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Le blog de Jacques de Cauna Chaire d'Haïti à Bordeaux

Vient de paraître : Bulletin du Centre Généalogique des Landes n° 138

13 Décembre 2024, 17:02pm

Publié par jdecauna

Le vicomte de Béarn ancêtre commun de Louis XIV, petit-fils d'Henri IV, et de Madame de Maintenon, cousins par leur ascendance landaise et béarnaise
Le vicomte de Béarn ancêtre commun de Louis XIV, petit-fils d'Henri IV, et de Madame de Maintenon, cousins par leur ascendance landaise et béarnaise

Le vicomte de Béarn ancêtre commun de Louis XIV, petit-fils d'Henri IV, et de Madame de Maintenon, cousins par leur ascendance landaise et béarnaise

En ce Vendredi 13 décembre 2024, jour anniversaire de la naissance d'Henri IV, lou nouste Henric, notre grand cousin mais aussi le Grand Réconciliateur des Français, comme l'a si bien rappelé notre nouveau Premier Ministre béarnais, le Bulletin du Centre Généalogique des Landes colle à l'actualité  en nous rappelant, par la voie de la connaissance historique de nos familles et de notre patrimoine, que tout est toujours possible... 

Febus me fe ! Febus aban ! Toque-y si gauses ! 

 

Bulletin n° 138 (nouvelle série)

Année 2024

SOMMAIRE

 

La lettre des co-présidents. Vers un nouveau départ , par Jacques de Cauna et Christian Lacrouts

De la première école landaise aux demoiselles de Saint-Cyr, par Jacques de Cauna

Fiacre de Castéja et Mlle de Nevers. Une idylle théâtrale, par Jean-Denis de Biaudos de Castéja

La demoiselle de Nevers, dite La Guyot, Molière, les Béjart, par Jean-Denis de Biaudos de Castéja

Informations scientifiques et culturelles par Jacques de Cauna

Questions-réponses, recherches en cours par Jacques de Cauna

 

Les textes et généalogies publiés dans ce bulletin sont sous la responsabilité seule de leurs auteurs.

Toute reproduction, même partielle, ne pourra se faire sans leur consentement préalable.

Centre Généalogique des Landes. Association loi 1901. JO du 26 août 1987

 

Petits secrets d’histoire landaise. De la première école landaise aux demoiselles de Saint-Cyr. Les surprises des filiations royales.

par Jacques de Cauna

La moindre recherche généalogique nous réservera toujours des surprises d’une dimension inattendue. Celle qui nous attend ici prend sa source dans l’une de ces opérations paléographiques de translation de documents du XVIe siècle qui font parfois le désespoir des meilleures volontés tant l’écriture de cette époque peut nous rebuter au premier abord. Ce document familial en assez bon état dont l’original est daté du 23 décembre 1502 dormait dans nos archives sous le titre de Version du Contrat de mariage d’Antoine de Saint-Orens et Jeanne de Cauna n° 10 et échappe en grande partie au problème que l’on vient d’évoquer dans la mesure où il s’agit bien d’une copie postérieure (malheureusement non datée mais sans doute de l’époque de la grande recherche de noblesse, 1666-1727)1 comme le révèlent les deux dernières lignes du document : « double extrait de son original par moy notaire et soussigné de Paga, avec double paraphe ».

          [... Article complet à lire dans le Bulletin du CGL n° 138]

Mais revenons aux dernières lignes du contrat et à la présence d’un des témoins : « Bernard de Lau, maistre d’école du dit Cauna ».

Il y avait donc déjà au tout début du XVIe siècle, en 1502, un maître d’école à Cauna, ce qui paraît tout à fait exceptionnel au point que l’on ait pu voir à la première école des Landes. De savants travaux portant sur ce que l’on appelait les scolanies montrent que ces prébendes existaient très anciennement et consistaient en une sorte de rente que touchait le curé pour l’éducation de quelques enfants, sans doute privilégiés, de sa paroisse, qui se faisait dans l’église ou à au presbytère. La présence d’un maître d’école bien identifié, Bernard de Lau, montre que ce n’est pas le cas ici puisque le curé du dit lieu, comme on le voit dans le contrat de mariage, puisque ce titre de curé suit le nom d’un fils d’un fils cadet du baron de Cauna, Pierre.

       [... Article complet à lire dans le Bulletin du CGL n° 138]

Mais quel lien peut-il y avoir entre cette royale institution et la petite école landaise de Cauna à travers deux siècles d’histoire ? Il est encore une fois généalogique,. Il se trouve en effet que Madame de Maintenon est une descendante des maisons de Saint-Orens et de Cauna et qu’elle est de surcroît, par la même origine dans le couple formé par Jean III, comte de Foix, et Jeanne d’Albret, doublement cousine par les Foix de Navarre et les Foix-Candale de son époux morganatique le roi Louis XIV, épousé secrètement.

Elle est en même temps contemporaine et lointaine cousine, comme Louis XIV, du roi George Ier d’Angleterre par la filiation de la célèbre Eléonore Desmiers d’Olbreuse issue d’Anne de Cauna, nièce de Jeanne de Cauna l’épouse d’Antoine de Saint-Orens (voir le tableau généalogique ci-dessus).

1 Sur ce point, voir Jacques de Cauna, Comment fut menée la grande recherche sur la noblesse dans les Landes, dans Bulletin du Centre Généalogique des Landes n° 137, 2023, p. 2042-2052.

 

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Archéologie industrielle des habitations : travaux, méthodologie, observations, publication et numérisation

5 Décembre 2024, 15:29pm

Publié par jdecauna

Extraits du cahier central d'illustration de l'ouvrage "Les traites et les esclavages. Perspectives historiques et contemporaines" (M. Cottias, E. Cunin, A. de Almeida Mendes), Kartahla-Ciresc, 2010

Extraits du cahier central d'illustration de l'ouvrage "Les traites et les esclavages. Perspectives historiques et contemporaines" (M. Cottias, E. Cunin, A. de Almeida Mendes), Kartahla-Ciresc, 2010

Ces photos d'habitations étaient aussi présentées dans leurs quartiers respectifs avec leurs légendes, parmi beaucoup d'autres, dans les cahiers numériques du "Fonds Jacques de Cauna" sur le site du Ciresc, cahiers aujourd'hui "disparus dans le cyber espace" sans laisser de traces selon la seule réponse obtenue à ce jour...

7e Rencontres atlantiques. Musées, mémoires et collections. Les sémiophores des traites et des esclavages, Bordeaux, Musée d’Aquitaine, 9-10 Mai 2019.
Communication inédite, non publiée par le co-organisateur Ciresc cinq ans après le colloque, Deuxième partie, 1e et 3e parties à suivre sur ce blog. 
 

II- Les travaux d'archéologie industrielle des années 1970-1990, antériorité et postérité [suite de la 1e partie]

Deux séjours prolongés en Haïti, de sept et six ans, m'ont permis d'identifier et de visiter systématiquement les sites de plus de cinq cents habitations, plus particulièrement dans la région de l'Ouest, les plaines du Cul-de-Sac (à commencer par la sucrerie Fleuriau, objet de ma première thèse), de l'Arcahaye, de Léogane, de l'Artibonite, les hauteurs de Pétionville, de Saint-Marc et de Montrouis…, et à un degré moindre dans le Nord, plaine et hauteurs du Cap et de Milot, île de la Tortue..., et le Sud, caféières du plateau du Rochelois à la plaine des Cayes, et petites plaines d'Aquin, de Jacmel, des deux Goâves...

La méthodologie qui a sous-tendu ces travaux s'appuyait sur quelques grands axes susceptibles d'étayer et de renouveler la recherche. Avant le départ, les opérations de recherche étaient préparées par le recensement et l'exploitation systématique des ressources d'archives publiques, notamment cartographiques, mais aussi greffe, cadastre, abornements, notariat, relations diverses…, conservées pour la plupart en France, au CARAN, au CAOM ou dans les dépôts départementaux et locaux, mais aussi et surtout d'archives privées, ces « papiers de famille » dont Gabriel Debien a bien mis en valeur l'utilité, principalement ceux qu'on pouvait trouver en Haïti mais aussi dans la région aquitaine où il se sont avérés très nombreux et riches en liaison avec l'importance numérique de l'implantation régionale des colons locaux. On a pu trouver là une véritable mine d'informations de première main relatives à la vie et à la gestion des habitations : comptes, inventaires, correspondances de gérants… Dans les cas de découvertes imprévues de site, la méthodologie pouvait naturellement être inversée et les recherches d'archives préparatoires devenir complémentaires.

Les travaux d'archéologie industrielle proprement dits ont consisté en enquêtes de terrain, exploration et reconnaissance des sites, parfois très difficilement accessibles et que des raisons de sécurité interdiraient aujourd'hui de tenter. A l'arrivée sur site, des clichés ont été pris et lorsque c'était possible accompagnés de relevés, mesures, orientation et plans sommaires ou croquis. Un questionnement minimal en créole, avec la prudence requise en matière d'histoire orale pour ne pas altérer et dénaturer la perception des locuteurs locaux en imposant quoi que ce soit d'extérieur. Ce relevé d'éléments d'histoire locale transmis par la mémoire populaire permet, une analyse critique de la perception haïtienne actuelle autant que de la perception française. On sait le parti qu'a pu tirer, par exemple, Nathan Wachtel de ce type d'approche pour la compréhension de l'histoire coloniale espagnole à travers la « vision des vaincus », les peuples indiens d'Amérique latine1. Pour Saint-Domingue, l’analyse gagne indubitablement à la prise en compte de la vision haïtienne des choses, celle des vainqueurs en l'occurrence.

Dans un second temps, la réalisation de monographies ou d'inventaires alliant les deux approches fut la première étape nécessaire avant toute tentative de synthèse. Un certain nombre de publications ont rendu compte des premiers résultats. Pour résumer rapidement, on trouvera ainsi chronologiquement, dès 1981, la présentation, dans deux livraisons de Conjonction, Revue franco-haïtienne de l’Institut français d’Haïti, d'une trentaine de grandes sucreries de la plaine du Cul-de-Sac (sur une cinquantaine visitées), aux environs de Port-au-Prince, dont les ruines avaient été identifiées à partir de documents d'époque coloniale, cartes du XVIII siècle, états et inventaires divers.., puis répertoriées, photographiées et resituées dans leurs contextes historique et actuel : présentation générale du quartier, situation et conditions d'accès, qualité des terres et de la production, origine du nom et informations sur les propriétaires successifs de la colonie à nos jours ainsi que sur les esclaves, événements historiques survenus sur l'habitation, état des vestiges...2

En 1982, les premières photos ont été présentées au public français à La Rochelle à l’inauguration du musée municipal dans le cadre d'une exposition permanente Les Fleuriau et Saint-Domingue pour laquelle j'avais reçu carte blanche du maire Michel Crépeau et qui perdura 25 ans au Musée du Nouveau-Monde, ancien hôtel Fleuriau, la seule de l’espace muséal français.

C'est ensuite au titre des actions de coopération de l'Ambassade de France en Haïti, en ma qualité d'attaché linguistique et d'historien membre du Comité directeur de la Société Haïtienne d'Histoire et de Géographie, que j'ai rejoint en 1984 l'équipe pluridisciplinaire du projet de recherche-formation-développement initié en 1977 avec la Faculté d'Agronomie de Damiens (Haïti) et l'Université des Antilles et de la Guyane (Fort-de-France) comme expert national (haïtien) pour participer aux côtés de Vincent de Reynal et Didier Pillot (Martinique/Belgique), dans le cadre d’un projet de développement durable, à l’étude d’une partie des habitations de la région centrale montagneuse de la presqu'île du Sud (le « transect » Madian-Salagnac-Aquin), essentiellement les caféières du Plateau du Rochelois, (dix-sept sites de caféières étudiés et photographiés avec plans reconstitués, sur une soixantaine visités)3.

Un inventaire similaire a été réalisé en 1986 dans le nord du pays, auquel j'ai participé en qualité de consultant national haïtien, au même titre, pour l’ISPAN et l’UNESCO et qui a été publié dans une revue haïtienne. Les habitations visitées et photographiées (une dizaine) s'inscrivaient dans le périmètre du Parc Historique National qui s'étend sur trois paroisses (et partie de deux autres) voisines des sites historiques christophiens de la Citadelle Laferrière et du palais Sans-Souci en cours de restauration dans le cadre d'un programme conjoint Pnud/Unesco/Ispan. La technique d'investigation a consisté en repérages et recensement des noms de lieux (micro-toponymie) à partir de la tradition orale (questionnement en créole des habitants) confrontés ensuite aux données coloniales fournies par les cartes d'époque, l'Etat de l'Indemnité de Saint-Domingue (propriétés et colons) et la Description... de l’Isle Saint-Domingue de Moreau de Saint-Méry (quartiers et cantons). Le système de conservation de la mémoire des noms, très performant, se caractérise par une grande résistance en même temps qu'une tendance à la simplification dans la transcription phonétique créole4.

Et c'est toujours dans le même cadre fonctionnel diplomatique, concrétisé par la fondation et la direction du Centre de Recherche Historique de l'Institut Français d'Haïti, mais aussi à titre personnel, que j'ai entrepris diverses études de terrain sur les plantations et leur environnement urbain ou rural (environ soixante-dix), à l'île de la Tortue (mission officielle avec un membre de l'Université de Bordeaux, le Professeur Robert Coustet), le Cap, Fort-Dauphin, les Cayes, Saint-Louis du Sud, Jacmel, Aquin, l’Arcahaye, Montrouis, Saint-Marc, Gonaïves, Port-au-Prince5. Un dernier complément a été apporté dans une perspective comparative par l’association avec les clichés effectués localement et la présentation didactique en anglais dans les enseignements et classes d’histoire du patrimoine de l’Université des West Indies, en liaison notamment avec les professeurs Barry Higman, Michael Dash et Roy Augier, dans le cadre d'une mission de longue durée de trois ans en qualité de Conseiller culturel scientifique et de coopération de l'Ambassade de France en Jamaïque et aux Bahamas6.

Une dizaine d'années plus tard, en 1996, affecté sur un poste de responsabilités en relations internationales en France, c'est en qualité d'expert consultant Unesco, dans le cadre d'un nouveau programme Pnud/Unesco/Ministère de la Culture d'Haïti, que j'ai communiqué à ces institutions les premiers résultats de l’étude récapitulative d'une vingtaine de grandes habitations (sur une quarantaine visitées) qui environnent directement le Cap-Haïtien (côté plaine) sur les trois anciennes paroisses de la Petite-Anse, du Quartier-Morin et du Haut-du-Cap, avec le rappel des principaux sites historiques de cette région qui en est particulièrement riche (habitation Vertières et butte Charrier, les sites des deux Bois-Caïman sur les habitations Choiseul et Lenormand de Mézy que j’avais identifiés depuis 1987, les sites christophiens des habitations Duplàa, alias Les Délices de la Reine et Grand-Pont, anciennement Mac Nemara, les trois sucreries Gallifet, point focal de l'insurrection, Bréda, lieu de naissance de Toussaint-Louverture..., etc.)7.

Plusieurs monographies d'habitations de colons, principalement aquitains, issues du recoupement d'investigations de terrain en Haïti et de l'exploitation de papiers de familles locaux en Aquitaine, ont été publiées pour finir, le plus souvent dans des revues locales. Les plus importantes portent sur les sucreries Fleuriau, Clérisse, Nolivos, Laborde, Brossard-Laguehaye, les caféières Navailles, Dupoy, Viaud, Châteauroux, Clérisse, les indigoteries Ganderats et Pascal... Ce passage par l'écrit est indispensable. On peut se souvenir par exemple que les vestiges de l'Antiquité ont longtemps été considérés comme déchets avant de se transforment en sémiophores lorsque et parce qu'ils ont été mis en rapport avec des textes de l'Antiquité, notamment à l'époque romantique.

Diverses communications pratiques sur le sujet complètent le sujet dans le cadre d’échanges universitaires, à La Nouvelle-Orléans et Fort-de France notamment, et également des interventions directes, comme professeur associé, auprès des étudiants de l’Ecole Caribéenne d’Architecture [Caribbean School of Architecture] de l’Université des West Indies sur le campus de Mona à Kingston (Jamaïque), et enfin, la réalisation sous la conduite de l’un de mes doctorants de l'Université de Pau d’une autre maquette du même type présentée en 2003 dans le cadre d’une opération associative liée aux commémorations de la mort de Toussaint Louverture au château de l’Isle-de-Noé, dans le Gers.

On peut ainsi tirer de l'ensemble de ces travaux un bon nombre d'observations d'ordre typologique, chronologique et fonctionnel et situer le système des habitations dans ses liens avec son environnement et la question d'ensemble de la vie quotidienne des esclaves de plantation à Saint-Domingue, la plus importante des colonies françaises d'Amérique. Ils constituent ensemble le cadre de référence détaillé nécessaire à la compréhension des prises de vues conservées dans le fonds photographique et permettent de se replacer concrètement dans le cadre spatial le plus fréquent de la vie quotidienne des esclaves pour tenter de mieux en appréhender la réalité effective. Ces éléments ont été plus largement développés dans les études précitées auxquelles je renvoie, notamment la dernière en date.

Un mot pour finir sur les facteurs de destruction, qui sont de deux ordres : naturels et humains. Lors des visites de terrain, il m'a été donné d'observer à de multiples reprises des aqueducs (Châteaublond, Bauduy), étuves (Caradeux) ou autres vestiges de murs détruits par l'emprise de figuiers-maudits. Il ne subsiste même parfois que quelques pierres témoins retenues dans l'arbre (Digneron, Rocheblanche, Jumécourt). Il faut y ajouter les catastrophes naturelles du type ouragans, séismes, inondation. Un phénomène fréquent est l'enterrement des structures par remontée du sol (fosse du moulin et four de sucrerie à Fleuriau). Plus regrettables que ces destructions naturelles difficilement contrôlables sont celles, humaines, qui résultent du prélèvement des pierres (pierres d'angles surtout) réutilisées pour la construction de maisons en dur de notables locaux. C'était le cas de l'étuve de Lilavois où toutes les pierres d'angles taillées et savamment disposées avaient disparu avant que le bâtiment entier lui-même ne disparaisse en quelques jours parce qu'il gênait l'entrée d'une propriété. Je n'ai pu voir de la sucrerie Chambon au Cul-de-Sac que les dernières pierres au pied desquelles gisait une belle cloche gravée et datée des environs de 1789, l'ensemble ayant été détruit dans la semaine précédant mon passage. De même, du portail d'entré aux piliers subsistants de l'habitation Héritiers Lefèvre, je n'ai pu qu'assister de loin au travail d'engins de chantier enlevant les derniers restes de la sucrerie et bâtiments annexes. Un peu plus loin, au Quartier-Morin, on trouve une grand-case devenue église et, plus loin, une autre, plus modeste, préservée derrière ses piliers d'entrée à Détrel (de Treilles de Sainte-Croix), également une sucrerie transformée en maison d'habitation à Desglaireaux (Bardet Desglaireaux), mais aussi un immense trou de chercheur de trésors (les fameuses jarres emplies de pièces d'or) à l'emplacement de la grand-case de l'habitation Guillodeu (Guillodeau du Plessis) où avait eut lieu l'expérimentation du premier paratonnerre de la colonie. Dans l'Artibonite, le cylindre métallique rouillé d'une « pompe à feu » de 1784, exemplaire unique dans la colonie d’une pompe à eau à vapeur, estampée Perrier frères, Chaumont (mauvaise lecture pour Chaillot), gisait encore il y a peu à côté de sa cheminée de briques intacte sur l'habitation Bertrand (Bertrand de Saint-Ouen)8. On pourrait multiplier les exemples…alors même que les innombrables vestiges d'un riche passé continuent à disparaître dans l'indifférence générale.

Pour résumer, de fortes avancées, qui sont à mettre au compte des premiers travaux publiés d'archéologie industrielle, se sont produites dans les années 1970-1990 pour aboutir, entre autres, à la création de l'Institut de Sauvegarde du Patrimoine National (ISPAN) et du Parc National Historique (PNH). Les aléas de la conjoncture globale ont ensuite gravement entravé ce mouvement, peu perceptible puis devenu à coup sûr quasi inexistant aujourd'hui.

Devant les dégradations générales et surtout les disparitions totales dont seule l'iconographie, et sa composante contemporaine photographique, peuvent encore aujourd'hui laisser trace et témoigner, il revient, ou reviendra, peut-être à la dématérialisation des supports obtenue par les moyens technologiques actuels d'assurer la transmission mémorielle et la circulation de ces sémiophores sous une forme visuelle. La numérisation et la mise en ligne sur le site du CIRESC d'un important fonds photographique (le Fonds Jacques de Cauna) a été un premier pas dans le sens d'une nécessaire substitution conservatoire à ce qui a pu déjà matériellement disparaître sur le terrain. Son relais muséal, impératif pour la transmission, existait au Musée d’Aquitaine sous la forme d’une borne pédagogique interactive très résumée dans laquelle je présentais le cadre de vie de la grande majorité des esclaves sur les plantations. On pouvait donc penser encore il y a quelques années que cette première évolution se poursuivrait dans le bon sens.

Ce fut tout le contraire qui se produisit [voir suite et conclusion dans la 3e partie].

 

1 Nathan Wachtel, La Vision des vaincus. Les Indiens du Pérou devant la conquête espagnole, Gallimard, Paris, 1971.

2 Jacques de Cauna, « Vestiges de sucreries dans la Plaine du Cul-de-Sac », Conjonction, 1981, n° 149, p. 63-104, et 1985, n° 165, p. 4-32.

3 Résultats publiés dans Didier Pillot, Vincent de Reynal et Jacques de Cauna, tome 1, « Histoire agraire et développement », de l'ouvrage Paysans, systèmes et crises. Travaux sur l'agraire haïtien, Pointe-à-Pitre et Port-au-Prince, SACAD (Université des Antilles et de la Guyane) et FAMV (Université d'Etat d'Haïti), 1993, 365 p.

4 Jacques de Cauna, « Mémoire des lieux, lieux de mémoire : quelques aperçus sur la toponymie haïtienne et ses racines historiques », 1986, dans Chemins Critiques, Port-au-Prince, 1990, n° 4, p. 125-140. Enquête de terrain à ambition modélisante menée en compagnie d'une géographe française et de trois chercheurs haïtiens (archéologue. ethnologue et cartographe) de l'ISPAN (Institut de Sauvegarde du Patrimoine National) dans le cadre d'un projet PNUD / UNESCO (consultant national, 1986), présentée à la table ronde L'histoire des sociétés coloniales antillaises, 1990, Paris, Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales.

5 Rapport de mission scientifique dans Jacques de Cauna (dir.), Conjonction, n° 174-175 Spécial Île de la Tortue, 3 et 4 trim. 1987.

6 Voir notamment Barry Higman et Jacques de Cauna, Amerindians, Africans, Americans : Three papers in Caribbean History, co-édition bilingue anglo-française et avant-propos, Kingston (Jamaïque), University of the West Indies Press, 1993, 125 p., et Jacques de Cauna, "Vestiges of the Built Landscape of Pre-revolutionnary Saint-Domingue", p. 21-48, iconographie. In The world of the Haïtian Revolution, edited by David Geggus and Norman Fiering  (John Carter Brown Library), coll. Blacks in diaspora, Indiana University Press, Bloomington (USA), 2009. Voir aussi Jacques de Cauna, Haïti, l’éternelle Révolution, réédit. Orthez, PRNG, 2009, p. 255 sq.

7 Mathilde Bellaigue, Jacques de Cauna (Unesco), Ecomusée du Nord. Projet 95/010 Haïti, Route 2004, et Jacques de Cauna, Ecomusée du Nord, Rapport préliminaire (consultance externe), 70 p., juin 1996, p.1-49, et annexes p.50-69.

8 Louis-Médéric-Elie Moreau de Saint-Méry, Description… de la partie française de l'Isle Saint-Domingue, Philadelphie, 1797, Paris, SHCF et Larose , 1958, II, 138-155.

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Les vestiges de la société d’habitation coloniale en Haïti, cadre de vie des esclaves au quotidien : un patrimoine mémoriel de l’esclavage en péril

1 Décembre 2024, 15:41pm

Publié par jdecauna

Extraits du cahier central d'illustration de l'ouvrage "Les traites et les esclavages. Perspectives historiques et contemporaines" (M. Cottias, E. Cunin, A. de Almeida Mendes), Kartahla-Ciresc, 2010

Extraits du cahier central d'illustration de l'ouvrage "Les traites et les esclavages. Perspectives historiques et contemporaines" (M. Cottias, E. Cunin, A. de Almeida Mendes), Kartahla-Ciresc, 2010

7e Rencontres atlantiques. Musées, mémoires et collections. Les sémiophores des traites et des esclavages, Bordeaux, Musée d’Aquitaine, 9-10 Mai 2019.
Communication inédite, non publiée par le co-organisateur Ciresc cinq ans après le colloque, première partie, 2e et 3e parties à suivre sur ce blog. 

 

Les vestiges d'habitations en Haïti :
médiatiser une collection patrimoniale à ciel ouvert

Introduction

Dans les campagnes haïtiennes, la première question que se posent entre eux deux zabitan1 (paysans) qui ne se connaissent pas est : Ki bitasyon nou soti ? (« De quelle habitation viens-tu ? »). Le complexe agro-industriel de la grande plantation connue aux Îles françaises d'Amérique sous le nom d’habitation2, à la fois entreprise rurale et petit village, est en effet aujourd’hui encore la première et plus petite unité pratique de vie, de référence et de reconnaissance de base, le véritable creuset de la société créole, premier lieu de l’élaboration historique de l’identité socio-culturelle spécifique des Îles.

Comme dans l’ensemble des sociétés créoles antillaises, qu’elles soient francophones, anglophones, ou hispanophones, la grande plantation fut, en effet, le cadre de vie, de mort et de travail quotidien de la majorité des esclaves – nègres à talents, le plus souvent créoles, ou nègres de houe, en grande majorité bossales. Elle a perduré longtemps après les abolitions de l’esclavage. L'habitation, dont la structure était répétitive, comprenait toujours des bâtiments d’habitation et d’exploitation, des terres et leurs plantations et des moyens de travail en hommes, des esclaves en l'occurrence pour la plupart mais aussi quelques cadres blancs ou de couleur, des animaux et des ustensiles. Au sommet de la hiérarchie du système régnait la grande sucrerie3.

Qu'on les qualifie de sémiophores, à l'image de Pomian ou Hartog qui les définissent comme objets patrimoniaux visibles investis de significations, voire de pyramides dans lesquelles Derrida voit le tombeau de l'âme4, les vestiges du système de plantation esclavagiste établi par la colonisation française en Haïti à travers ses nombreuses traces matérielles architecturales – plus de 8500 exploitations rurales (les habitations) et leur environnement bâti, routier, urbain, militaire et religieux – constituaient il y a encore quelques années dans la première république noire du monde un véritable conservatoire du patrimoine historique de l’économie esclavagiste du XVIII siècle, hautement signifiant et toujours largement visible, notamment dans les campagnes, mais de plus en plus souvent en état de péril imminent.

A ces habitations sont restés attachés dans la mémoire populaire les noms – parfois très légèrement déformés par la langue créole – des anciens colons propriétaires, ce qui les rend aisément identifiables à partir de la cartographie ancienne et des sources d'archives, telle l'Indemnité dite de Saint-Domingue, bien plus précises en général que les documents actuels. Ces vestiges d'habitations apparaissent subitement à intervalles réguliers au détour des routes, au-dessus des champs de cannes sous la forme d'un toit ou d'une haute tour qui, pour le voyageur quelque peu curieux et attentif, constituent de véritable sémaphores l'appelant à quitter la route principale pour s'enfoncer dans ce qu'on appelle significativement en Haïti le pays en dehors. C'est une véritable invitation à rechercher et connaître l'histoire de ce pays et de ce peuple si particuliers, notamment lorsqu'on est français et que l'on sait que la grande majorité des esclaves vivaient sur ces habitations rurales aux noms français, cœur de la vie haïtienne traditionnelle. C'est ainsi personnellement que s'est éveillée en moi vers la fin des années 1970 une vocation d'historien qui m'a ensuite accompagné pendant plus d'une quarantaine d'années5.

A l'origine donc est une prise de conscience à caractère quasiment muséographique. On peut en effet parler d'un véritable musée ou conservatoire à ciel ouvert hébergeant la plus importante collection mondiale d'objets visibles chargés de signification sur le sujet de l'esclavage, à laquelle l'Unesco et d'autres organismes internationaux se sont périodiquement et ponctuellement intéressés.

 

Etat des lieux : les vestiges de la société d’habitation coloniale en Haïti, un patrimoine mémoriel de l’esclavage en péril

Lorsqu'en 1989, dans le cadre de la commémoration du Bicentenaire de la Révolution française en Haïti, mes étudiants de l'ENARTS (Ecole Nationale des Arts d’Haïti) décidèrent de présenter à l'Institut Français d'Haïti au public de la capitale (Port-au-Prince) cette part méconnue du patrimoine national sous la forme d'une exposition de photographies réalisées par leur professeur autour d'une maquette de sucrerie, ils eurent à cœur de faire inscrire en frontispice sur un grand panneau à l'entrée de la salle : Les sucreries sont la sueur et le sang de nos aïeux : il faut les respecter. Cette formulation traduisait éloquemment le tout récent surgissement de la prise de conscience patrimoniale dans une fraction significative de l'élite urbaine. Elle faisait suite à un cours d'histoire de niveau licence que je dispensais en quatrième et dernière année d'études dans cet établissement national d'enseignement supérieur sous l'intitulé Histoire et Civilisations des Amériques et patrimoine national dans les premières années de la fondation de l'établissement en 1987.

Il n'existait pas alors d'autre enseignement ou formation similaires au sein de l'Université d’État d'Haïti ou ailleurs. Seule la Faculté d'Ethnologie s'était intéressée très ponctuellement au sujet dans les années 1960 sous l'impulsion du docteur Jean Price Mars, l'immortel auteur d'Ainsi parla l'Oncle, alors Recteur de l'Université, et ensuite de son Doyen, le docteur Jean-Baptiste Romain, auteur d'un ouvrage sur les noms de lieux historiques du Nord6, qui publiait notamment dans sa Revue de la Faculté d'Ethnologie quelques articles historiques du grand spécialiste français Gabriel Debien sur les sucreries Bréda et la caféière Dartis7.

A mon arrivée en Haïti en 1975, seuls quelques érudits, membres de la Société Haïtienne d'Histoire et de Géographie, les Frères de l'Instruction Chrétienne, notamment le Frère Lucien, bibliothécaire, l'ingénieur Albert Mangonès, Jean Fouchard, Kurt Fischer et Gérald Fombrun, avaient eu l'occasion de prendre quelques photos de ces vestiges d'habitations qui avaient tant impressionné l'ambassadeur de France Léon-Eugène-Aubin Coullard-Descos, auteur sous son nom de plume d’Eugène Aubin dans les premières années du XXe siècle d'un ouvrage illustré de 32 phototypies et deux cartes en couleur8.

Entre 1975 et 1990, à partir de repérages effectués dans des documents d’archives des XVIIIe et XIXe siècles suivis d’explorations et d’enquêtes d’archéologie industrielle de terrain, j'ai pu prendre plus de 2 500 clichés de vestiges de la société d’habitation coloniale esclavagiste de Saint-Domingue et de son environnement urbain, militaire, religieux ou naturel, afin de tenter de garder trace d’un patrimoine menacé.

Ces clichés concernent, pour ce qui est des habitations, d'abord les sucreries (40% de toute la fortune coloniale avec 900 unités de production sur seulement 14% des terres, dans les grandes plaines), les plus prestigieuses, sources des plus grandes fortunes, y compris pour une élite d'hommes de couleur, avec des ateliers de centaines d’esclaves (2 à 300 en moyenne et jusqu'à plus d'un millier), et un investissement en matériel élevé dans un cadre dont les plans, gravures et inventaires d'époque, et surtout les vestiges actuels disséminés dans les campagnes haïtiennes, révèlent l’organisation immuable entre bâtiments d’exploitation et d’habitation : au vent, au bout de la grande allée ouverte par un portail monumental à deux ou quatre piliers et grille en fer forgé, la Grand-case [maison de maître] en position dominante dans son enclos, avec ses annexes et dépendances (cuisine, poulailler, jardin, entrepôts, remises, cases des domestiques…) ; au devant, la savane (ou « la cour ») où paissent les bêtes ; plus loin, sous le vent, pour éviter aux maîtres bruits, odeurs et risques d’incendie, les installations industrielles (aqueducs, moulins, sucreries, purgeries, étuves…), puis le quartier des esclaves ; le tout entouré de terres réservées aux plantations de la denrée exportable (la canne à sucre) et de vivres alimentaires pour l’atelier (bananes, manioc, riz, patates…). D'autres clichés concernent ensuite les caféteries du front pionnier des mornes (les hauteurs, elles étaient plus de 3 000 à Saint-Domingue, occupant 60% des terres cultivées, avec parfois très peu d'esclaves), aux mains le plus souvent des nouveaux arrivants de la classe des Petits-Blancs les moins fortunés et des Hommes de couleur. Mais les Grands-Blancs ne négligeaient pas d'investir dans ce secteur en complément des revenus de leurs sucreries ou en dotant leurs fils illégitimes dans ces quartiers reculés. Viennent ensuite les cotonneries, souvent associées aux indigoteries (environ 3 000 chaque), en zones arides, autrefois première source d'établissement pour les anciens habitants, mais dont très peu de vestiges subsistent, à l'exception des bassins, étant généralement en bois. Il n'y avait plus de cacaoyères à Saint-Domingue depuis leur destruction par la dernière grande tempête, à l'inverse des Petites Antilles, et l'on ne voit plus de traces des briqueteries, poteries et places à vivres. Mais il reste bon nombre de guildiveries, compléments naturels des sucreries qui fabriquaient le tafia, aujourd'hui clairin, obtenu en distillant les résidus de la fabrication du sucre (mélasses, écumes), et quelques chaufourneries (pour fournir la chaux des constructions). Très rarement enfin trouve-t-on des hangars à sécher le tabac, comme sur l’habitation Gérard dans la plaine des Cayes.

Sur toutes les habitations, la hiérarchie servile passait des domestiques de la Grand-Case, au contact direct du maître, souvent mulâtres, et des ouvriers spécialisés, dits nègres à talents, souvent créoles, aux nouveaux venus d'Afrique, nommés bossales, et aux femmes, affectés aux travaux agricoles des champs, les plus pénibles, comme la coupe de la canne, ou répétitifs (cueillette, ramassage, sarclage, amarrage…), sous les noms de « nègres de jardin » ou « de houe ». Pour résumer, on doit se souvenir, dans ce qui a trait essentiellement aux éléments de composantes sociales qui en résultent pour l'ensemble des classes de la société coloniale, que l'organisation reposait entièrement, rappelons-le, sur le principe intangible du « préjugé de couleur » concrétisé en une structure pyramidale allant du Blanc, unique régnicole (seul possesseur de l'ensemble des droits de sujets du royaume), au Noir ou Mulâtre esclave (régi par un code royal particulier relatif à la police des habitations, dit Code Noir) en passant par la classe intermédiaire des Libres de couleur, pourvus de droits économiques mais non politiques et ne pouvant jamais accéder, quelle que soit leur nuance, à la qualité première de Blancs.

Tous ces clichés apportent, dans le détail des observations que l'on peut faire en les étudiant, d'indubitables témoignages de vie sur des points souvent méconnus du quotidien des esclaves. On pourrait se demander, par exemple, pourquoi on voit tant de manchots dans les inventaires de sucreries. Et dans les cases à moulins subsistantes, un peu partout, une petite niche pratiquée au coin de deux des quatre murs. Interrogés sur son utilité, quelques anciens pouvaient encore répondre qu'il s'agissait de la plas koutla, c'est-à-dire un endroit où l'on laissait en permanence une machette pour intervenir d'urgence en coupant la main ou le bras pris dans les rôles du moulin. De même, l'escalier que l'on voit au bout de la dalle de l'aqueduc, juste avant le déversoir, mène à une écluse que l'on doit fermer le plus rapidement possible pour arrêter l'alimentation en haut et donc la marche du moulin en cas d'accident de ce type.

Ces accidents arrivaient souvent la nuit avec la fatigue des équipes qui travaillaient en continu par quarts (une fois coupée la canne s'aigrissait en trois jours) et, surtout, au moment où l’on repliait la canne à la sortie du premier pressage pour la passer une seconde fois entre les rôles afin de bien exprimer tout le suc. Les rôles et la machinerie étaient d'ailleurs sur un socle en maçonne assez élevé comme on le voyait encore sur les trois dernières sucreries fonctionnant à l'ancienne dans les années 80 (Pivert, Guillon, Delugé). La question primordiale de l'aération dans ces climats chauds était réglée par trois grandes portes dans les cases à moulin carrées en plus de l'espace ouvert de la Grande Roue, et dans les sucreries par de très beaux doubles toits qui servaient aussi à évacuer la fumée par courant d'air. Une grand ingéniosité présidait enfin aux systèmes d'irrigation par prises d'eau, bassins de distributions, portes-écluses et canaux cimentés, et dans les champs, par un arrosage en carrés limités par des levées ou butées de terre que l'on ouvrait successivement dans a pente (système toujours en cours). Le maître arroseur était un personnage important de l'atelier, autant que le vannier municipal aujourd'hui. La longueur et la pente des aqueducs était fonction de la l'éloignement de la prise d'eau.

On apprend beaucoup sur les conditions de logement lorsqu'on la chance de trouver des bâtiments en dur, sur les caféières notamment en raison du froid et de l'humidité (à Guibert trois rangées de cases bien alignées, avec pignons), ou, très rarement en plaine (comme à Pémerles, une suite horizontale de cases cimentées avec fontaine à l'entrée). Lorsqu'on met en rapport le nombre d'esclaves et celui des cases, on trouve souvent qu'elles n'hébergeaient pas plus de 4 à 5 personnes. En dur également, de belles étuves d’allure particulièrement soignée, souvent doubles et toujours circulaires à l'intérieur quelle que soit la forme extérieure (bel ensemble à fronton à Meyer/Le Meilleur, toit intact à Dargout).

Il existe encore de nos jours dans les campagnes une sorte de sacralisation (ou d'effroi sacré) de ces constructions industrielles, principalement les fosses et taillevannes (canal d’échappement) des moulins (où vivrait le gros poisson « Lorela » à Duplà au Qaurtier-Morin) et les aqueducs (à Dargout, par exemple, de petites bouteilles d'eau colorée dans la dalle supérieure) qui sont devenus des lieux de « services » vaudous (cérémonies), voire de sacrifices de petits animaux (vu au moulin à bêtes de Lilavois en plaine du Cul-de-Sac), ou les étuves (à La Ferronnays, au Bassin Général), repères d'abeilles dont seuls ceux qui ont un pwen (pouvoir magique) peuvent retirer le miel, comme j'ai pu le voir en plusieurs endroits endroits. Les habitants nomment ces lieux mazi ou vyé bagay ansyen testaman là kot ansyen blan yo yo té kànn roulé kann (« de vielles choses [ou « masures », ruines] de l'ancien testament où les anciens Blancs pressaient la canne »). Certains anciens connaissent encore le nom de quelques ustensiles de sucrerie, l'un d'eux m'a même montré un jour en reproduisant le geste ancestral, comment on transvasait le sirop d'une chaudière à l'autre après l'avoir écumé avec la grande cuillère de bois que l'on maniait comme un rame. Les termes techniques anciens ont souvent subsisté (vesou, pour jus de canne ; rouler, pour passer la canne au moulin ; biter, pour élever une butée pour l’arrosage…) mais le nom traditionnel de chacune des six chaudières de l'équipage classique d’autrefois s'est perdu (la Grande, la Propre, le Flambeau, la Lessive, le Sirop, la Batterie). Toutefois, le nom du premier produit, sirop, voire sirop batterie à la Martinique, est resté en usage.

Certains édifices restent mystérieux, comme ce bâtiment bas voûté tout en longueur de l'habitation Dumay (anciennement Drouillard) que l'on a pu confondre longtemps avec le cachot de l'habitation Douillard Mahaudière à la Guadeloupe dont la gravure avait été publiée à l'occasion du procès du propriétaire qui y avait tenu aux fers pendant 22 mois sa domestique esclave Lucile accusée d'avoir empoisonné sa femme (gravure reproduite dans Au Temps des Isles à Sucre). Faut-il voir aussi des cachots dans deux petits bâtiments accolés de l'habitation Fleuriau difficiles à identifier ? Ou plutôt les restes du soubassement de la Grand-case primitive que l'on voit sur le plan de 1753 ? De même, la tourelle de la sucrerie voisine Caradeux adossée à l'aqueduc servait-elle comme on le dit à la surveillance des esclaves ? Le très beau pilier à l'arrière de la Grand-Case de Châteaublond est-il la trace d'une ancienne entrée à l'opposé de l'actuelle ? Tous ces bâtiments sont dans la plaine du Cul-de-Sac.

On peut être assuré, en revanche, que la pierre taillée dressée près du moulin Fleuriau, en pleine  cour, laissant voir l'emplacement d'une plaque arrachée est, plutôt qu'une borne en cet endroit, la stèle funéraire du gérant Rasseteau empoisonné en 1777 par des esclaves. Les plaques de marbre coloniales des cimetières ont été généralement retournées pour être réutilisées (vieux cimetière de Caradeux), mais le mausolée du Gouverneur Victor-Thérèse Charpentier d'Ennery est resté intact en ville dans l'ancien Cimetière Intérieur de la place Sainte-Anne.

En dehors des vestiges historiques urbains ou militaires, les ruines des quelque 8 500 habitations coloniales – le plus important réseau d’exploitation des Antilles – constituaient encore alors il y a peu un patrimoine d’une exceptionnelle richesse qui nécessitait protection car il était très menacé et fragilisé par les déprédations climatiques (ouragans, pluies, séismes…) et humaines (pillage des pierres de construction).

Se sont posées dès lors les habituelles questions liées ordinairement à la problématique muséale en termes de soucis de conservation, fixation, restauration, historisation, médiation, transmission, diffusion… pour que ces biens culturels de la catégorie des monuments historiques, très exposés, puissent, en devenant patrimoniaux, assurer leur rôle de lien avec le passé. Mais quid aujourd’hui ?

1 Ce terme créole désignait au XVIII siècle à Saint-Domingue un grand propriétaire terrien possesseur d’une habitation alors qu’aujourd’hui en Haïti, il s’applique (non sans quelque fierté à la campagne mais de manière plutôt péjorative en ville) au plus modeste paysan.

2 L’emploi de ce terme est le seul convenable en français, celui de plantation (plutôt américain, l’anglais classique préférant celui d’estate) ne correspondant en français qu’à une partie de l’ensemble, celle qui est cultivée.

3 Pour plus de détails, voir Jacques de Cauna, « Aperçus sur le système des habitations aux Antilles françaises. Vestiges architecturaux et empreinte aquitaine en Haïti (ancienne Saint-Domingue) », dans dir. Ch. Lerat, Le Monde caraïbe. Echanges transatlantiques et horizons post-coloniaux, Pessac, MSHA, 2003, p. 133-152.

4 Krzysztof Pomian, Musée archéologique : art, nature, histoire, Le Débat, vol. 49, no. 2, 1988, pp. 57-68, Musées et patrimoines, dans Patrimoines en folie (dir. Henri Pierre Jouly), Ed. MSH Paris, 1990, 3 partie, p. 177-198, François Hartog, Régimes d'historicité. Présentisme et expériences du temps, Ed. Seuil, 2003, p. 166, Jacques Derrida, Le puits et la pyramide, Marges de la philosophie, Paris, Minuit, 1972, p. 81-94.

5 Voir, en matière de bilan d'étape jusqu'en 2015, Jacques de Cauna, Fleuriau, La Rochelle et l'esclavage. Trente-cinq ans de mémoire et d'histoire, Paris, Les Indes Savantes, 2017.

6 Dr J.-B. Romain, Noms de lieux d'époque coloniale en Haïti, essai sur la toponymie du nord à l'usage des étudiants, Port-au-Prince, Imprimerie de l'Etat, 1960.

7 Gabriel Debien La sucrerie Bréda du Haut-du-Cap, 1785, Revue de la Faculté d'Ethnologie, Port-au-Prince, Imp. de l’État, n° 10, 1965, Sucrerie Bréda de la Plaine-du-Nord, Id. n° 11, 1966, Une caféière-résidence [Dartis] aux Grands-Bois, Id., n° 6, 1961.

8 Eugène Aubin [Léon Descos], En Haïti : Planteurs d'autrefois, nègres d'aujourd'hui, Paris, Armand Colin, 1910.

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