Le New York Times, la « rançon de l'indépendance » d’Haïti et la réalité historique
Dans ses éditions des 22 au 25 mai 2022, le New York Times (NYT) a publié, à grand renfort d’images et large diffusion publicitaire en trois langues, anglais français et créole, afin que nul ne prétende en ignorer, le résultat d’ « une grande enquête menée pendant un an » par quatre de ses journalistes portant sur les relations financières entre la France et Haïti depuis le début du XIXe siècle, sujet qui aurait été jusqu'ici occulté par les historiens. Dès les premières lignes affichant l’impressionnante description de la misère qui accable les Haïtiens d’aujourd’hui, le NYT avance son explication définitive par « les indemnités » exigées par la France en compensation de la libération des esclaves et par les charges bancaires imposées à Haïti pour ces paiements, ce qu'on appelle en Haïti la "double dette".
Avant d’aller plus loin sur l’examen de l’approche, de la méthode et des résultats avancés, on ne peut que s’étonner que les conclusions du NYT - qui affirme avoir exhumé des milliers de pages d'archives et interrogé "énormément d'historiens haïtiens" et "les plus grands spécialistes mondiaux" de la question, historiens et économistes - paraissent de toute évidence avoir superbement ignoré celles du premier contemporain en date : François Blancpain, auteur en 2001 d’un ouvrage de référence dont il me fit l’honneur il y a plus de vingt ans de me demander de le préfacer.
La lecture attentive de la quatrième de couverture et des trois pages de la préface que l'on trouvera ci-dessous auraient dû – me semble-t-il – suffire à éviter aux journalistes de tomber à nouveau dans l’habituelle facilité d’une interprétation aussi radicale que simpliste consistant pour finir en un déni complet de la réalité historique au profit d’une réclamation en réparations auprès de la France bien mal venue et qui, contrairement aux objectifs d’ordre moral affichés, ne rendra pas service au peuple haïtien en s'inscrivant ainsi encore une fois dans l'habituelle démagogie politique pratiquée par tous les dirigeants en difficulté. S'il s'agissait de réhabiliter l'ancien président Aristide, on peut dire que le New York Times, vite relayé par son équivalent français Le Monde pour ne pas être en reste de bien-pensance, a atteint son but.