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Le blog de Jacques de Cauna Chaire d'Haïti à Bordeaux

Aquitains de couleur oubliés : les traces

21 Octobre 2020, 16:24pm

Publié par jdecauna

Qui suis-je ? (c) Jacques de Cauna

Qui suis-je ? (c) Jacques de Cauna

Traces, mémoire, postérité, image

Nous n’évoquerons que très rapidement Pétion dans ce domaine, si ce n’est pour rappeler qu’il laissa la meilleure image possible en Haïti mais qu’il reste totalement inconnu et sans traces visibles à Bordeaux alors qu’elles sont extrêmement nombreuses en Haïti : entre autres, un lycée à son nom dans la capitale et une statue en pied sur la place centrale du Champ-de-Mars, ainsi que de nombreux portraits parmi lesquels celui des pères de la patrie et le très célèbre Serment des Ancêtres de Guillaume Guillon-Léthière où il figure aux côtés de Dessalines sous les auspices de l’Etre Suprême pour symboliser l’union des Noirs et des Mulâtres. On trouvera d’ailleurs tous les détails souhaitables dans la monumentale biographie que lui a consacrée l’historien haïtien Joseph Saint-Rémy1.

Nous nous attarderons plutôt quelque peu sur un projet de mausolée qui ne vit pas le jour et qui résume assez bien la bonne opinion générale. On en a retrouvé la trace récemment aux Etats-Unis sous la forme d’une gravure peu connue intitulée Tombeau d'Alexandre Pétion2 dont le centre est constitué par une grand portrait ovale de Pétion en profil gauche placé au-dessus d’une bière classique en marbre, encadrée de deux de ses soldats, l’un blanc et français, l’autre noir et haïtien, et entourée de figures gravées et surmontée d’un bandeau métallique portant l’inscription « JP Boyer 30 Mars 1818 ». On voit au-dessus un rayon de soleil transperçant les nuages vers les mots « Liberté, Egalité », avec une série de symboles parmi lesquels on remarque deux livres intitulés Constitution d'Haiti et Code d’Haïti.  On lit enfin sous le portrait la célèbre formule : « Il n'a jamais fait couler les larmes de personne » et tout à fait au bas l’inscription descriptive suivante : 

L'image d'Alexandre Petion reparaît au milieu de son Tombeau. Deux Faisceaux emblèmes de l'Union de la famille Haitienne en soutiennent le Sarcophage. Deux de ses Soldats gardent ce monument consacré à la Postérité de la Liberté et l'Egalité qui émanent les Rayons de sa gloire. La Justice et la constitution en ferment le foyer. Le Bas-relief du Tombeau représente le Temps qui console la République en lui montrant sur le Bouclier de Mars le nom de celui que ses enfants ont choisi pour présider désormais à sa Félicité et à son Bonheur.

Pour ce qui est de Montbrun, présent comme Pétion dans toutes les histoires d’Haïti et à un degré moindre dans les manuels scolaires mais absent des représentations nationales et totalement méconnu à Bordeaux, à l’exception d’un dictionnaire récent3, on en trouve également la trace dans un catalogue de vente récent, sous la forme d’une pièce ainsi décrite4 :

Curieux document « Délivré d'ordre du Commissaire Général sur la lettre du citoyen Monbrun, Commandant d'armes de cette place […au…] citoyen Jean-Joseph M. [nom de famille gratté, peut-être Montbrun ?], profession de Déporté natif de Saint-Pierre, département de la Martinique […afin de] lui procurer aide et assistance dans toutes les occasions... ». On peut se demander ce qu'avait fait ce jeune homme de « vingt deux ans et 6 mois », mesurant « un mètre 73, châtain », aux « yeux bleus », pour mériter de « librement circuler […en tant que] déporté » de Bordeaux à Bayonne.

Et l’auteur de la notice de conclure en ces termes sans équivoque :

Le général Hugues Montbrun de Pomarède (1756-1831) était originaire de Saint-Domingue ; les ouvrages que nous avons consultés nous le présentent comme un personnage fort douteux…

L’examen des principales sources de l’histoire de Saint-Domingue ne permet pas de lever ces doutes.

Son principal accusateur, l’auteur anonyme anti-abolitionniste du Précis historique, sans doute le magistrat blanc Pélagie-Marie Duboys, le présente comme acharné à la perte des Blancs et responsable du seul guillotiné dominguois, le gérant de l’habitation Michaud, Pelon, que « le Grand-Juge Montbrun » avait condamné à mort « pour avoir menacé de son fusil un Nègre qui résistait à ses ordres ». Il ajoute qu’« il tomba sous le couteau de la guillotine que Montbrun, par les ordres de Polvérel, avait fait élever sur la place du marché, en vue de la maison qu’il occupait » et par les fenêtre de laquelle « il savourait avec une satisfaction féroce le spectacle de son jugement inique » dont il imposa ensuite la vue aux malheureux prisonniers blancs récemment arrêtés à Jacmel en ayant « la barbarie d’ordonner au piquet de gendarmerie qui les escortait de leur faire faire le tour de la guillotine encore toute dégoûtante du sang de l’infortuné Pelon ». Il lui reproche aussi d’avoir ordonné de « fusiller sur le champ le premier qui résisterait » à son ordre de désarmement général des Blancs après la libération des esclaves et de s’être partagé avec ses officiers « les plus riches et les meilleures » des armes confisquées. Il nous montre enfin les quatre cinquième des Blancs de la ville « gémissant dans la geôle du Port-au-Prince, exposés à la brutalité de H. Montbrun qui allait souvent se repaître du spectacle de leurs fers. Dans la joie de les voir sous ses pieds, il les accablait lâchement des injures les plus atroces ; on l’a vu même se porter à les frapper avec rage »5. L’autre grand historien classique mulâtre d’Haïti, Thomas Madiou fils, nous dit au contraire que l’installation de la guillotine et la condamnation à mort de Pelon étaient l’œuvre de Sonthonax et que, d’ailleurs, dès que « la tête de Pelon tomba dans le panier, un cri d’horreur sortit de la foule [et que] cette hideuse machine effraya l’imagination impressionnable des Noirs qui se précipitèrent sur elle et la renversèrent ». Il ajoute un peu plus loin que, malgré la blessure de Montbrun au fort Bizoton, « on le soupçonnait dans toute la ville d’avoir trahi », et rapporte le portrait peu élogieux et désabusé qu’en fait Polvérel, qui l’avait soutenu contre Sonthonax, dans une lettre au général mulâtre Rigaud, commandant de la partie du Sud qu’il estimait « comme intrépide et loyal républicain » :

Le Port-Républicain a été livré aux Anglais : cette trahison est l’ouvrage des anciens libres de toutes les couleurs. Il s’en faut beaucoup que Montbrun soit exempt de soupçon; il est à craindre qu’il ne livre aux Anglais tous les quartiers dont il aura la prépondérance et qu’il intriguera dans les autres pour y propager le même plan de trahison, vous savez que je n’ai jamais eu de confiance en sa moralité ; je ne comptais que sur la justesse de son ambition bien calculée. Il m’a trompé même sur ce dernier point ; il est décidément l’ennemi de la liberté et des nouveaux libres [les anciens esclaves] ; il l’assassine en la caressant, il finira par avoir la récompense qu’il mérite.

« Dévoué à la République » mais « d’un caractère impérieux » qui finit par le faire fâcher avec tout le monde et « ayant commis – selon Madiou – la faute capitale de se conduire mollement en présence de l’étranger, en haine de Sonthonax », Montbrun finit par se retirer sur son habitation d’Aquin où Polvérel le fit arrêter et incarcérer à Saint-Louis-du-Sud par Rigaud, après avoir livré au pillage ses propriétés, avant de le faire envoyer en France où il fut emprisonné dès son arrivée à Rochefort6.

Nous savons d’autre part, par l’autre grand historien classique mulâtre d’Haïti Beaubrun Ardouin et par les accusations portées contre lui par des colons comme Larue, l’un de ses détracteurs, que Montbrun « était riche ». Il possédait en effet à Saint-Domingue 543 esclaves. Selon Ardouin, lorsque le commissaire civil bayonnais Polvérel voulut proclamer la liberté générale des esclaves, il aurait d’abord confié son embarras à ce sujet à Montbrun et son projet d’y faire concourir les propriétaires eux-mêmes. Ce dernier, « convaincu, comme Polvérel, de la justice de cette mesure », aurait alors proposé de s’offrir en exemple et « signa le premier acte de manumission. Son exemple fut suivi [et] joyeux de trouver en ce mulâtre ce sentiment d’équité et d’attachement pour les noirs, Polvérel l’embrassa en le comblant d’éloges »7. On a bien de la peine à accepter cette version du grand historien mulâtre lorsqu’on sait, par les archives bordelaises, que trois ans plus tôt, en 1790, Montbrun s’était rendu en personne à la Chambre de Commerce de Bordeaux à la tête des députés de son régiment pour y déposer une de protestation contre le projet d’abolition de l’esclavage8. La même suspicion pèse sur la tentative globale de B. Ardouin de justifier sur plusieurs pages le rôle ambigu de Montbrun dans les événements de mars 1794, en attribuant ses actions violentes contre les blancs de la ville à des réactions d’auto-défense face aux intrigues de Desfourneaux et de Martial Besse. Dans la présentation des causes de l’hostilité du commissaire civil Sonthonax envers Montbrun, Ardouin avance le fait qu’il s’en méfiait en tant qu’ancien aide-de-camp du gouverneur royaliste d’Esparbès, chassé après un complot, qu’il lui reprochait d’avoir procédé à des arrestations massives de Blancs et d’aucun homme de couleur en novembre 1793 lorsqu’il lui avait demandé de désarmer la population des anciens libres de Port-au-Prince, et surtout d’avoir attaqué par surprise de nuit et à grand renfort d’artillerie (sans doute commandée par Pétion) les casernes du régiment d’Artois lors de l’affaire du 17 mars 1794. Pour ce dernier fait, véritable tentative de coup de force visant à remplacer les Blancs par les Mulâtres, Ardouin, dans son entreprise visant selon ses propres mots à « détruire ce qu’il y a de calomnieux pour un de nos premier révolutionnaires », n’hésite pas à affirmer que

Montbrun, convaincu des mauvaises intentions de Desfourneaux, eut assez d’intrépidité pour le prévenir au lieu de se laisser attaquer. Pouvons-nous l’en blâmer ?

Le journaliste et polémiste Gatereau va même plus loin en avançant que Sonthonax en avait donné l’ordre à Desfourneaux, alors que le commissaire fut réellement mis devant le fait accompli et forcé quasiment manu militari, devenu l’otage de Montbrun et pendant que l’on assassinait les Blancs en ville, d’accéder à la demande de renvoi en France de Desfourneaux et du régiment d’Artois imposé par Montbrun. C’est ce que Sonthonax veut dire exactement lorsque réinstallé dans ses fonctions le lendemain, il annonce qu’il n’est plus commissaire civil puisqu’on a « méconnu son autorité », et ce que ne peut nier Garran-Coulon dans son rapport, même s’il veut à tout prix défendre Sonthonax en accusant les colons blancs, ce qui l’embarrasse bien dans son jugement des actes de Montbrun, pur produit des commissaires qui l’avaient nommé gouverneur de la partie de l’Ouest et dont il ne peut finalement que souligner la duplicité et « l’absence totale de moralité ». Pamphile de Lacroix, de son côté, le dit « plein de méfiance, d’amour-propre et d’orgueil, comme tous ceux de sa caste »9.

La version d’Ardouin et Gatereau est en fait insoutenable. Il y eut effectivement complot comme le rapporte avec suffisamment de précisions le colon Drouin de Bercy. Celui-ci nous apprend en effet que « lors de la conspiration du 15 avril 1794, les Blancs furent sauvés par l'indiscrétion d'un mulâtre nommé Benjamin, aide de camp du colonel Montbrun, qui avait conseillé à sa mère [souligné par nous], Marie-Thérèse le Rembourg [sic] de « ne pas sortir de chez elle parce qu’on devait assassiner tous les Blancs dans la même nuit »10. Or, cet aide de camp, qui avait déjà sauvé Montbrun en abattant le capitaine anglais venu l'arrêter au saut du lit lors de la prise du fort Bizoton, était, en réalité, Benjamin Ogé, quarteron né aux Cayes en 1772, lieutenant de la 3e compagnie de la Légion, comme nous l'apprend Saint-Rémy11.

Notons au passage que ce personnage de Benjamin Ogé – qu'il s'agisse du fils (ou d'un parent) du martyr de la cause de la liberté des hommes de couleur, Vincent Ogé, ou qu’il ait été celui du brillant colonel Montbrun, tous deux très attachés à Bordeaux où ils avaient été élevés, ou de quelque autre mulâtre puisqu'il était quarteron – nous fait toucher du doigt à quel point la distance n'était pas si grande qu'on pourrait se plaire à l'imaginer entre les blancs et cette première génération de mulâtres aquitains. Marie-Thérèse le Rembourg, dont l’orthographe du nom a été francisée, ne pouvait être de son côté que cette fille du Basque Michel-Joseph Leremboure, premier maire de Port-au-Prince, dont la mémoire familiale n’a pas retenu le prénom – blanche si elle était fille légitime, ou quarteronne si elle était fille d’une mulâtresse « ménagère » (terme créole qui désignait pudiquement la concubine de couleur d’une grande partie des colons). Or, Dans sa Réclamation en Indemnité datée du 3 janvier 1826, Paul-Salvador, fils de Michel-Joseph Leremboure dit qu’il agit « à titre de fils devenu unique par le décès de ses frères et de sa sœur mort célibataires ou sans avoir eu d’enfants ». Et il ajoute : « Ma sœur seule avait été mariée ». D’après les papiers Fleuriau, cette sœur, dont on ne connaît pas le prénom, avait effectivement épousé le négociant Jean-Baptiste Duliepvre, de la maison Da Sylva et Duliepvre, de Port-au-Prince. Il semble bien donc qu’il ne faille pas la confondre avec Marie-Thérèse le Rimbourg.

La fin du parcours dominguois de Montbrun fut conforme à ce qu’on pouvait pressentir. C’est encore Saint-Rémy qui en précise les détails12. Relégué à Jacmel dans le Sud après l’affaire de Bizoton et sentant la fausseté de sa position, il en partit le 6 thermidor (24 juillet 1794) pour ses terres d’Aquin sous prétexte de se rétablir de ses blessures, laissant le champ libre à son compétiteur Bauvais. Ce dernier l’ayant à nouveau accusé d’avoir trahi pour les Anglais, il revient le 29 thermidor (16 août) dans la ville où la moitié de la garnison, dont Pétion, prend parti pour lui et se retranche au fort du Bel-Air après qu’il eut fait arrêter les deux principaux lieutenants de Bauvais. Rigaud, appelé en médiation avec Pinchinat obtient le 12 fructidor (29 août) que Montbrun se retire sur ses terres où il le fait arrêter le 22 fructidor (8 septembre) et embarquer pour la France.

 

Annexes

I- Généalogie Montbrun de Pomarède

 

I- Marie-Thérèse Morino (ML ?) X1 Claude Leclère (ou Leclert, Leclerc), d’où :

  1. N. Leclère X N., d’où :

a) Jeanne-Françoise Leclère X1 Peynaud (alias Paynaud) Dessouches, et X2 Huet Blanchetière, alias Blanchetterie (postérité(s) ?)

b) Marguerite Leclerc, veuve Paynaud (postérité française ?)

  1. et ? (sans doute) Anne-Elisabeth Leclère, fille, X N. Sévène, d’où :

a) Victor Sévène, peut-être marié à Catherine-Nina Guilhou (postérité Sévène à Bordeaux),

b) ? et Marie-Anne-Françoise-Adélaïde-Coralie Sévène X N. Lacouture (post. Lacouture, Bordeaux ?). C’est sans doute elle qui signe Coralie Sévène Senet (premier ou second mariage ?), en compagnie de Jeanne et Clarisse Senet, au contrat de mariage de sa cousine issue de germain Angélique-Radegonde de Montbrun le 15 avril 1818,

c) et, sans doute, b) ? Adélaïde Thérèse-Guillemette Sévène, dite Adèle X Jean-Jacob Elie, d’où postérité haïtienne Elie,

 

I bis- Marie-Thérèse Morino (ML ?) X 2 Vincent Brisset de Montbrun, d’où :

  1. Messire Hugues Brisset de Montbrun de Pomarède, chevalier des ordres royaux de Saint-Louis et de la Légion d’Honneur, maréchal de camp des armées du Roi, X en premières noces Radegonde-Angélique Borie de Pomarède, fille de Jacques de Borie, seigneur de Haut-Pomarède, et d’Elisabeth Talbot, d’où :

a) Joseph Brisset de Montbrun de Pomarède, né à Castres-Gironde le 24 décembre 1784 (postérité Montbrun ?).

Hugues Montbrun épousa en secondes noces vers 1792 dame Marie-Thérèse Roux de La Broge, sans postérité.

  1. Messire Joseph de Montbrun des Halliers, marié à dame Barbe Senet, fille de N. Senet et de Daisy Blanc, lequel Senet avait dû épouser auparavant une demoiselle Sévène (peut-être Coralie) d’où :

a) Angélique-Radegonde de Montbrun, mariée par contrat du 15 avril 1818 Messire Pierre de Lavergne Delage aîné, chevalier de Saint-Louis, fils de Messire Jean de Lavergne Delage et de dame Suzanne de Lavergne Perdouble, d’où postérité Lavergne, Bordeaux.

b) Lucie de Montbrun,

c) et Mirza de Montbrun.

  1. Marie-Thérèse Brisset de Montbrun, X Philippe Blanc Dubignac (post. à Bordeaux ?),

  2. ? Mariane Montbrun, mulâtresse libre, marchande à Port-au-Prince.

 

II- Postérité Elie / Sévène

III- Adélaïde Thérèse-Guillemette Sévène, dite Adèle, née en France, fille de N. Sévène et d’Anne-Elisabeth Leclerc, X Port-au-Prince, ca 1816 Jean-Jacob Elie, dit Titon, ML, né à Saint-Marc le 21 septembre 1781, mort à Port-au-Prince le 3 janvier 1870, fils naturel de Pascal Elie, colon originaire de Pau, et de Marie-Louise Alouba, ML. Il fut intendant militaire, sous-préfet de Tortosa en Espagne, chevalier de la Légion d’Honneur en France sous Napoléon, puis en Haïti général de division, Ministre des Finances, comte de la Nouvelle-Touraine (sous Soulouque) et Sénateur de la République, d’où neuf enfants dont :

  1. Hugues-Montbrun-Henry Elie, né à Port-au-Prince le 1 juillet 1822, employé à la chambre des comptes, puis chef de bureau au ministère des Finances, marié à Port-au-Prince en 1868 avec Marie-Rose-Amélie Mathieu, fille naturelle de Zélie Mathieu, sans postérité,

  2. et Thomas-Prosper-Elie, qui suit :

 

IV- Thomas-Prosper-Elie, né à Port-au-Prince le 8 avril 1821, fusillé au fort Lamarre le 23 février 1867 dans une révolte armée contre le président Fabre Geffrard, épousa le 17 mai 1845 Jeanne-Julienne-Célie Dufrène, d’où huit enfants, parmi lesquels le suivant :

 

V- Faustin-Montbrun Elie, né à Port-au-Prince le 15 février 1851, mort le 2 décembre 1929, ingénier, encanteur public, magistrat communal, marié à Marie-Madeleine Jackson, née aux Cayes en 1857, d’où sept enfants, parmi lesquels le suivant :

 

VI- Jean-Léonel-Georges Elie, né le 21 janvier 1894, mort le 26 juin 1980, officier de l’armée haïtienne, marié le 17 mai 1922 à sa cousine Marie-Anne-Francine Cassagnol, fille de Rémy-Victor Cassagnol et de Marie-Françoise-Francine Elie, elle-même fille de Thomas-Pascal Elie, dit Titon, petit-fils de Pascal Elie, né à Lucq-de-Béarn le 26 octobre 1816, d’où cinq enfants, parmi lesquels le suivant :

 

VII- Joseph-Montbrun-Gérard Elie, né à Port-au-Prince le 1 décembre 1931, agent financier, marié à Brooklyn (New York) en 1963 avec Marie-Victoria Habib, née à Saint-Marc, d’où deux filles, Elisabeth et Linda, et postérités Ercolano et Acri.

 

III- Etats de Services de POMAREDE, Hugues BRISSET de MONTBRUN, Général de brigade à titre provisoire [Service Historique de l’Armée de Terre, 20 Yd 81].

 

Dates: 12/06/1756 (Saint-Domingue)-05/06/1831. Pas de photographie.

Arme: Infanterie puis Cavalerie.

Grades:

    - 27/09/91 lieutenant-colonel.

    - capitaine.

    - 20/04/93 adjudant général chef de bataillon à titre provisoire.

    - 16/06/93 adjudant général chef de brigade à titre provisoire.

    - 11/05/00 adjudant général.

    - 13/05/00 général de brigade à titre provisoire.

    - 13/10/00 redevient adjudant général.

Postes:

    - 01/01/27 admis en retraite.

 

IV- Chasseurs Volontaires de Saint-Domingue (Guerre d’Indépendance américaine)

 

Les 25 chasseurs volontaires dont les noms suivent ont, parmi d’autres, participé à la campagne de Georgie :

Astrel Pierre,

Pierre Auba,

Louis-Jacques Beauvais,

Jean-Baptiste Mars-Belley,

Martial Besse,

Guillaume Bleck,

Pierre Cangé,

Jean-Baptiste Chavannes,

Henry Christophe,

Pierre Faubert,

Laurent Férou,

Jean-Louis Froumentaine,

Barthélémy-Médor Icard,

Gédéon Jourdan,

Jean-Pierre Lambert,

Jean-Baptiste Léveillé,

Christophe Mornet,

Vincent Olivier,

Pierre Pinchinat,

Jean Piverger,

André Rigaud,

Césaire Savary,

Pierre Tessier,

Jérôme Thoby,

Jean-Louis Villatte…


 

1 Joseph Saint-Rémy (des Cayes), Pétion et Haïti, étude monographique et historique, Paris, chez l’auteur, 1854, 5 tomes, 2 édition, Paris, Berger-Levrault

2 Nous en devons la communication à l’amabilité de M. Doug Haeuber, Princeton, New Jersey. La gravure à l’aquatinte (48 cm sur 35) est imprimée en noir et blanc et paraît correspondre à deux documents conservés dans le Cabinet des Estampes de la Bibliothèque Nationale à Paris, sous deux cotes Qg 3, tome 1, folio (microfilm M 242961, L'histoire des Antilles) et N3 Pétion (microfilm D 291411, Les portraits). Aucune de ces deux épreuves, identiques, ne mentionne le graveur.  Un autre portrait à l'aquatinte de Pétion, sous la cote N3 Pétion (microfilm D 291412), toujours anonyme, paraît de la même main. On le voit debout, près du mur du palais du gouvernement, avec en titre au bas Alexandre Petion Président d'Haïti. Dédié à Jn Pre Boyer Président d'Haïti par son dévoué serviteur Barincou [A. Barincou, graveur français du 19ème siècle, actif entre 1823 et 1828] dont on peut donc supposer qu’il est aussi l’auteur du portrait (communication aimable de Mme Madeleine de Terris). Barincou est connu en Haïti pour avoir été durant son séjour à Port-au-Prince l’auteur du portrait officiel en pied du président Pétion qui figure en exergue de l’ouvrage de Saint-Rémy.

3 Mario Graneri-Clavé et alii, Le Dictionnaire de Bordeaux, Toulouse, Editions Loubatières, 2006, article Pétion (JdC).

4 Passeport d'un Martiniquais, 1801, délivré par Pierre Pierre, Commissaire général de Police de Bordeaux, 1 p. in-folio, Bordeaux, 3.IV.1801. Texte en partie imprimé, papier défraîchi et bruni par endroits, pièce 156. Ce commissaire était sans doute lui aussi un mulâtre, comme semble l’indiquer son nom.

5 Anonyme [P. M. Duboys], Précis historique des Annales de la colonie française de Saint-Domingue depuis 1789…, ms transcrit et communiqué par Gabriel Debien, Mézeaux, 2 vol., tome I, p. 141-149.

6 Thomas Madiou fils, Histoire d’Haïti, Ed. Deshamps, op. cit., I, 215, 241-246.

7 Beaubrun Ardouin, Etudes sur l’histoire d’Haïti, Paris, Dézobry et E. Magdeleine, 1853-1865, 11 vol., réédit. Port-au-Prince, Dalencour, 1958, 11 tomes en 1 vol., II, 94, note 2.

8 AD Gironde, C4259, Visite faite à la Chambre par les députés du régiment patriotique de S-Eulalie, ayant à leur tête le colonel, de Montbrun de Pomarède, qui remet sur le bureau des exemplaires de deux adresses, l'une de félicitations à la garde nationale de Paris, l'autre de protestation contre les projets d'abolition de l'esclavage ; texte de la réponse du juge et délibération chargeant deux délégués de la Chambre de se rendre, le dimanche suivant, auprès dud. régiment « assemblé dans une des salles de la maison des PP. Feuillans » (14 janvier 1790).

 

9 Général baron Pamphile de Lacroix, Mémoires pour servir à l’histoire de la Révolution de Saint-Domingue, Paris, Tillet aîné, 2 vol., I, 283-285.

10 Drouin de Bercy, De Saint-Domingue, de ses guerres, de ses révolutions, de ses ressources, des moyens à prendre pour y rétablir la paix et l'industrie, Paris, Hocquet, 1814, p.15.

11 Joseph Saint-Rémy (des Cayes), Pétion et Haïti, étude monographique et historique, Port-au-Prince, 1853-1857, rééd. Paris, Berger-Levrault, 1956, 5 vol., t. 3, p. 92.

12 Ibid., t. 3, p. 96.

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Le dilemme identitaire : rester français ou devenir haïtien (Grands Hommes de couleur... suite)

8 Octobre 2020, 17:06pm

Publié par jdecauna

Le dilemme identitaire : rester français ou devenir haïtien (Grands Hommes de couleur... suite)

Famille, jeunesse, éducation

Les deux personnages sont donc quasiment contemporains et se sont côtoyés. Mais Pétion étant le cadet de Montbrun de 14 ans, il n’est pas indifférent de noter que Montbrun est en 1792, date de son arrivée à Saint-Domingue où il va vite jouer un rôle de premier plan, un homme mûr déjà âgé de 36 ans, à une époque où Pétion n’est encore qu’un tout jeune homme de 22 ans qui fait d’ailleurs ses premières armes dans la Légion de l’Egalité de l’Ouest commandée par le même Montbrun. Cependant, dans ces temps troublés où les bouleversements s’enchaînent rapidement, la cadence accélérée des promotions de la période révolutionnaire va très vite entraîner une réduction de l’écart se traduisant par un rattrapage de grade qui amène Pétion au rang de chef de bataillon en 1794, à peine un an après Montbrun. C’est, d’ailleurs, au-delà de l’origine bordelaise, dans leur parcours de réussite par la voie militaire que l’on trouve le premier grand point fort de similitude entre les deux hommes. Pour autant, l’amalgame militaire (des couleurs et des conditions) qui devrait être en principe le moteur de l’intégration des hommes de couleur dans ces armées révolutionnaires ne joue finalement que de manière suffisamment complexe et arbitraire pour aboutir à des résultats très différents. On sait que pour bon nombre d’officiers de couleur, dont certains avaient fait leurs premières armes dans la célèbre Légion des Chasseurs Volontaires de Saint-Domingue levée par l’amiral d’Estaing, le parcours s’achève après 1802 par des déportations dans les bagnes de Corse et de l’île d’Aix lorsqu’il n’ont pas été tués ou ne sont pas passés dans l’armée indigène. Montbrun et Pétion y échappent différemment : le premier, parce qu’il est rappelé en métropole en 1794, bien avant les événements de la guerre d’indépendance provoquée par l’arrivée de l’expédition Leclerc ; le second parce qu’il choisit son camp, l’un des tout premiers d’ailleurs parmi les officiers noirs et de couleur, en ralliant les troupes de l’armée insurrectionnelle indigène.

C’est sans doute dans la différence des conditions à l’origine et les événements familiaux de la jeunesse qu’il faut chercher le germe de choix identitaires différents.

On ne sait pratiquement rien du père de Pétion, André-Pascal Sabès, bourgeois, né vers 1702 dans la paroisse de Sainte-Croix de Bordeaux et décédé le 6 décembre 1789 à Port-au-Prince où il était devenu négociant propriétaire d’une maison bien identifiée au Port-au-Prince, celle dans laquelle est né Pétion. Il avait un frère cadet, François Sabès, négociant à Bordeaux, marié à Léonne Drouillard le 19 décembre 1772, et l’on trouve également Arnaud-Louis Sabès et son fils Pierre, propriétaires d’une maison et magasin estimés 100 000 livres à Port-au-Prince, à l’angle de la place Royale et de la place Vallière, dont avaient hérité également deux autres frères Mathieu et Jean-François Sabès1. Mais on doit remarquer également que le nom de Sabès est présent parmi ceux des officiers de l’expédition Leclerc en la personne d’un adjudant-général de ce nom envoyé comme émissaire avec le capitaine de corvette Gémon à Dessalines qui les retint prisonnier et dont certains historiens ont cru qu’il s’agissait de Pétion lui-même, également recruté dans l’encadrement de cette expédition. Plutôt qu’une simple homonymie, ce nom de Sabès doit-il nous amener à penser qu’il s’agit d’un proche parent de Pétion engagé dans la même entreprise que lui ? Le personnage en question, dont nous avons pu retrouver la trace à la date du 5 août 1803 dans des papiers de famille conservées en Louisiane, se prénommait Pascal et ne peut être son père, déjà décédé, mais sans doute un proche parent puisqu’originaire lui aussi originaire de Bordeaux. Il était adjudant-commandant dans la division du général Boudet au Cap, à qui il recommande l’officier chef d’escadron Saint-Gême qui doit partir pour la France2. On notera en passant qu’on trouve à la même époque en Guadeloupe un Henry Sabès, mulâtre, commandant une batterie prise par le général Boudet en 1802 à l’époque de l’expédition de Richepanse.

Pétion avait une sœur, Suzanne, alias Sanite Sabès qui, de son mariage, eut Mérovée et Antoine Pierroux. Il eut aussi deux filles de son union bien connue en 1804 avec la belle Joutte Lachenais, veuve de Marc-Joseph Lefèvre de Laraque, marquis de Mercoeur, et qui se remaria avec son successeur, le président Jean-Pierre Boyer. Ces deux filles eurent aussi une postérité dans de nombreuses familles haïtiennes qui, selon la tradition du pays, adoptèrent et conservèrent en hommage à l’illustre aïeul, parmi les prénoms de leurs enfants, celui de Pétion.

Pour Hugues Montbrun, un point particulier de la biographie attire l’attention : il aurait embrassé la carrière des armes grâce à sa fortune que l’on disait considérable. Une telle formulation implique qu’il aurait pu disposer jeune de cette fortune et qu’elle aurait donc été d’origine familiale et non personnelle. Il serait intéressant de pouvoir confirmer par des documents si elle avait sa source aux îles ou dans le Bordelais dans la mesure où l’on ne sait pratiquement rien de ses parents, sinon qu’ils devaient être colons de Saint-Domingue, sa mère au moins, puisqu’il est né à Aquin.

Il est dit en effet fils aîné de « noble Vincent Brisset de Montbrun » (famille dont on n’a pu retrouver la trace) et de Marie-Thérèse Morino, veuve de Claude Leclère (alias Leclert ou Leclerc), dont la postérité de ce premier mariage se fit dans les familles Paynaud-Dessouches, Huet Blanchetterie, Sévène et Lacouture, ces deux dernière présentes à Bordeaux et toutes indemnisées en 1831 comme héritières ayant-droit de l’indigoterie et cotonnerie Lalanne à Aquin (estimée 102 600 Livres)3. Là réside un premier mystère : pour qu’Hugues Montbrun soit considéré comme mulâtre, malgré sa couleur qui ne le distinguait en rien du Blanc comme en atteste son portrait en perruque, il faut absolument, soit que sa mère soit mulâtresse (ou mésalliée par son premier mariage, ce qui paraît plus improbable), soit que lui-même se soit mésallié, et donc par conséquent, que la couleur viennent du côté de son épouse de Pomarède, ce qui paraît encore plus difficile à imaginer, même si elle était fille d’un colon.

Il avait en effet épousé avant 1784 à Bordeaux, où il était sans doute venu très jeune faire ses études, Radegonde-Angélique Borie de Pomarède, fille de Jacques de Borie, seigneur de Haut-Pomarède, et d’Elisabeth Talbot, dont il eut au moins un fils, Joseph Montbrun de Pomarède, baptisé à Castres le 24 décembre 1784, qui eut sans doute une postérité puisque nous avons appris qu’une descendante de Montbrun était venue récemment visiter le domaine de Haut-Pomarède, « château » toujours existant sous ce nom et réputé pour son vin de l’appellation des Graves de Pessac-Léognan. Jacques de Borie, écuyer, seigneur de Haut-Pomarède, « habitant » (c’est-à-dire propriétaire d’une grande plantation, une indigoterie en l’occurrence) d’Aquin, était lui-même fils de Pierre de Borie et de Marie-Rose Ribail. Cette famille est également connue grâce aux registres d’enregistrement des actes de domesticité des nobles girondins4, par les alliances de Jean et de Simon-Pierre Borie Pomarède dont il ne résulta qu’une fille5, et surtout par les  preuves de noblesse faites en 1775 par Alexandre Borie de Pomarède pour être reçu à La Flèche6. Elle est de très ancienne noblesse à Castres-Gironde où son château originel, avec douves et parties médiévales, parfois appelé Pomarède-de-Bas, est toujours occupé par une famille noble descendant des Borie par les femmes. C’est de là qu’a été démembré le Haut-Pomarède, simple domaine avec maison de maître, au profit d’une branche cadette, celle passée à Saint-Domingue, dont est issue l’épouse de Montbrun. Ce dernier y a laissé sa trace sous la forme d’une cloche marquée « Montbrun de Pomarède, 1811 ». Il semble bien difficile d’imaginer qu’un des ascendants de cette famille de planteurs du sud de Saint-Domingue dont la branche aînée réside, pour la plupart de ses membres dans le château familial de Castres se soit mésallié, et que par conséquent, il faille s’en tenir plutôt à la mère du colonel pour retrouver l’ascendance de couleur.

Une chose est certaine, c’est que la fortune de Montbrun ne vient pas de ce domaine que l’on connaît bien, notamment par la description qu’il en donne lui-même dans une pétition signée « Sévène, chargé de pouvoir du citoyen Montbrun » visant à réduire sa contribution à l’impôt de cent millions en l’an VII7. Domicilié à cette époque au 36 rue du Loup à Bordeaux, il fait valoir que « le domaine appelé Pomarède de Haut, canton et commune de Castres », qui a payé 735 livres d’impôt en l’an V, appartient « pour la plus grande partie […] à la citoyenne Talbot, veuve de Pierre Borie Pomarède [et que lui-même] n’en a que l’usufruit pour une ferme annuelle de 3 000 Livres » au terme d’une transaction privée passée à Bordeaux par devant le notaire Maillères le 29 novembre 1787 « tant en son nom qu’en qualité de mari de Radegonde-Angélique Borie Pomarède ». Ses propriétés en propre sur ce domaine, dont il estime qu’« il s’en faut bien qu’elles payent 300 livres d’imposition », consistent seulement en 9 journaux de prairie acquis du sieur Lagoanère, 26 journaux de terrain en bois et bruyère, achetés du citoyen Avril sur lesquels restent dus 2 400 Livres à 5% d’intérêt l’an, 4 journaux de vigne et bois appelés de l’Eglise et 2 journaux de vigne avec une chambre et un parc attenant au lieu appelé Faurès, site de l’actuel château.

Quant à son « domaine d’Issan, commune de Cantenac et Margaux en Médoc », il est aussi décrit très précisément dans le contrat de mariage de sa nièce où il figure comme caution et consiste en 1818 en « maison de maître, chai, cuvier et autres bâtiments, jardin et vignes, appartenances et dépendances »8. On ne voit finalement dans ces biens girondins, essentiellement viticoles, que ceux d’une honnête aisance bourgeoise commune au pays et bien loin des énormes fortunes dominguoises.

Quoi qu’il en soit, Hugues Montbrun est cité dans le Catalogue des Gentilshommes de Guyenne qui ont pris part aux Assemblées de la noblesse pour l’élection des députés aux États généraux de 1789 (après son mariage donc) avec les qualifications suivantes : « Hugues, chevalier de Montbrun la [sic] Pomarède, seigneur de Pomarède [c’est une approximation] et Pitresmont »9, ce qui a priori ne devrait laisser aucun doute sur son état et nous ouvre des horizons inattendus sur la possibilité d’existence d’une noblesse française de couleur dont on pourrait trouver d’autres exemples, même s’ils sont extrêmement rares. En principe, le préjugé rejetait dans la classe des Mulâtres tout Blanc – fût-il noble – qui aurait eu la témérité d’officialiser par mariage sa liaison avec une compagne de couleur comme l’indique clairement l’intendant de Boynes à propos du marquis de Laage qui avait épousé à Bordeaux une sang-mêlé et devait par conséquent être relevé de sa charge de capitaine des dragons-milices de la Légion de Saint-Domingue, ne pouvant absolument « reprendre son service, puisque ces sortes d’alliances laissent aux Blancs une tâche ineffaçable ». Mais il est bien clair ici qu’il s’agit de lui interdire de reprendre son service aux Îles. Il semblerait qu’en France le préjugé n’ait pas connu la même virulence qu’aux Îles et que certains, nobles ou bourgeois en voie d’anoblissement, n’aient pas hésité à courir le risque d'infamie qui s'attache à la mésalliance, comme le Landais de Pons, notoirement marié à une mulâtresse, ou Jacques Truttié, seigneur de Vaucresson qui obtint, malgré tout, l'enregistrement de ses lettres de Secrétaire du Roi à Aix-en-Provence, pendant que des mulâtres mariaient leurs filles, telle Anne-Marie Dubreuil, à des colons blancs ou épousaient des filles de notables comme cela se fit dans la famille des négociants bordelais des Draveman. La plupart de ces mulâtres aisés, surtout lorsqu'ils étaient clairs, pouvaient en fait passer inaperçus dans l'indifférence générale en France, l'opinion publique gardant en tête l'idée préconçue qu'une couleur de peau un peu cuivrée est toute naturelle chez un créole. Le rejet d’ailleurs ne s’appliquait pas aux alliances avec des Indiennes, réputées à l’origine « sauvagesses libres », comme le montre le cas, à rapprocher de celui du marquis de Laage, du métis Chapuizet de Guériné qui, pour conserver son rang dans la milice, gagna un procès devant le Conseil Supérieur du Cap en prouvant que son aïeule de couleur était en fait une Indienne10. On ne peut toutefois écarter, pour Montbrun, une autre interprétation possible de cette réception aux Etats de 1789 dans l’ordre de la noblesse : celle qui tiendrait à l’affaiblissement du principe nobiliaire à cette époque où apparaissent de nombreux bourgeois et officiers civils divers vivement noblement et bénéficiaires du relâchement de généalogistes royaux devenus sensibles à d’autres arguments que l’ancienneté d’extraction.

L’examen des rares éléments familiaux que l’on connaisse avec quelque certitude n’apporte pas grand chose de plus. On est certain que Montbrun avait au moins un frère, Joseph de Montbrun des Halliers11, nom de terre tiré de l’habitation établie en cotonnerie, indigoterie et place à vivres connue sous le nom des Grands-Halliers à Aquin, qu’ils possédaient ensemble, d’une valeur estimée de 76 637 Livres, démembrée de celle, du même type et voisine, la grande habitation Montbrun d’une valeur de 370 589 Livres, possédée par leurs parents Vincent Brisset de Montbrun et Marie-Thérèse Morino12. Marié à Barbe Senet, fille de Daisy Blanc, Joseph de Montbrun eut une postérité par une fille dans la famille de Lavergne Delage. C’est cette « habitation des Grands Alliés [sic, pour Halliers], paroisse d’Aquin, juridiction de Saint-Louis », dont on trouve trace dans le notariat bordelais sous la forme d’un bail à ferme du 14 novembre 1785 concédé pour neuf ans par « Hugues de Montbrun des Halliers [sic], habitant de Saint-Domingue et de Bordeaux » pour 12 000 livres l’an à Antoine Geoffroy, ancien négociant de Saint-Domingue13. On voit par là qu’Hugues Montbrun ne prenait pas encore alors le nom de Pomarède mais que, selon la coutume antillaise, il ornait déjà son patronyme d’un nom de terre d’apparence noble. Quant à son frère, on le trouve en 1818 au mariage de sa fille qualifié comme lui de « Messire » Joseph de Montbrun et propriétaire à La Libarde, canton de Bourg, sans doute par son épouse Barbe Sénet, du « domaine appelé de Poyanne […], consistant en maison de maître, chai, cuvier et autres bâtisses, jardin, terre labourable, vignes en plein et en jouissance, prairie, codriers, ornières, aubarèdes, bois et taillis et de haute futaie, et autre nature de fonds, appartenances et dépendances »14. Les deux frères apparaissent également en 1831 dans l’Etat de l’Indemnité de Saint-Domingue comme héritiers ayant-droit d’une maison de plus de 10 533 livres sise dans la Grand-Rue du bourg d’Aquin et appartenant anciennement à leur mère Marie-Thérèse Morino et à Jacques-Joseph Challe15, nom qui nous renvoie au milieu des gens de couleur d’Aquin et de Bainet, et plus particulièrement, avec une possible parenté, à la famille de Julien Raimond puisqu’il est en partie celui de sa seconde épouse, Françoise Dasmart-Challe – mulâtresse libre, fille naturelle du colon Pierre Dasmart, riche planteur d’Aquin, prpriétaire de plusieurs indigoteries et cotonneries, et de sa négresse esclave, Julie – qui avait apporté 61 000 livres de dot à son premier mari, l’émigrant rochelais Jacques Challes, retiré en France où il était mort dans l’opulence après avoir eu de ce mariage une fille, quarteronne, Louise-Françoise Challe, mariée en 1784 à François Raimond, le dernier frère de Julien, à qui elle avait apporté une grande cotonnerie de 145 000 livres à Aquin et une belle dot qui lui permit de racheter les parts de ses frères et sœurs et sœurs dans la plantation maternelle de Bainet. On sait aussi que c’est par ce second mariage avec Françoise Dasmart-Challe que Julien Raimond était devenu propriétaire en France de biens importants dans la région de Mauzé, dont la seigneurie de La Poussarderie (Deux-Sèvres) estimée 115 000 livres16. On voit bien là l’origine d’une de ces grosses fortunes en plantations de la frange supérieure des Libres de couleur à laquelle appartenait sans doute Marie-Thérèse Morino.

On retiendra pour finir qu’Hugues Montbrun épouse à nouveau en secondes noces vers 1792 dans le milieu aristocratique en la personne de Marie-Thérèse Roux de Labroge. Ces mariages successifs paraissent bien comme la clé d’une forme d’ascension sociale fréquente à l’époque, qui est marqué par l’accès aux fortunes terriennes et aux qualifications nobiliaires. Elle s’appuie ici sur une incontestable fortune antillaise sans doute constituée elle aussi par mariage dans la mesure où l’on peut raisonnablement supposer que son père s’était enrichi comme lui par ce biais, en l’occurrence non en épousant une demoiselle de la noblesse bordelaise mais une riche veuve créole. La promotion se fait ensuite « au mérite » par la voie de la carrière militaire, commune à la fois aux gens de couleur et à la période républicaine et bonapartiste.

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