Mémoire de l'esclavage. La Cérémonie nationale du 10 mai délocalisée à La Rochelle. L'antériorité rochelaise à l''honneur.
Comme chaque année depuis la création en 2006 de la Journée nationale des mémoires de la traite, de l'esclavage et de leurs abolitions, selon la dénomination officielle qu'il convient de respecter dans sa rigueur originelle, les autorités nationales, présidentielles et ministérielles nous ont convié à participer personnellement aux cérémonies commémoratives du 10 mai qui se déroulent habituellement dans les jardins du Palais du Luxembourg.
Comme chaque année aussi, depuis la même date, le Maire de La Rochelle, autrefois notre ami Maxime Bono, ancien conseiller culturel, premier adjoint puis successeur de Michel Crépeau, et aujourd'hui, son successeur, Jean-François Fountaine, grand marin médaillé des Jeux Olympiques, nous invitaient également aux mêmes cérémonies locales sur le port de La Rochelle. Cérémonies rochelaises auxquelles j'ai toujours tenu à assister depuis l'engagement pionnier que nous avions eu dans cette ville, à partir de la volonté politique de Michel Crépeau depuis 1982, avec l'équipe municipale et le regretté conservateur Alain Parent autour de l'inauguration du Musée du Nouveau-Monde consacré aux Amériques et à la Caraïbe. Avec dès l'origine, une très forte attache à l'histoire d'Haïti, en raison notamment au départ de l'implication d'Aimé-Benjamin Fleuriau à Saint-Domingue dont l'hôtel Fleuriau, siège actuel du Musée, acquis par la ville à la mort de son héritière la comtesse de Fleuriau, restait l'une des traces les plus remarquables (cf. J. de Cauna, Au Temps des Isles à sucre. Histoire d'une plantation de Saint-Domingue au XVIIIe siècle, Paris, Ed. Karthala, 1987, réédition 2003, thèse de doctorat L'habitation Fleuriau de Bellevue soutenue le 1er janvier 1982 à l'Université de Poitiers)
Pendant 25 ans, les visiteurs locaux et les nombreux touristes de passage purent ainsi découvrir au musée municipal, dès le salon d'accueil une exposition photographique, récemment disparue sous prétexte de modernisation et aujourd'hui bien regrettée, qui fut la première en France à présenter les sujets évoqués le 10 mai, bien avant Nantes et Bordeaux. La disparition de cette exposition à caractère pédagogique pionnier est d'autant plus regrettable qu'elle s'accompagne, pour des causes sans doute similaires, de celle de la borne présentant au Musée d'Aquitaine à Bordeaux, dans la salle L'Eldorado des Aquitains, le cadre de vie quotidien des esclaves à partir des vestiges patrimoniaux haïtiens du temps des plantations coloniales, et de celle des mêmes représentations historiques accessibles encore il y a peu dans le Fonds Jacques de Cauna et disparues aussi soudainement du site hébergeur réalisé par le CNRS (cf. J. de Cauna, « Patrimoine et mémoire de l’esclavage en Haïti : les vestiges de la société d’habitation coloniale ». dans Les Patrimoines de la Traite négrière et de l’esclavage, publié en ligne sur le site In Situ Open Editions, 2013).
Après la création d'une allée Aimé Césaire en 2009 en bord de mer auprès du pavillon Fleuriau, puis, dans son prolongement reliant le Casino au Vieux Port, de la Promenade Toussaint Louverture (cf. J. de Cauna, Toussaint Louverture, le Grand Précurseur, Bordeaux, Ed. Sud-Ouest, 2012), la nouvelle municipalité consacra son implication mémorielle et historique par la réalisation d'une statue de Toussaint Louverture installée le 20 mai 2015 dans la cour d'entrée de l'hôtel Fleuriau. Face aux habituelles polémiques négatives, le sculpteur Ousmane Sow déclarait fermement dans son discours inaugural en dévoilant son oeuvre : « Surtout, Toussaint Louverture est ici à sa place. La Rochelle a le courage d’affronter son passé. En tant que Noir, je suis fier de l’histoire de Toussaint Louverture. Je ne crois pas aux repentances, mais il faut qu’on sache… Il faut avoir l’honnêteté de dire que s’il y a eu esclavage, c’est qu’il y a eu des gens qui ont vendu des esclaves... ». Cette déclaration, qui fait honneur à son auteur autant qu'au Grand Précurseur et à l'antériorité du travail historique rochelais, lance en même temps un courageux appel à l'extension temporelle et spatiale de la recherche historique sur le sujet (cf. J. de Cauna, Fleuriau, La Rochelle et l'esclavage. Trente-cinq ans de mémoire et d'histoire, Paris, Les Indes Savantes, 2017)
C'est dans ce long parcours mémoriel que s'inscrit aujourd'hui, dans le respect et la continuité de l'histoire locale et transatlantique, entre la Nouvelle Aquitaine, la Gascogne, Haïti et les Antilles, la sculpture rochelaise de la nourrice affranchie baptisée Clarisse par l'artiste haïtien Filipo et dont le pendant iconographique figure au Musée du Nouveau-Monde dans un beau tableau d'époque attribué au peintre rochelais Joseph Canet de Chanteloub et resté dans l'héritage créole d'une famille bordelaise.
Il revenait naturellement à la chaire d'Haïti à Bordeaux - compétente pour la Nouvelle Aquitaine et les quatre grands ports de notre région, de La Rochelle à Bayonne en passant par Rochefort et Bordeaux - de faire le point sur cette importante journée tenue dans ce haut lieu de mémoire en l'inscrivant clairement dans son contexte historique dans un souci de juste information.