Le bataillon des Noirs Libres du Cap en 1790
L’Association de Généalogie d’Haïti, qui œuvre de manière très efficace, nous a présenté récemment sur Facebook un document de première importance pour la connaissance des événements et des personnages de l'époque, leTableau du « Bataillon des Chasseurs patriotes nègres libres du quartier du Cap, de la province du nord de Saint-Domingue, le 10 janvier 1790 »1.
Moreau de Saint-Méry donne par ailleurs un historique de la création de ce bataillon du Cap dans un chapitre intitulé Des milices du Cap où il est précisé qu’« une nouvelle ordonnance, du mois de décembre 1776, mit les milices en bataillons. Le Cap donna son nom à l’un d’eux ». On y voyait en 1787 « une compagnie de nègres libres, habit bleu, parements et collet écarlates, doublure blanche ainsi que la veste et la culotte, boutons et paulettes d’argent »2. Ce qui correspond, à quelques nuances près – épaulettes et plumet écarlates pour la 1e compagnie – aux uniformes portés par les deux premiers soldats représentés dans le Tableau de l’année 1790. On note que le porte-drapeau, également représenté, sur la droite, est membre de l’Etat-Major, blanc par conséquent, et que le drapeau, timbré en son centre d’’une couronne royale sur un écu d’azur à trois fleurs de lys d’or, porte la devise d’Ancien Régime PRO PATRIA REGE ET LEGE (Pour la Patrie, le Roi et la Loi).
Ce bataillon s’inscrit dans la droite ligne des fameux « Chasseurs volontaires de Saint-Domingue », plus connus sus le nom de Légion d’Estaing, qui s’étaient illustrés quelques années plus tôt en Géorgie, au siège de Savannah en 1779, lors de la guerre d’indépendance des Etats-Unis d’Amérique. Eet dont deux plaques commémoratives rappellent l’existence dans l’église de Saint-Marc (voir dans ce blog et le Fonds Jacques de Cauna).
Voici quelques précisions non exhaustives [entre crochets] que l’on peut apporter à la composition de ce bataillon.
[L’Etat-Major (encadré), est composé uniquement d’officiers blancs (nous sommes en 1790) au nombre de huit, secondés par quatre majors noirs.
Viennent à la suite, les cinq compagnies de grenadiers encadrées par 30 officiers supérieurs blancs : pour chacune, un capitaine et son second, un lieutenant en premier et son second, et un sous lieutenant. Les « bas officiers » (de couleur) comprennent d’abord cinq sergents majors, puis quatre sergents et huit caporaux. Et la troupe est composée de 56 chasseurs et 10 tambours pour chaque compagnie. Soit au total, 355 hommes tout compris].
Etat-Major :
M. Jean de Dieu Charrier de Bellevue [qui signe au bas « de Charrier »], colonel [Jcan-de-Dieu-Saturnin Charrier de Bellevue possédait de grandes plantations aux nvirons du Cap en 1789, et notamment au Haut-du-Cap, au-dessus de Vertières. Il eut un fils Saturnin-Louis-Jean-de-Dieu-Bernard Charrier de Bellevue, et deux filles, dont l'aînée Marie-Jeanne-Antoinette épousa le comte de Lyonne. Ces héritiers recueillirent en 1828 leur part de l'indemnité de Saint-Domingue].
M. Jean Baptiste Abel Jeune, Major [né le 13 mars 1762, au Cap-Français (Saint-Domingue) ; décédé le 15 février 1834, à Paris. colon réfugié de Saint-Domingue secouru, fils d’autre Jean-Baptiste Abel, créole. Jean Abel père, indemnisé pour une chaufournerie au Cap. Jean-Nicolas Abel, ancien capitaine de navires devenu propriétaire au Cap].
M. le Cheier de Pontlevoye, Major en second [Louis-Dominique Louvart de P., sous-lieutenant (1781), lieutenant (1785), major du corps des nègres libres de Saint-Domingue (1787), aide de camp du gouverneur général de Saint-Domingue (1788). Décédé le 12 avril 1795 - Fontenay-le-comte, Vendée, à l'âge de 36 ans].
M. Evariste Cheier Guillot de Klegan, lieutenant Aide Major. [sans doute parent de Pierre Guiho de Kerkegand, natif de Nantes, marié à Emilie Grimblot, de Jérémie, propriétaire d’une hatte et corail. Un frère, Michel-René, négociant à Port-au-Prince et un cousin, Salomon].
M. Jean Baptiste Estansan, Trésorier rang de Capitaine [Décédé le 22 août 1835 - Saint Pierre, Martinique 972, peut-être à l'âge de 72 ans, Négociant]
M. Simon Bosseye, Second Aide Major
M. Jules Julhin, Porte drapeaux
M. Vincent, Chirurgien major
--------------------------------------
Pierre Augustin, Sergent Major
Jean Baptiste Latortue, Sergent major à la Suitte
François Augustin, Caporal Major
Matthieu Blaize, Tambour Major
Compagnie de Grenadiers
M. Pierre René Cormeaux de La Chapelle, Capitaine
M. François Gauchier, Cpne [Capitaine] en second,
M. Pierre Paul, vicomte de Cadusche, Lieutenant [Pierre Paul de Cadusch (1771-1801 ou 1802), officier de cavalerie(capitaine de dragons), était fils de Paul François Eustache, chevalier, marquis de Cadusch, mousquetaire du Roi, lieutenant général et gouverneur de la partie de Saint-Domingue restée espagnole jusqu’au traité de Bâle de 1795, président de l’assemblée de Léogane, habitant sucrier, mort à Saint-Domingue probablement en octobre 1802 et de Marie-Anne Renée de Bruix, fille de Pierre de Bruix, écuyer, capitaine au régiment de Foix, chevalier de Saint-Louis, et Marie-Madeleine Cavelier de La Garenne. En nivôse an IV, épouse délaissée, demeurant au château de Fortoiseau à Villiers-en-Bière (Seine-et-Marne) chez M. Jean Barré de Saint-Venant, Claudine Hélène Antoinette de La Barre de Nanteuil, demande la séparation de biens].
M. Nicolas de la Ville, Lieutenant en second [il existait une sucrerie Laville à l’Acul, paroisse du Cap, qui appartenait en 1761 aux associés Laville et Maccarthy (Denis). Deux Laville militaires : Pierre de L., fils d’un négociant de La Rochelle, capitaine des milices à l’Artibonite, arrivé en 1717 venat d Régiment de Bellabre, et un autre Pierre de L., enseigne dan les troupes de Saint-Domingue].
M. François de la Barre, sous-lieutenant [peut-être de la famille de La Barre de Nanteuil, alliée aux Cadush. Une caféière Labarre au Trou d’Enfer, paroisse du borgne. Une autre (aux Le Mau de Labarre) au Rochelois, dans le Sud].
-------------------------------------------
Jean Baptiste Bellay [sic, Belley], Sergens Major [Surnommé Mars pour sa bravoure, né au Sénégal, il avait racheté son affranchissement et participa à la campagne de Savannah comme volontaire dans la Légion dite d’Estaing. De retour au Cap, il se fit commerçant et obtint le grade de chef de brigade de la gendarmerie pendant la révolution. Il fut le premier député noir envoyé en France, immortalisé dans le célèbre tableau de Girodet où il pose en habit républicain accoudé au buste de l’abbé Raynal. Revenu avec Hédouville, puis avec l’expédition Leclerc, il finit emprisonné dans la citadelle de Belle-Ile-en-mer où il mourut tristement après s’être lié d’amitié avec Placide Louverture qui écrivit pour le faire libérer et venir le rejoindre à Agen].
Sergens
Charles Blaize, 1er sergens
Allesis Sansonne, 2e sergens
Jn Bte Léveillé, 3e sergens
Jn Pierre Mercure, 4e sergnes
Pierre Antoine Père, sergens à la suite
Sergens (suite, autres compagnies)
Louis Marion, 3e sergens, Seconde Compagnie
Janvier Dessalines, Sergens major, 3e Cie
Stalisnas [sic] Latortue, 2e sergens, 2e Cie
François Cayô, 3e sergens, 3e Cie
Pierre Marrion, 1er sergens, 4e Cie
Jacques Codavid [sic], 2e sergens, 4e Cie [Il s’agit manifestement de la grande famille Coidavid du Cap alliée du roi Henry Christophe Ier par son mariage trois ans plus tard en 1793 avec Marie-Louise Coidavid (1778-1851), dont le frère, le Prince Noël, duc de Port-de-Paix (1784-1818), marié en 1814 à Célestine Dessalines, fille de l’Empereur, périt à 33 ans dans l’explosion de la poudrière de la Citadelle où il était entré en fumant. Sa sœur, Cécile-Louise (1771-18183), épousa en 1803 Jean-Louis Pierrot, futur Président d’Haïti. Le sergent Jacques Codiavid, est sans doute de la génération antérieure, très probablement né avant 1770 et peut-être frère de la mère des précédents, Céletina Coidavid (1749-1829), épouse de Charles-Louis Melgrin].
Jean Baptiste Cap, 3e sergens, 4e Cie [Il avait épousé la fille du célèbre Desrouleaux. Compromis avec les gens de couleur dans l’affaire Ogé, il finit exécuté sur la roue au Cap après avoir essayé de soulever les Noirs libres de la ville le 1er septembre 1791]
Jean-Louis Amecy, 3e sergens, 5e Cie. [Il s’agit de Jean-Louis Annecy, législateur né à Saint-Domingue où il était propriétaire quand il fut élu, le 22 germinal an V, député au Conseil des Anciens, Assemblée dont il devint secrétaire le premier prairial an VII. L’historien haïtien Thomas Madiou fils, qui le prénomme Louis, précise qu’il y fut nommé par le second projet de réforme du 12 Mai 1797 en remplacement de Mentor qui n’avait pas l’âge pour y siéger. Son mandat expiré, il retourna à Saint-Domingue et prit parti pour Toussaint Louverture contre la France]3.
Caporeaux
Gabriel Toussaint, 8e, 1e Cie [Il est le 3e enfant et second fils de Toussaint Louverture et de sa première épouse Cécile, négresse libre, longtemps restée méconnue et identifiée par Jean Fouchard et Jacques de Cauna d’après un acte de décès de leur fils aîné « Toussaint, fils légitime de Toussaint Bréda, N.L., et de Cécile, N.L. », âgé de 24 ans, le 17 novembre 1785 où il est le seul présent de la famille].
Jn François Augustin Richer, 1er, 2e Cie
Casimir Armand, 8e, 3e Cie
Jn Bte Léveillé dit Richer ; 1er, 4e Cie [Il s’agit du futur général devenu président par acclamation de l’armée insurgée à Port-au-Prince et Saint-Marc contre le général président Pierrot dans les derniers jours de Février 1846. En 1802, au débarquement de l’expédition française de Leclerc, il était capitaine de grenadiers sous le nom de Jean-Baptiste Riché. Il reçut une balle qui le rendit borgne de l’œil droit dans un engagement contre la division Hardy après l’évacuation de la Crête-à-Pierrot. Très attaché à un strict ordre militaire, il combattit les partisans du vaudou et les rebelles ruraux du Sud surnommés «Piquets » dont le chef Acaau, traqué dans ses derniers retranchements sur l’habitation Brossard, se suicider le 11 mars. Riché mourut subitement au retour d’une tournée dans le Nord le 27 Février 1847].
Noël Augustin Richer , 5e, 4e Cie
Jean Baptiste Augustin, 5e Cie
Pierre Léveillé Edouard, 5e Cie
Pierre Louis Deroulleau, 5e Cie [Il s’agit bien du célèbre Louis Desrouleaux, ancien esclave du colon béarnais Pinsun qui en l’affranchissant lui fit apprendre le métier de pâtissier où il excella par la suite et qui l’enrichit considérablement au point qu’il fit une rente à vie à son ancien maître devenu pauvre après la révolution].
Joseph Latortue, 5e Cie
Pierre Alexis Sansone, 5e Cie
Signé :
Lu et certifié par nous, Major du Bataillon des Chasseurs Patriotes Nègres Libres du quartier du Cap, de la province du Nord de Saint-Domingue, le 10 janvier 1790.
Abel Jeune
Lu, certifié conforme aux Etats sanctionné par l’assemblé provinciale du 10 janvier dernier, remis à chaque Capitaine du Bataillon, et approuvé par nous, Colonel Commandant les Chasseurs Nègres Libres au Cap, le 10 janvier 1790.
De Charrier
Lu et approuvé par l’Assemblée provinciale de la partie du Nord de Saint-Domingue, au Cap le 12 janvier 1790
Larchevesque Thibaud, prdt [Président]
Soubien, secrétaire
et deux autres : Chever Dugrès, Major Général, 11avril
et le Cher Bedout, Aide Major Général, le 11 février.
1 BNF Gallica
2 Moreau de Saint-Mery, Médéric-Louis-Elie. Description topographique, physique, civile, politique et historique de la partie française de Saint-Domingue ; avec des observations générales sur la population, accompagnées de détails les plus propres à faire connaître l’état de la colonie à l’époque du 18 octobre 1789. Tome 1. Philadelphie, 1797, p. 484-487
3 Thomas Madiou fils, Histoire d’Haïti, Port-au-Prince, Haïti, 1847, tome Ier, p. 301, et Dr Robinet et alii, Dictionnaire historique et biographique de la révolution et de l'empire, 1789-1815. Ouvrage rédigé pour l'histoire générale (Volume 1), Paris, p. 39 . Son portrait figure sur une planche réalisée Jean-Louis-Gabriel La Potaire, membre du conseil des Anciens. Voir sa biographie par Bernard Gainot, Jean-Louis Annecy, de l’esclavage à la déportation puis au bagne, dans Eric Saunier, Les mémoires de la Traite négrière, de l'esclavage et de leurs abolitions, « Figures d’esclaves » : présences, paroles, représentations, colloque Université du Havre, 6-7 mai 2010. Portrait de Mentor dans J. de Cauna, Haïti, l’éternelle révolution (cahier d’illustrations), Port-au-Prince, Ed. Deschamps, 1994]