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Le blog de Jacques de Cauna Chaire d'Haïti à Bordeaux

Vient de paraître, dans la Revue d'Histoire Haïtienne, n° 1, Montréal (Canada), de Jacques de Cauna : Les secours aux réfugiés de Saint-Domingue à Bordeaux. A la recherche de l'homme de couleur invisible, p. 409-434.

2 Septembre 2019, 13:54pm

Publié par jdecauna

Plaque apposée en 2003 à mon initiative sur la maison d'Isaac Louverture à Bordeaux, au 44 rue Fondaudège.

Plaque apposée en 2003 à mon initiative sur la maison d'Isaac Louverture à Bordeaux, au 44 rue Fondaudège.

 Connu en 1824 des services de police comme "Monsieur Toussaint Louverture, fils du général, à Bordeaux depuis vingt ans, qui n'entretient aucune relation qui puisse donner de l'ombre au Gouvernement" (et pour cause... il était royaliste) !, Isaac était pensionné et surveillé à ce titre par le Ministère de la Marine et des Colonies, parmi d'autres noms célèbres ou inconnus.

Il a fallu attendre 2004, à l'occasion du Bicentenaire de l'indépendance d'Haïti, pour voir l'histoire de la famille de Toussaint Louverture sortir de l'oubli à Bordeaux et en Aquitaine (Agen, Astaffort et Belvès en Périgord) et commencer à intéresser les autorités locales et le public en général avec la publication de mon ouvrage "Toussaint Louverture et l'indépendance d'Haïti. Témoignages pour un bicentenaire", aux Editions Karthala et Société Française de l'Histoire d'Outre-Mer. 

Quinze après, on ne peut que déplorer l'exploitation pour le moins fantaisiste qui en a été faite pour des reconstructions mémorielles dans lesquelles la récupération politique a pris le pas sur l'histoire, avec au premier plan un buste au visage imaginaire qui est un véritable déni d'histoire.

Quant aux autres, ils sont restés dans l'oubli malgré leur mention sur une notice du Musée d'Aquitaine dont certains moralistes ignorants voudraient faire polémique sans l'avoir lue ni comprise correctement. Pour ceux qui seraient intéressés par la réalité historique relative à cette question, je conseille mon article pionnier,  largement exploité par la suite par d'autres : "Noirs et gens de couleur à Bordeaux et en Aquitaine aux 18e et 19e siècles : statuts, conditions, destinées et postérités", paru en 2009 dans Les Cahiers de L'Estuaire, n° 9, p. 47-70. Sans oublier bien sûr, l'ouvrage encore plus ancien : "L'Eldorado des Aquitains. Gascons, Basques et Béarnais aux Îles d'Amérique", Ed. Atlantica, Barritz, 1998.

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Sortie du Centre généalogique des Landes à Gamarde et Préchacq le Jeudi 22 août, dernier délais.

14 Août 2019, 16:48pm

Publié par jdecauna

A ne pas manquer... Inscrivez-vous tout de suite, dernier délais demain 15 août !

A ne pas manquer... Inscrivez-vous tout de suite, dernier délais demain 15 août !

La cotisation n'est pas obligatoire pour la sortie mais est toujours la bienvenue et permet de recevoir les deux bulletins annuels comprenant notamment le compte-rendu de la sortie et de bénéficier des informations, services et recherches réservés aux adhérents. Les co-présidents sont à votre écoute pour tous renseignements complémentaires.

La cotisation n'est pas obligatoire pour la sortie mais est toujours la bienvenue et permet de recevoir les deux bulletins annuels comprenant notamment le compte-rendu de la sortie et de bénéficier des informations, services et recherches réservés aux adhérents. Les co-présidents sont à votre écoute pour tous renseignements complémentaires.

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L'histoire de la Caraïbe en deuil

31 Juillet 2019, 14:24pm

Publié par jdecauna

L'histoire de la Caraïbe en deuil

Disparition de Philippe Rossignol. La généalogie en deuil.

Texte paru dans le Bulletin du Centre Généalogique des Landes n° 129-130, 1er et 2d trim. 2019

C'est avec beaucoup de tristesse que nous venons d'apprendre le décès de Philippe Rossignol, président fondateur de Généalogie et Histoire de la Caraïbe dont tous ceux qui se sont intéressés à l'histoire des familles connaissent l'importance dans la discipline qui nous réunit, non seulement pour la région concernée prioritairement, les îles antillaises, mais aussi pour l'ensemble des anciennes provinces de France dont étaient issus les colons.

Nombreux sont les généalogistes qui, un jour ou l'autre, ont eu recours aux bons services d'une association qui a toujours fait figure de référence pionnière dans l'informatisation des données, domaine de spécialisation de Philippe qui fut à l'origine de la création de nombreux outils (France Genweb, Généabank…) auxquels l'on a parfois recours sans savoir à qui on en doit le rôle primordial dans la diffusion des recherches. Au-delà des importantes responsabilités qu'il a longtemps assumées au secrétariat général de la Fédération Française de Généalogie, il suffira de consulter ses nombreuses communications aux différents congrès annuels pour mesurer son exceptionnel apport au développement de nos activités sur internet et la perte irréparable que représente sa disparition pour l'ensemble des généalogistes.

Mais pour nous, c'est surtout l'ami dont nous déplorons la disparition, celui toujours à l'écoute et disponible avec qui l'on partageait si simplement et passionnément sur des sujets d'intérêt commun. Les présidents et membres du conseil d'administration du Centre Généalogique des Landes tiennent en cette douloureuse circonstance, au nom de leurs adhérents et à titre personnel, à assurer Bernadette, son épouse et dévouée collaboratrice, ainsi que toute sa famille, de la part qu'ils prennent à leur affliction en leur présentant leurs plus sincères condoléances.

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Vient de paraître : le Bulletin du Centre Généalogique des Landes n° 129-130

26 Juillet 2019, 09:35am

Publié par jdecauna

Histoire, familles et patrimoine des Landes et des départements voisins

Histoire, familles et patrimoine des Landes et des départements voisins

Cousinage de familles landaises, bigourdanes, charentaises, girondines, descendants de Saint-Louis

Cousinage de familles landaises, bigourdanes, charentaises, girondines, descendants de Saint-Louis

Familles tarusates Dupont / du Pont et (de) Nolibois

Familles tarusates Dupont / du Pont et (de) Nolibois

Famille et patrimoine d'abbés laïques béarnais

Famille et patrimoine d'abbés laïques béarnais

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Il y a trente ans ! Le vrai visage de Toussaint Louverture (réédition 1989-2019)

17 Juillet 2019, 09:13am

Publié par jdecauna

La persistance des dérives historiques, erreurs et emprunts sauvages, nous contraint à revenir sur le sujet trente ans plus tard.
La persistance des dérives historiques, erreurs et emprunts sauvages, nous contraint à revenir sur le sujet trente ans plus tard.

La persistance des dérives historiques, erreurs et emprunts sauvages, nous contraint à revenir sur le sujet trente ans plus tard.

 Le véritable visage de Toussaint Louverture

« Le débat sur le vrai visage de Toussaint sera peut-être un jour éclairé par la découverte d'un nouveau dessin exécuté à Saint-Domingue » – concluait de manière prémonitoire Marcel Chatillon en 1989 à l’issue d’une rapide présentation du sujet pour le catalogue d’une exposition en Guadeloupe. C'est, en effet, ce qui se produisit peu de temps après, au détail près que le nouveau portrait en question, retrouvé en Haïti la même année, a plutôt été réalisé en France.

Il s'agit d'une gravure présentant un portrait en pied du général Toussaint Louverture par le graveur parisien Pierre-Charles Baquoy (1759-1829), issu d’un dynastie de graveurs du quartier Saint-Séverin, arrière-petit-fils et petit-fils de graveur, père de deux filles exerçant le même métier et fils de Jean-Charles Baquoy, « graveur en taille-douce ». Surtout connu comme graveur de mode pour son importante contribution au Journal des Dames mais aussi comme auteur de portraits de personnages célèbres tels que Voltaire, Bonaparte, Saint-Vincent de Paul…, ses propres gendres le déclarèrent à sa mort le 5 février 1829 âgé de soixante-dix ans, rue Saint-Hyacinthe près de la Sorbonne, sous la qualité – à laquelle il devait tenir – de « graveur d’histoire ». Dernier détail non négligeable, Baquoy a été pendant quatorze ans professeur au fameux collège de La Marche où avaient été envoyés les deux fils aînés du général : Placide et Isaac Louverture.

Cette gravure en taille douce a été fortuitement exhumée en 1989 des combles du Manoir des Lauriers à Port-au-Prince, résidence de l'ambassadeur de France et ancienne demeure du président haïtien Elie Lescot qui l’avait sans doute acquise à Paris lors de la vente des œuvres de Baquoy qui eut lieu après son décès. Ce portrait, que j’avais alors authentifié et analysé à la demande de M. l'Ambassadeur Jean-Raphaël Dufour au moment de sa découverte, a été reproduit pour la première fois dans l’ouvrage Haïti, l'éternelle Révolution que j’écrivais à l’époque pour le bicentenaire de la Révolution et qui ne fut publié finalement qu’en 1997 en Haïti en raison des troubles que connut le pays à l’époque, justifiant ainsi un titre prémonitoire[1].

Intitulée Gal Toussaint Louverture / par Baquoy, ce qui lève tout doute sur l’identification, la gravure est très proche par sa facture de son œuvre restée sans soute la plus célèbre, la fameuse représentation du « Nègre de Surinam » intitulée C’est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe illustrant le chapitre 19 de Candide. Toussaint est représenté, sur fond maritime vaguement tropicalisé, en uniforme de général de la République française mais sans épaulettes ni bandoulière, c’est-à-dire après dégradation, sabre au côté et bicorne à la main, s'appuyant sur une canne qui n'est pas sans rappeler celle que l'on trouve aujourd'hui au musée de Mirande dans le Gers, non loin du château des comtes de Noé et dont la dernière descendante avait fait donation au musée.

Quelques détails frappent immédiatement. D'abord, l’âge (calvitie et tempes grisonnantes) et l'allure générale de celui qui avait été surnommé en créole Fatras-Bâton (que l'on pourrait traduire par « le contrefait » – « Il est laid même dans l'espèce noire » – dit impudemment Ramel dans la préface du Toussaint Louverture de Lamartine), la taille (petite) et la corpulence (mince), associées aux jambes musculeuses du cavalier (le « Centaure de la Savane ») que l'on retrouve dans le tableau équestre de Volozan, sans doute fait à Saint-Domingue, détails qui correspondent tous parfaitement à ce que l'on connaît du personnage. Ensuite, le visage qui offre une mine particulièrement déconfite et triste, en dépit de la pose,  et le fait qu’on ne distingue pas d'épaulettes sur l'uniforme (on les lui avait enlevées sur le navire Le Héros à la suite de sa radiation de l’armée du 29 mars 1801 restée secrète jusqu’à ce qu’on la lui notifie sur le navire. Cet uniforme lui sera ensuite également retiré au fort de Joux et il s’en plaindra dans ses Mémoires).

On remarque enfin le mauvais positionnement du sabre sur le côté droit, qui ferait du personnage un gaucher, ce qui n'a jamais été signalé et qui contredit manifestement toutes les autres représentations potentiellement véridiques. Ce ne peut être dû qu’à la pose imposée, une sorte d’arrangement fait au dernier moment pour la postérité lui remettant un sabre qu’il ne portait évidemment plus depuis son arrestation.

Tous ces points inclinent à penser fortement que le portrait a été réalisé après l'arrestation et la déportation de Toussaint, très vraisemblablement peu après son arrivée à Brest, après une traversée de 27 jours sur  Le Héros, le 9 juillet 1802, et avant son départ pour le fort de Joux le 13 en fourgon cellulaire, événement qui dut faire quelque bruit à l'époque en dépit des précautions de discrétion dont on souhaitait politiquement entourer l'affaire. Tout porte à croire qu'on est donc là en présence de ce qui correspond à une véritable photographie d'époque de Toussaint mis aux arrêts et en instance de transfert vers le fort de Joux, un instantané pris sur le vif marquant à la fois le témoignage pour l'actualité et la mise en mémoire pour l'histoire d'un événement important pour lequel on aurait fait venir de Paris l’un des graveurs les plus en vogue du moment.

Arrêtons-nous un moment encore pour finir sur le visage, qui est très différent des représentations que l'on connaît habituellement mais dont la ressemblance, pour ne pas dire la totale similitude, avec un autre portrait est frappante : celui qui figure en exergue de la plaquette publié en 1984 à l'occasion du gala de premier anniversaire de la fondation du Musée du Panthéon National Haïtien [Mupanah], sous le titre Toussaint Louverture mort au fort de Joux (France) le 7 avril 1803. Il s'agit d'un profil en couleur inscrit dans un petit médaillon familial ovale sur lequel on distingue clairement, outre les épaulettes et la bandoulière étoilée de l'uniforme, le catogan attachant les cheveux, détail confirmé par les Mémoires d'Isaac Louverture.

Le même portrait, accompagné de deux autres médaillons, figure également dans la plaquette simplement intitulée Toussaint Louverture réalisée pour le musée en 1983 par Jean Fouchard, mais avec la légende erronée : « Placide (au lieu de Toussaint), Isaac Louverture et Madame Placide Louverture née Joséphine de Lacaze de Guirodet » (nom avancé également par Nemours mais que l’on doit corriger en « Lacaze de Corrent, branche des Guirodet »), alors qu'en couverture on a fait figurer le portrait par Montfayon transmis par Gragnon-Lacoste, au demeurant assez ressemblant sur le fond (on y retrouve la bandoulière étoilée, le début de calvitie frontale, le catogan) si l'on veut bien ne pas tenir compte d'une volonté marquée d' « embellissement artistique » du visage dont l'objectif évident est de « blanchir » le personnage pour satisfaire un public européen. Ce qui n’a pas empêché Isaac Louverture de le certifier authentique. Ces médaillons familiaux, dont l'origine précise n'est indiquée dans aucun des deux documents, paraissent bien provenir de ces « précieux papiers Gragnon Lacoste offerts à notre premier musée National par le président Sténio Vincent » qu'évoque Jean Fouchard.

Toutes les images (plus ou moins réduites) du véritable portrait en pied de Toussaint en circulation actuellement sur la toile proviennent de la photo originale faite en 1989 par Jacques de Cauna au manoir des Lauriers à Port-au-Prince. Cette photo a été publiée dans Haïti, l’éternelle Révolution, Port-au-Prince, Deschamps, 1997. Voir aussi pour plus de précisions J. de Cauna, Toussaint Louverture et l’indépendance d’Haïti, Paris, Karthala et SFHOM, 2004, p. 42-43, et le cahier iconographique central dont nous donnons un extrait ci-dessus.

  Jacques de Cauna

Docteur d’État (Sorbonne) 

CNRS / EHESS / CIRESC      
 

[1] Jacques de Cauna, Haïti, l'éternelle Révolution, Ed. Deschamps, Port-au-Prince, 1997, p. 164-165, réédition PRNG, 2009. Cette découverte, sa date et son importance, sont formellement attestées par David Geggus dans The changing faces of Toussaint Louverture. Literary and pictorial depictions, The John Carter Brown Library electronic (consultable en ligne) publications, en ces termes :

" Fig.11. Pierre-Charles Bacquoy. Photographed by Jacques de Cauna. 

"By far the most important recent development in this area was the discovery of a full-length picture of a forlorn, bare-headed Toussaint Louverture in 1989. It was found in the attic of the French ambassador’s house in Port-au-Prince, which had formerly belonged to President Élie Lescot. The depiction of Toussaint’s face lies somewhere between those of the Maurin and Montfayon portraits. Photographed by cultural attaché Jacques de Cauna, it constitutes an iconographic counterpart to the documentary discoveries of Debien and Ménier the previous decade (fig. 11)".

 

Gravure de Pierre-Charles Baquoy d'après un dessin de Jean-Michel Moreau le Jeune, dans Voltaire, Candide ou l'Optimisme, chapitre 19, Œuvres complètes, Imprimerie de la société littéraire typographique, 1785.

 

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Au secours Toussaint !

4 Juillet 2019, 17:20pm

Publié par jdecauna

Au secours Toussaint !
Au secours Toussaint !

Une semaine en demi-teinte pour la mémoire de l'esclavage à Bordeaux (autour du 10 mai, journée officielle de commémoration)

Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il y eut des hauts et des bas ! Commençons par les mauvaises nouvelles :

J'ai appris tardivement – comme tout le monde – que le programme à venir dans la semaine qui suivait mettrait à l'honneur un hommage à Haïti et à Toussaint Louverture. C'était donc une sorte de remake à une douzaine d'années de distance de la première édition de la journée de la mémoire de l'esclavage en 2006, mais qu'importe, cela aurait pu être à nouveau une bonne nouvelle ! A la seule différence près que la nouvelle commission organisatrice n'a pas souhaité cette fois s'appuyer sur les structures et personnalités haïtiennes existantes : universitaires (Chaire d'Haïti Ciresc Cnrs à Bordeaux, professeur Jacques de Cauna), associatives (association des étudiants haïtiens Lakay, professeur Raphaël Lucas, membre du groupe Horizons Caraïbes (ex Caraïbes Plurielles…), d'ailleurs absentes dès le début dans sa composition. Et pour ce qui est de Toussaint Louverture, il est par ailleurs tout à fait symptomatique d'un certain état d'esprit que nos autorités n'aient pas songé une seconde à citer quelque part le récent ouvrage sur le Grand Précurseur édité par les Editions Sud-Ouest et écrit par un historien bordelais. On est bien obligé d'en tirer certaines conclusions désagréables...

Parmi les autres déceptions marquantes :

- Pas un seul Haïtien au colloque international des VIIe Rencontres Atlantiques du Musée d'Aquitaine et pas un historien d'Haïti dans le Comité scientifique de ce colloque malgré la présence (initiée par le Comité de 2006) parmi les organisateurs du Ciresc où il existe au moins un spécialiste du sujet (relation de cause à effet ?). Difficile à accepter pour la première république noire du monde et ceux qui s'y intéressent vraiment et sont reconnus pour cela.

- Compte tenu sans doute de l'aide fournie à la Mairie pour certains textes, une vague proposition de « débat » avec un collègue parisien, vite transformée en présentation promotionnelle à voix unique du dernier ouvrage de ce collègue appelé à se déplacer de Paris aux frais du public bordelais pour l'entretenir du Noir dans l'art en général. Et pourquoi pas de Toussaint Louverture, sans frais, par un historien bordelais, à défaut de « débat » ?

- Un regain de récriminations à ambitions moralisatrices sur l'exposition du Musée d'Aquitaine inaugurée il y a dix ans sans justifications sérieuses ni autre explication possible que de mauvaises lectures assises sur une grosse ignorance historique et sans doute quelque aigreur personnelle ou manque à satisfaire. Il s'agit notamment d'une attaque largement relayée sur un prétendu cartel « révisionniste » lié à la présence de Noirs et Gens de couleur à Bordeaux (surtout lorsqu'ils sont libres). La dénonciatrice (romancière de son état) serait bien inspirée de faire très attention à tout ce qui peut relever d'une lecture rapide, lacunaire ou approximative, ou de possibles confusions et absences de nuances semblables à celles que pratique habituellement son principal soutien idéologique lorsqu'il dénonce la présence de noms de rues de négriers à Bordeaux. Il existe par exemple dans cette ville une rue Garat. Faut-il dénoncer ici le rappel de l'alter ego de Maurice Papon, Pierre Garat, chef des questions juives à Bordeaux sous Vichy et organisateur de leur « triage » et déportation (puisqu'elle emploie malencontreusement ce terme) ? Ou alors évoquer les frères basques abolitionnistes de ce nom ? On conviendra qu'on ne peut pas tout mettre dans le même sac « familial ».

- L'absence de retour des responsables en matière de reconnaissance de l'aide historique apportée (corrections et ajouts sur demande à divers textes soumis hors commission). Notamment pour la rédaction de la notice « Toussaint Louverture » reproduite sans la moindre mention, en particulier pour la citation finale extraite directement de mon dernier Toussaint Louverture. mais aussi pour la rédaction d'une notice du Jardin botanique sur les armes d'Haïti et le palmiste de la Liberté (sans autres nouvelles à ce jour). Et pour quelque mises en garde sur le sérieux et l'opportunité de certains sujets et de leur traitement. L'histoire n'est pas disponible en rayon dans un supermarché.

- Et notamment, en particulier, le maintien et pérennisation de la supercherie historique concernant Modeste Testas, sur le mode états-unien de Roots. Même si l'idée saugrenue de la représentation du prétendu buste de l'esclave sous les traits d'Antoinette Lespérance, mère née libre du Président Légitime, a été abandonnée en fin de compte. Mais alors, pourquoi ne pas en avoir tout simplement expliqué publiquement la raison telle qu'elle avait été exposée ? Je note au passage que personne parmi les auteurs de cette innovation n'est venu m'en reparler ce jour-là, pas plus que dans ceux qui précédaient.

- Sans oublier la présence incongrue lors de l'habituelle cérémonie dans la ligne des officiels de M. K. Diallo venu en dernière minute en grande tenue de gala africaine. Y avait-il été invité ? Fallait-il y voir une évocation du rôle des chefs africains dans la traite, toujours oublié ? Ou une « reconnaissance » semblable à celle exprimée par notre ancien maire dans son Dictionnaire amoureux de Bordeaux à l'article « Esclavage » où il est le seul nom cité (par deux fois) avec celui du Nantais auteur de Bordeaux port négrier ?  Que doivent penser de tout cela les Antillais de Bordeaux et ceux qui ont travaillé sur le sujet depuis de longues années ?

On a du mal à trouver face à cela quelques points positifs, mais ils existent heureusement :

- La belle réussite de l'ensemble des manifestations commémoratives du Bicentenaire de la fondation de Cienfuegos par le Bordelais Louis de Clouet (pourquoi pas une rue à son nom ?), initiative associative avec soutien universitaire.

- Et notamment le brillant colloque international Bordeaux et Cuba. Des liens historiques aux coopérations innovantes tenu à l'Institut Cervantes à l'initiative de nos collègues Mélanie Moreau, Eric Dubesset et Jean Lamore, ainsi que la grande soirée-débat Quand Bordeaux rencontre Cuba à l'Utopia (salle comble) avec la projection des deux films De Bordeaux à Cuba, une aventure oubliée, de Bernard Bonnin et Francis Lambert (visible sur la nouvelle chaîne télévisée Noa), et Cuba, la mémoire libérée, de Ghislaine Graillet que nous avions déjà eu l'occasion de présenter au château de Caumale pour un congrès de la Fédération des Académies de Gascogne et au Musée d'Aquitaine.

- Les deux excellents colloques universitaires sur les Transmissions dans la Caraïbe et sur Bordeaux et Cuba, avec naturellement la présence de collègues antillais invités, principalement de Cuba, Martinique, Guadeloupe, Guyane, îles anglaises.

- Quelques bonnes interventions enfin au colloque Sémiophores de la traite et des esclavages des 7e Rencontres Atlantiques au Musée d'Aquitaine.

- Et pour finir, la reprise, en forme de récupération anonymisée des sources, comme d'habitude, de quelques bonnes idées que nous avons pu suggérer depuis quelque temps, avec en premier lieu la création de noms de rues d'abolitionnistes. A suivre... en espérant qu'on y trouvera encore à l'avenir quelque intérêt.

 

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Le Franco-haïtien Philippe Kieffer honoré à Ouistreham pour la commémoration du débarquement du 6 juin 1944

7 Juin 2019, 08:29am

Publié par jdecauna

Une statue du commandant fondateur des Bérets Verts, commandeur de la Légion d'Honneur et Compagnon de la Libération, a enfin été inaugurée ce 6 juin à Ouistreham

Une statue du commandant fondateur des Bérets Verts, commandeur de la Légion d'Honneur et Compagnon de la Libération, a enfin été inaugurée ce 6 juin à Ouistreham

Philippe Kieffer et ses 177 commandos de marine furent les seuls Français à participer au débarquement du Jour J.  Leurs pertes furent considérables et ils furent longtemps les grands oubliés de l'histoire. La famille Kieffer, d'origine alsacienne, avait quitté la France lors de l'annexion allemande et c'est ainsi que Philippe Kieffer naquit en Haïti à Port-au-Prince le 24 octobre 1899 d'une mère anglaise. 

Il est regrettable que cette origine haïtienne ne soit jamais mentionnée, occultant ainsi l'apport haïtien à la libération de la France que j'avais rappelé il y a cinq ans sur ce blog (mai 2014) dans l'article reproduit ci-dessous. Ce rappel aurait-il enfin été (en partie) entendu ?

 

Les Franco-haïtiens et l'appel du 18 juin 1940.

Encore un déni d'histoire !

 Alors que l'on célèbre les cérémonies commémoratives du débarquement du 6 juin 1944 et que s'approchent celles de l'appel du 18 juin, on peut regretter à nouveau qu'Haïti, qui a tant besoin d'une vraie reconnaissance historique en France, ait été encore une fois oubliée dans les invitations. Voici ce que j'écrivais dans ce blog il y a quatre ans à propos de Tony Bloncourt, autre grand oublié franco-haïtien : 
Alors pourquoi ce nouveau déni d’histoire, ce refus de le rendre à Haïti – qui a tant besoin aujourd’hui de reconnaissance en France – et aux Antilles en général, l’un de ses enfants héroïques, au même titre d’ailleurs que Philippe Kieffer, né à Port-au-Prince et ses 177 compagnons (les fameux « bérets verts »), parmi lesquels des franco-haïtiens, qui furent les premiers à poser le pied sur les plages normandes pour la libération de la France (voir ci-dessous la liste du comité de la France Libre d’Haïti d’après les souvenirs de Jean Fouchard) ? N’importe quel casuiste vous dira qu’il n’y a là qu’omission et que cela n’est pas mensonge. Et d’ailleurs, comme cette fois aucun personnage politiquement en vue ne s’en est encore mêlé en y apportant sa part spectaculaire de bourde historique (voir Mme Royal et l’affaire de l’Astran), il y a peu de chance que tout cela parvienne jusqu’aux grandes oreilles des médias… Ce qui ne serait pas très grave dans le fond s’il n’y avait derrière cette conjuration du silence méprisante et récupératrice tout un large public, et particulièrement toute une jeunesse, à nouveau manipulés et tenus dans une semi-ignorance propice à toutes les dérives dans un pays qui a quelque mal à apprécier l’autre dans sa différence.


Pour l’histoire. Le Comité des Forces Françaises Libres d’Haïti

d’après une communication orale de mon grand ami l’historien Jean Fouchard, transcrite en 1988 dans sa maison de Pétionville, à partir d’une fiche manuscrite qu’il tenait lui-même de son parent par alliance Ferdinand Fatton fils, impasse Claudinette à Pétionville (certains noms ont pu être déformés à l’oral ou dans la transcription, j’ai précisé ceux des familles de mes anciens élèves du Lycée français. Il s'agit quasiment d'histoire orale. Merci de m’indiquer les éventuelles erreurs ou  omissions).  

Ferdinand Fatton, président

G. Vabre, volontaire à Londres

J. Brédeau, volontaire à Londres

C. Weill, mari de la sœur d’A. Silvera, fils du ministre

De Veyrac, marié à Jeanne Busch [d’une famille haïtiano-allemande], commerçant, chevalier d’industrie, garde-magasin à l’Electricité d’Haïti.

Pierre Nadal, petit neveu ou cousin de Robert Nadal père, parti en France pour participer aux combats et mort en France (famille de nos amis Nadal, Ti Robert, Olivier, et leurs parents)

I.-M. Epailly, Français de la compagnie American Cable [pose du cable sous-marin], père de Mme Péreira (épouse du consul, père de Michèle et Mélissa, mes élèves au Lycée français).

Jamel Assali, Libanais qui avait épousé une demoiselle haïtienne (père de mon élève Marie-Carmèle).

Yves Bloncourt père ( ?).

Chalom, Libanais.

C. Castéra

Caliste, des Cayes

R. Deuix, marié à une demoiselle Hirsch

Jean Froger, Français de passage [sic]

Jugie, restaurateur français rue Borno, maison Crepsac (à Pétionville, famille de mes élèves Emmanuel et Anne Crepsac).

Magny, directeur de la Compagnie Transatlantique

François Naudé, frère de Georges, commerçant

Paul Paquin, père de Lyonel (père de Raphaël, mon élève), tenait un magasin de tourisme appartenant à Mme Gaetjeens (de Pétionville).

Vabre, Chef du portefeuille à la Banque Nationale (avec Philippe Kieffer).

Ganot, parfumeur.

Khawly, commerçant libanais

Bouez, marchand de tissus libanais

Antoine Hage, commerçant libanais (voir Eddy Hage... dixit J. Fouchard, qui savait que nous étions amis)

Sarkis, Libanais, commerçant aux Cayes

Ch. Picoulet, produits alimentaires

M. Kieffer, frère de Philippe, à la Banque du Canada. Philippe Kieffer, avait eu deux enfants d’un premier mariage : un fils, Claude, mort à la guerre, et Maël, sa fille, nés à Port-au-Prince d’Anita Scott, sa fille employée à l’ambassade. Sa mère, veuve de Philippe Kieffer, son père. Arrivée avec Jacques Soustelle le 19 mai 1941, trois jours à Port-au-Prince.

Comeau-Montasse, commerçant

R. Nadal, commerçant avec son frère Joseph (famille de nos amis Nadal)

P. Gauthier, commerçant

Reiher, Alsacien, commerçant

G. Naudé, commerçant en café

Barini, Corse, rue du Quai

C. Barreire, garagiste

A. Barreire, fils, maison d’appareils électriques

La Quintrie, Français, représentant d’une grande maison de commerce

H. Odéïde, marié à une demoiselle Auguste remariée plus tard à Henri Borno (famille de nos amis Odéïde, René et son épouse, et des présidents Auguste et Borno, à Martissant et Pétionville, propriétaires de la plantation Fleuriau).

Faure, de la Hasco [Haïtain & American Sugar Compagny, siège à Chancerelles, Port-au-Prince]

Marini, Corse, Hôtel Marini et Cabane Choucoune [terme haïtien équivalent de « carbet », célèbre dancing de Pétionville]. Son fils René, ministre du tourisme, marié à une fille du président Eugène Roy.

Géraldi, Corse.

            Jean Fouchard conservait dans sa riche Bibliothèque haïtienne le texte de l’appel de Ferdinand Fatton (son parent par la famille de son épouse, les Vieux) pour le 1er anniversaire du 18 juin 1940, une photo de Ferdinand Fatton, décédé le 15 juillet 1973, un état des services et une biographie de Philippe Kieffer par M. Steiner, ainsi que son livre Béret vert, et des lettres et cartes adressées par le général De Gaulle et sa secrétaire bénévole, Mlle de Miribel. Il se souvenait que sous le président Vincent, dans les années 1935-1936, Philippe Kieffer était déjà âgé, « environ d’une cinquantaine d’années » [40 en réalité, né en 1899], grand amateur d’aventures galantes avec son ami intime à la Banque, Delva, et qu’il avait deux frères, Philippe et Marcel, et deux sœurs, dont l’une, Jeanne, à Londres. 

 

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Une toute nouvelle Modeste Testas !

4 Juin 2019, 13:58pm

Publié par jdecauna

Une nouvelle représentation à la suite de nos observations

Une nouvelle représentation à la suite de nos observations

Mais on nous l'a complètement changée ! Voilà finalement l'œuvre d'art censée représenter Modeste Testas comme symbole de l'esclavage sur le quai de Bordeaux. Félicitons d'abord l'artiste, le sculpteur haïtien Caymitte Woodly, dit Filipo, pour ce beau travail d'imagination à partir d'un modèle resté dans l'anonymat mais qui rappelle tout de même quelque chose...

On conviendra ensuite que cela n'a plus rien à voir avec la première ébauche qui avait été présentée dans la presse et la communication municipale qui l'avait accompagnée à partir du buste « chaînes aux pieds [sic] » de la mère du président haïtien Denis Légitime, Antoinette Lespérance, née libre après l'indépendance. La représentation imaginée à partir du tableau bien réel de cette aïeule a donc bien été abandonnée.

Joli tour de passe-passe de dernière minute… Ne dirait-on pas que nos observations sur le déni d'histoire et l'opportunité douteuse de la représentation pour les Haïtiens, consignées dans une lettre à M. le maire Alain Juppé, ont fini par être en partie entendues ? En partie seulement, car on ne peut toujours pas accepter – même avec quelques atténuations dans le caractère péremptoire d'affirmations dépourvues de preuves – la permanence du roman historique qui accompagne la présentation d'une œuvre prétendument symbolique mais que l'on s'obstine toutefois à vouloir ériger en indiscutable vérité issue d'un cas concret lié à l'histoire de Bordeaux.

Une question subsiste et menace de continuer à se poser indéfiniment : si les observations d'un historien de la Caraïbe d'origine bordelaise distingué par la République d'Haïti ont été utiles, pourquoi ne pas l'avoir pas reconnu publiquement, au moins en remerciant sous une forme ou une autre celui qui les a formulées ?

Nous nous réservons d'apporter en temps voulu toutes les lumières nécessaires sur la genèse complète de cette affaire qui nous paraît tout à fait représentative d'une attitude plus que légère envers l'Histoire et les historiens dans un monde malheureusement livré au sensationnalisme médiatico-politique.

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Du café dominguois au sucre cubain : les La Valade du Repaire de Truffin

20 Mai 2019, 14:07pm

Publié par jdecauna

Du café dominguois au sucre cubain : les La Valade du Repaire de Truffin

Lundi 27 Mai 2019 à l'Institut Cervantes, Bordeaux, 16h30-17h00

Jacques de Cauna, CNRS/EHESS CIRESC Chaire d’Haïti à
Bordeaux
Du café dominguois au sucre cubain : destinées coloniales et post- coloniales d’une famille aquitaine, les La Valade du Repaire de Truffin (XVIIIe-XXe siècles)

Au début du siècle dernier, dans un courrier du 2 octobre 1906 envoyé par le consul de La Havane à Léon Bourgeois, Ministre des Affaires Étrangères, au sujet d'une réunion provoquée par les menaces qui pèsent sur les Français et leurs possessions à Cuba en raison des troubles consécutifs à la guerre d'indépendance, le diplomate français évoque en ces termes ses compatriotes marquants dans l'île : 

« Le Comte de Beaumont, MM. Truffin, Loumiet, Labarrère et Dufau représentaient nos compatriotes propriétaires dans l’île dont les terres vaudraient 21 millions de francs (sucre, tabac, café)... Leur avis est unanime : ils ne souhaitent qu’une chose mais ils la souhaitent avec force, c’est que la crise cesse immédiatement et ne se renouvelle plus. Elle les expose : 1° à ne pouvoir faire leur récolte cette année. 2° à voir leurs fermes, leurs sucreries et leurs champs détruits. Tout régime qui leur donnera la sécurité sera le bienvenu et quelques planteurs seraient pour l’annexion américaine […]

Voici les chiffres qui m’ont été donnés à la réunion (sous toutes réserves) : il y aurait de 800 à 1 000 français épars dans l’île. Parmi eux les plus importants planteurs sont : Truffin (10 millions), Redort (3), Labarrère (2), Kurz (1,5), Laborde (1 ), Labaraque (1), Loumiet (0,8), Beaumont (0,3), Divers (2) ».

Soulignant que l'industrie française est « représentée d’une façon brillante à Cuba », le diplomate précise en exemple que « le trust des mélasses de M. Truffin [...] est la plus jolie démonstration de l’envergure toute américaine qu’une tête française sait donner aux grandes affaires ».

L'auteur du mémoire qui cite ce courrier souligne pour finir que « le premier des ces hommes, le plus riche, s’appelle Régis du Repaire de Truffin ». Malgré cette utile précision, le nom est encore incomplet puisqu'il s'agit en fait de François-Régis de La Valade du Repaire de Truffin.

Issu d'une famille noble du Périgord dont l'aïeul, passé à Saint-Domingue comme officier y était devenu planteur caféier par un mariage créole, il fut Consul impérial de Russie à La Havane en 1892 à 35 ans. Il avait reçu à ce titre la croix de Sainte-Anne et l’Ordre de Saint-Stanislas avant de revenir à la vie commerciale et aux affaires comme président de la Manati Sugar Co., puis investisseur et vice-président de la Cuba Cane Sugar Corporation en 1915 qui finit par contrôler, à travers les dix-sept centrales sucrières qu’elle avait acquises, la quasi-totalité du sucre cubain, ce qui en fit la première compagnie sucrière du monde. Il fut aussi un membre important de la Société de Bienfaisance française et présida la Compania Cubana de Jarcia, la Cuban Rope Factory, la Chambre Franco-Cubaine de Commerce, le Vedado Tennis Club, le Country Club, le Yacht Club de La Havane et l’Union Club situé sur l'avenue qui prit son nom. A l’origine de la construction du Ferrocarril del Norte de Cuba qui, terminé en 1920, reliait tout le nord de la province de Camaguëy (ex Puerto-Principe) au port de Nuevitas, permettant à toute une région d’embarquer ses produits, en particulier la canne à sucre, il fut ainsi l'artisan du développement de la plus grande centrale sucrière du monde gérée par la American Sugar Refining Co. Il offrit enfin à sa seconde épouse un magnifique domaine urbain dans le quartier de Vedado à La Havane, la finca Mina, qui devint plus tard le célèbre cabaret Tropicana sur l'avenue qui porte son nom, comme la petite ville de Truffin, près de Camagüey.

La famille, dont subsiste en France une postérité charentaise et une autre girondine, a des descendants à Cuba, en Espagne, aux Canaries, aux Etats-Unis en Floride et en Californie, en Belgique, en Allemagne, en Nouvelle-Zélande...

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Le château de Caumale à Escalans, haut-lieu d'histoire gasconne et créole

18 Mai 2019, 17:05pm

Publié par jdecauna

Le château de Caumale à Escalans, haut-lieu d'histoire gasconne et créole

Le château de Caumale à Escalans, haut-lieu d'histoire gasconne et créole

Château gascon, château de dames

Longtemps, le château de Caumale, archétype du château médiéval gascon, aux confins du Gabardan et de l'Armagnac, a dressé la puissante mais fantomatique silhouette de ses hautes tours aux toitures dévastées par les intempéries à la sortie de la ville de Gabarret sur la route de Castelnau d'Auzan, comme un ultime témoignage de sa splendeur passée avant une disparition qui paraissait annoncée et inéluctable. Car les châteaux meurent aussi comme nous l'a montré il y a peu le château voisin de Bertheuil à Campagne. Mais l'histoire, intangible, veille, et l'antique demeure est aujourd'hui sauvée après avoir bien changé au cours des siècles. C'est une nouvelle fois une bonne fée qui est venue réveiller ce beau château qui avait pris l'habitude, comme Chenonceau, d'être transmis par les dames…

Aussi loin que puisse remonter la mémoire historique des pierres, c'est en effet à Aliénor d'Aquitaine qu'il faut se référer pour retrouver la propriétaire de la forteresse bâtie autour du gros mur de refend, âme de la maison, aujourd'hui caché dans la restructuration intérieure d'un couloir du rez-de-chaussée. Mais à quoi pouvait rimer cette présence massive d'une forteresse en plein champ sans même la traditionnelle motte féodale justifiant une position militaire défensive ? Il faut prendre le temps de contourner le château par le Nord pour découvrir, de l'ancienne route, qu'il occupe en réalité la dernière marche de la plaque du piémont pyrénéen avant la grande forêt, face aux Barbares du Nord. Et, plus tard et vers l'Est, qu'il est la première défense face aux grands ennemis voisins : la maison des comtes d'Armagnac, alliés aux souverains français contre le pouvoir anglo-gascon. C'est ce qui explique la présence de meurtrières dans les communs appuyés sur les murs d'enceinte qui forment une cour intérieure carrée, et des deux petites tours d'angles massives du XIIe siècle subsistantes. C'était aussi le château-refuge de la ville toute proche de Gabarret vers laquelle s'ouvre un mystérieux souterrain.

Les célèbres Rôles Gascons, témoins des actes des successeurs de notre duchesse devenue reine d'Angleterre, nous apprennent que les rois-ducs, depuis au moins Richard Cœur-de-Lion et son compagnon d'armes et ami, Arnaud-Guilhem de Marsan, le troubadour d'Aliénor, avaient confié la garde de la ville et château de Gabarret à ces Marsan, co-seigneurs de Roquefort avec les vicomtes leurs cousins fondus au fil du temps dans les maisons de Bigorre, de Gabardan et de Béarn par les alliances de Guiscarde de Béarn, Béatrix et Pétronille de Bigorre, Mathe de Mastas, puis sa fille Marguerite de Béarn qui porta ces biens par mariage au comte de Foix, Roger-Bernard, bisaïeul de Gaston Fébus. Ce qui valut à Caumale d'être épargné par le Prince Noir lors de sa Grande Chevauchée.

On a surtout retenu parmi eux la grande dame que fut Clarmonde de Marsan, issue du troubadour et mère du célèbre Pées de Gabaston qu'Edouard II appelait son frère (certains historiens anglais évoquent une paternité royale, d'une liaison avec Clarmonde lors d'un séjour d'Edouard Ier). Son mari, Arnaud de Gabaston, tenait toute la terre de Gabardan que son autre fils Arnaud-Guilhem de Marsan remit à Gaston de Béarn. Ces biens parvinrent ainsi à Jeanne d'Albret, mère du futur Henri IV, qui racheta les fiefs restants d'Escalans à Françoise de Marsan, dame du château voisin de Lacaze à Parleboscq.

Château noble, château créole

C'est donc à Louis XIII que le premier membre connu de la famille de gentilshommes verriers des Grenier de Caumale, Fortis, rendit hommage en 1618. On lui doit sans doute l'apparence actuelle du château noble avec ses pierres de taille marquées de rosaces de compagnons. Quatre générations plus tard, une autre demoiselle, sa dernière héritière, Jeanne de Grenier de Caumale le transmit à sa fille, Marie-Paule de Boyrie de Caumale, et elle-même à sa fille, Jeanne-Marie-Françoise de Tartanac de Gensac, laquelle, devenue Madame Bernard de Laborde de Mirambel par mariage à Escalans en 1788 avec un avocat bordelais, vendit en 1830 avec sa sœur à un ancien colon gascon de Saint-Domingue, Joseph-Bernard, alias José, Delisle, créole de Labastide d'Armagnac.

Celui-ci, ruiné par la révolution des esclaves après un riche mariage créole avec une Duverger, avait refait sa fortune dans le café à Cuba, dans l'Oriente, sur les hauteurs de la Sierra Maestra, et, comme tout colon « américain » rêvait de rentrer au pays richissime et en position de s'y installer comme châtelain et d'y marier ses filles dans la noblesse. Ce qui ne manqua pas d'arriver avec Catarina-Ygnacia de La Merced Delisle, née à Santiago de Cuba, dite Nathalie en famille, unie au marquis de Cumont dont les héritiers vendirent plus tard à Marie Maysonnave, aïeule des actuels propriétaires.

Une importante restauration du château avait eu lieu à l'époque des Boyrie comme en attestent leurs armes de sinople au chevron d'argent accompagné de 3 chabots de sable et 2 merlettes en chef gravées sur la porte d'entrée sud aujourd'hui condamnée. Le château dut alors y gagner en apparence et confort. C'est de cette époque pré-révolutionnaire que datent sans doute les fenêtres en trompe-l'œil destinées à donner une apparence de symétrie classique de meilleur aloi aux façades. Une autre restauration intervint avec les nouveaux occupants créoles qui marquèrent l'intérieur de fresques exotiques très colorées sur des fonds de mur ocres, orangés ou rougeâtres. On peut imaginer aussi qu'ils attachèrent quelque importance aux jardins extérieurs et au potager grillé où pouvaient être cultivés quelques produits des îles pour leur alimentation ou leur agrément. Lors de leurs divers séjours à Caumale, les Delisle rapportaient de leurs voyages cabosses et fèves de cacao, grains de café verts ou en coques, sucre de canne brut ou terré, piments et autres épices. Ils ont apporté ainsi une note que l’on imagine particulièrement exotique à la région pour l’époque, et laissé une empreinte bien singulière à Caumale, toujours visible…

Cette créolisation des lieux permet d'évoquer lors des visites costumées du château le florissant commerce des denrées coloniales : café, cacao, coton, sucre, indigo... expédiées des îles vers les grands ports aquitains de Bordeaux, La Rochelle et Bayonne. Mais aussi l'esclavage des Noirs aux Amériques dont certains, jouissant d'un statut privilégié de domestiques de confiance, pouvaient accompagner leurs maîtres en France à l'occasion de voyages. On voyait aussi sur les listes de débarquement de nombreux petits « mulâtres », enfants de colons et de leurs ménagères de couleur, mais très rarement des enfants noirs esclaves, négrillons et négrittes, qui, sur les plantations, vivaient en bande sous la conduite d'une vieille domestique jusqu'à l'âge de douze ans avant de rejoindre les ateliers pour les rudes travaux des champs.

C'est toute cette histoire hors du commun, marquée par la présence de grands noms tels que Rochambeau, Casamajor, Préval, Vaublanc, Humbolt, Vilmorin…, que les actuels propriétaires, Geneviève et Pierre Fabre, ancien diplomate, et leurs proches font revivre aujourd'hui dans l'antique demeure léguée par un vieil oncle qui avait conservé dans une grande maison de Gabarret le mobilier du château mis en fermage. Ce qui a permis, avec les pièces d'archives, plans, inventaires et correspondances conservés, de reconstituer un intérieur qui a retrouvé et sans doute même surpassé sa splendeur créole d'antan. D'innombrables trésors d'objets d'art, tableaux, porcelaines, chocolatières..., y attendent le visiteur. Classé à l'ISMH, Caumale est devenu aujourd'hui le siège de la Fédération des Académies de Gascogne et de la Demeure Historique des Landes et offre un prestigieux éventail d'activités culturelles et artistiques gasconnes et créoles.

Dans le droit fil, figurent parmi les héritiers des petits-enfants créoles vivant aujourd'hui dans l'île antillaise de Saint-Martin.

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