour retrouver la propriétaire de la forteresse bâtie autour du gros mur de refend, âme de la maison, aujourd'hui caché dans la restructuration intérieure d'un couloir du rez-de-chaussée. Mais à quoi pouvait rimer cette présence massive d'une forteresse en plein champ sans même la traditionnelle motte féodale justifiant une position militaire défensive ? Il faut prendre le temps de contourner le château par le Nord pour découvrir, de l'ancienne route, qu'il occupe en réalité la dernière marche de la plaque du piémont pyrénéen avant la grande forêt, face aux Barbares du Nord. Et, plus tard et vers l'Est, qu'il est la première défense face aux grands ennemis voisins : la maison des comtes d'Armagnac, alliés aux souverains français contre le pouvoir anglo-gascon. C'est ce qui explique la présence de meurtrières dans les communs appuyés sur les murs d'enceinte qui forment une cour intérieure carrée, et des deux petites tours d'angles massives du XIIe siècle subsistantes. C'était aussi le château-refuge de la ville toute proche de Gabarret vers laquelle s'ouvre un mystérieux souterrain.

Les célèbres Rôles Gascons, témoins des actes des successeurs de notre duchesse devenue reine d'Angleterre, nous apprennent que les rois-ducs, depuis au moins Richard Cœur-de-Lion et son compagnon d'armes et ami, Arnaud-Guilhem de Marsan, le troubadour d'Aliénor, avaient confié la garde de la ville et château de Gabarret à ces Marsan, co-seigneurs de Roquefort avec les vicomtes leurs cousins fondus au fil du temps dans les maisons de Bigorre, de Gabardan et de Béarn par les alliances de Guiscarde de Béarn, Béatrix et Pétronille de Bigorre, Mathe de Mastas, puis sa fille Marguerite de Béarn qui porta ces biens par mariage au comte de Foix, Roger-Bernard, bisaïeul de Gaston Fébus. Ce qui valut à Caumale d'être épargné par le Prince Noir lors de sa Grande Chevauchée.

On a surtout retenu parmi eux la grande dame que fut Clarmonde de Marsan, issue du troubadour et mère du célèbre Pées de Gabaston qu'Edouard II appelait son frère (certains historiens anglais évoquent une paternité royale, d'une liaison avec Clarmonde lors d'un séjour d'Edouard Ier). Son mari, Arnaud de Gabaston, tenait toute la terre de Gabardan que son autre fils Arnaud-Guilhem de Marsan remit à Gaston de Béarn. Ces biens parvinrent ainsi à Jeanne d'Albret, mère du futur Henri IV, qui racheta les fiefs restants d'Escalans à Françoise de Marsan, dame du château voisin de Lacaze à Parleboscq.

Château noble, château créole

C'est donc à Louis XIII que le premier membre connu de la famille de gentilshommes verriers des Grenier de Caumale, Fortis, rendit hommage en 1618. On lui doit sans doute l'apparence actuelle du château noble avec ses pierres de taille marquées de rosaces de compagnons. Quatre générations plus tard, une autre demoiselle, sa dernière héritière, Jeanne de Grenier de Caumale le transmit à sa fille, Marie-Paule de Boyrie de Caumale, et elle-même à sa fille, Jeanne-Marie-Françoise de Tartanac de Gensac, laquelle, devenue Madame Bernard de Laborde de Mirambel par mariage à Escalans en 1788 avec un avocat bordelais, vendit en 1830 avec sa sœur à un ancien colon gascon de Saint-Domingue, Joseph-Bernard, alias José, Delisle, créole de Labastide d'Armagnac.

Celui-ci, ruiné par la révolution des esclaves après un riche mariage créole avec une Duverger, avait refait sa fortune dans le café à Cuba, dans l'Oriente, sur les hauteurs de la Sierra Maestra, et, comme tout colon « américain » rêvait de rentrer au pays richissime et en position de s'y installer comme châtelain et d'y marier ses filles dans la noblesse. Ce qui ne manqua pas d'arriver avec Catarina-Ygnacia de La Merced Delisle, née à Santiago de Cuba, dite Nathalie en famille, unie au marquis de Cumont dont les héritiers vendirent plus tard à Marie Maysonnave, aïeule des actuels propriétaires.

Une importante restauration du château avait eu lieu à l'époque des Boyrie comme en attestent leurs armes de sinople au chevron d'argent accompagné de 3 chabots de sable et 2 merlettes en chef gravées sur la porte d'entrée sud aujourd'hui condamnée. Le château dut alors y gagner en apparence et confort. C'est de cette époque pré-révolutionnaire que datent sans doute les fenêtres en trompe-l'œil destinées à donner une apparence de symétrie classique de meilleur aloi aux façades. Une autre restauration intervint avec les nouveaux occupants créoles qui marquèrent l'intérieur de fresques exotiques très colorées sur des fonds de mur ocres, orangés ou rougeâtres. On peut imaginer aussi qu'ils attachèrent quelque importance aux jardins extérieurs et au potager grillé où pouvaient être cultivés quelques produits des îles pour leur alimentation ou leur agrément. Lors de leurs divers séjours à Caumale, les Delisle rapportaient de leurs voyages cabosses et fèves de cacao, grains de café verts ou en coques, sucre de canne brut ou terré, piments et autres épices. Ils ont apporté ainsi une note que l’on imagine particulièrement exotique à la région pour l’époque, et laissé une empreinte bien singulière à Caumale, toujours visible…

Cette créolisation des lieux permet d'évoquer lors des visites costumées du château le florissant commerce des denrées coloniales : café, cacao, coton, sucre, indigo... expédiées des îles vers les grands ports aquitains de Bordeaux, La Rochelle et Bayonne. Mais aussi l'esclavage des Noirs aux Amériques dont certains, jouissant d'un statut privilégié de domestiques de confiance, pouvaient accompagner leurs maîtres en France à l'occasion de voyages. On voyait aussi sur les listes de débarquement de nombreux petits « mulâtres », enfants de colons et de leurs ménagères de couleur, mais très rarement des enfants noirs esclaves, négrillons et négrittes, qui, sur les plantations, vivaient en bande sous la conduite d'une vieille domestique jusqu'à l'âge de douze ans avant de rejoindre les ateliers pour les rudes travaux des champs.

C'est toute cette histoire hors du commun, marquée par la présence de grands noms tels que Rochambeau, Casamajor, Préval, Vaublanc, Humbolt, Vilmorin…, que les actuels propriétaires, Geneviève et Pierre Fabre, ancien diplomate, et leurs proches font revivre aujourd'hui dans l'antique demeure léguée par un vieil oncle qui avait conservé dans une grande maison de Gabarret le mobilier du château mis en fermage. Ce qui a permis, avec les pièces d'archives, plans, inventaires et correspondances conservés, de reconstituer un intérieur qui a retrouvé et sans doute même surpassé sa splendeur créole d'antan. D'innombrables trésors d'objets d'art, tableaux, porcelaines, chocolatières..., y attendent le visiteur. Classé à l'ISMH, Caumale est devenu aujourd'hui le siège de la Fédération des Académies de Gascogne et de la Demeure Historique des Landes et offre un prestigieux éventail d'activités culturelles et artistiques gasconnes et créoles.

Dans le droit fil, figurent parmi les héritiers des petits-enfants créoles vivant aujourd'hui dans l'île antillaise de Saint-Martin.

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Les vestiges d'habitations en Haïti : médiatiser une collection patrimoniale à ciel ouvert

6 Mai 2019, 10:40am

Publié par jdecauna

Vestiges de l'aqueduc d'une grande sucrerie de la colonie française de Saint-Domingue en Haïti (c) Jacques de Cauna, 1978

Vestiges de l'aqueduc d'une grande sucrerie de la colonie française de Saint-Domingue en Haïti (c) Jacques de Cauna, 1978

Communication de Jacques de Cauna aux 7e Rencontres Atlantiques

le vendredi 10 mai 2019 à 9h15 à Bordeaux, 

Musée d'Aquitaine, 20 Cours Pasteur (entrée gratuite)

Dans le cadre du colloque international  Les sémiophores des esclavages et des traites organisé avec le concours du CIRESC. 

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