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Le blog de Jacques de Cauna Chaire d'Haïti à Bordeaux

INFO : Ce soir sur France 3, à 21h05 Le destin exceptionnel de Toussaint Louverture (émission en partie tournée à la Rochelle le 27 mars dernier en présence de Stéphane Bern

10 Mai 2021, 14:13pm

Publié par jdecauna

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Toussaint Louverture encore ! Un bel article de Pierre Jovanovic dans La Vie

7 Mai 2021, 17:37pm

Publié par jdecauna

Et le Lundi 10 mai sur France 3 à 21h05 dans "Secrets d'Histoire" avec Stéphane Bern, Dany Laferrière, Jacques de Cauna, Pierre Branda, Pierre Buteau, Christian Petitfils... à Bordeaux, La Rochelle, Haïti, le Fort-de-Joux, la Guadeloupe...
Et le Lundi 10 mai sur France 3 à 21h05 dans "Secrets d'Histoire" avec Stéphane Bern, Dany Laferrière, Jacques de Cauna, Pierre Branda, Pierre Buteau, Christian Petitfils... à Bordeaux, La Rochelle, Haïti, le Fort-de-Joux, la Guadeloupe...

Et le Lundi 10 mai sur France 3 à 21h05 dans "Secrets d'Histoire" avec Stéphane Bern, Dany Laferrière, Jacques de Cauna, Pierre Branda, Pierre Buteau, Christian Petitfils... à Bordeaux, La Rochelle, Haïti, le Fort-de-Joux, la Guadeloupe...

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Toussaint Louverture revient ! Le Lundi 10 mai à 21 h sur France 3 Secrets d'Histoire avec Stéphane Bern et Jacques de Cauna

28 Avril 2021, 14:10pm

Publié par jdecauna

Sept ans après la parution de Toussaint Louverture. Le Grand Précurseur aux Editions Sud-Ouest, Bordeaux.

Sept ans après la parution de Toussaint Louverture. Le Grand Précurseur aux Editions Sud-Ouest, Bordeaux.

Pour une présentation rapide

Clic droit sur le lien : ouvrir dans une nouvelle fenêtre

https://youtu.be/_SfkTwLWuiQ

Toussaint Louverture
"La couleur de mon corps nuit-elle à mon honneur ?"

Peu ou mal connu en France, Toussaint Louverture, premier général noir, gouverneur de Saint-Domingue et père fondateur de la première république noire du monde, l'actuelle Haïti, est, en revanche, une figure emblématique mondiale de l'émancipation des esclaves et des décolonisations. Célébré dans de nombreux pays, il n'est pas étonnant qu'il ait été, en son temps, assimilé à Bonaparte,  autre grande figure mythique de l'histoire, au point que Chateaubriand ait pu écrire : « le Napoléon blanc a imité et tué le Napoléon noir », et Lamartine : « Cet homme est une Nation ».

En raison de ses liens avec Bordeaux et l'Aquitaine, une plaque commémorative a été apposée au 44 rue Fondaudège en 2003 lors de la célébration nationale du bicentenaire de sa mort. Dans le nouvel Eldorado des « îles à sucre » dont Saint-Domingue était à la veille de la Révolution le plus beau fleuron, Aquitains et Gascons partis par le port de Bordeaux ont, en effet, joué un rôle de premier plan, que ce soit dans le développement du pays et de l'économie de plantation ou dans les événements qui ont amené l'indépendance en 1804. Ils étaient particulièrement présents dans l'entourage immédiat du « Premier des Noirs » et ont marqué sa vie et son action. Il est significatif que les abolitionnistes aient songé à élever après sa mort une statue « au bienfaiteur du commerce bordelais », et que le premier président de la nouvelle république noire d’Haïti, Alexandre Pétion, ait été fils d'un Bordelais, pendant qu’à Bordeaux, le gouverneur du Château-Trompette était un colonel mulâtre d’origine girondine né à Saint-Domingue.

C'est aussi à Bordeaux et dans le Sud-Ouest que se situe l'épilogue de l'histoire de la famille de Toussaint Louverture, déportée d'abord à Bayonne où elle reçut le meilleur accueil au point qu'il fut jugé plus prudent de la transférer à Agen un an plus tard. C'est là, ainsi qu'à Astaffort et à Bordeaux, que vécurent et décédèrent sa femme et ses enfants dont l'un laissa une postérité dans des familles aquitaines et gasconnes pendant que l'autre était inhumé avec son épouse à la Chartreuse.

L’image légendaire de l’esclave noir affranchi qui osa défier Bonaparte dans une lointaine île des Antilles, entraînant dans son sillage les espoirs de tout un peuple d'opprimés, reste par bien des côtés mystérieuse. Sa culture créole aquitaine permet de mieux comprendre une personnalité historique exceptionnelle. Entre mythification et réalité historique, à l’heure des révolutions des pays du Sud, sa vie et ses combats sont aujourd’hui d’une étonnante actualité mémorielle, politique et sociale.  

 

Né à Bordeaux, Jacques de Cauna a séjourné pendant vingt-cinq ans dans divers pays de la Caraïbe où il a occupé des fonctions de professeur et de diplomate. Commandeur de l'Ordre national Honneur et Mérite de la République d'Haïti en 1990 après avoir dirigé le Centre de Recherche Historique de l'Institut Français, Docteur d’état de la Sorbonne habilité à diriger les recherches, il est aujourd’hui chercheur associé au conseil scientifique du Centre international de recherche sur les esclavages du CNRS et titulaire de la chaire d’Haïti à Bordeaux. Il est l'auteur de nombreuses publications et ouvrages qui font référence parmi lesquels Au Temps des Isles à Sucre, prix de l’Académie des Sciences d’Outre-Mer, qui a inspiré le prix Renaudot 1998.

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Retour à Caumale pour le week-end pascal. A suivre sur le journal régional télévisé de 13h et 20h de France 3 Aquitaine entre Samedi 3 et Lundi 5 Avril

2 Avril 2021, 14:00pm

Publié par jdecauna

Interview de Jacques de Cauna par France 3 Aquitaine dans les salons du château de Caumale.

Interview de Jacques de Cauna par France 3 Aquitaine dans les salons du château de Caumale.

Nathalie Delisle, comtesse de Cumont, la demoiselle créole du château, née à Cuba. Et sa cousine germaine de La Nouvelle-Orléans Rosalba de PrévalNathalie Delisle, comtesse de Cumont, la demoiselle créole du château, née à Cuba. Et sa cousine germaine de La Nouvelle-Orléans Rosalba de Préval

Nathalie Delisle, comtesse de Cumont, la demoiselle créole du château, née à Cuba. Et sa cousine germaine de La Nouvelle-Orléans Rosalba de Préval

Caumale, château « américain » de Gascogne, vu par un historien gascon et créole

Entre une histoire enracinée dans la longue durée locale et les aventures de colons aquitains pionniers aux lointaines et mirifiques Îles de l’Amérique, Caumale est l’archétype du château gascon, fréquenté de temps immémoriaux par le troubadour Arnaut-Guilhem, favori d’Aliénor et compagnon de son fils Richard Cœur-de-Lion, et ses descendants les vicomtes de Marsan, seigneurs de Roquefort, Montgaillard, Saint-Loubourer, Cauna et autres places, parmi lesquels la grande dame Clarmonde de Marsan, que connut de très près le roi Eward Ier, et ses fils Arnaud de Gabaston et Arnaud-Guilhem de Marsan, gardien du château pour le roi d’Angleterre duc d’Aquitaine, fait figure d’ancêtre tutélaire aux côtés de ses cousines Françoise de Marsan de Lacaze, du château voisin de Parleboscq, et la reine de Navarre Jeanne d'Albret et son fils le bon roi Henri IV, Lo nouste Henric…

Mais Caumale est aussi, comme en attestent ses précieuses archives et la richesse de son aménagement intérieur, la concrétisation du rêve colonial américain au cœur de la Gascogne historique, avec les personnages des colons caféiers des familles alliées Delisle et Duverger, de La Bastide d’Armagnac et Bordeaux, enrichis à Saint-Domingue (Haiti) puis, après l’insurrection des esclaves, à Cuba, dans le sillage de leur grand ami béarnais Prudent de Casamajor, et jusqu’en Louisiane avec leurs alliés, nièces et neveux de Gallien de Préval, mais aussi avec les visites à Escalans des grandes figures du temps, les Rochambeau, Humboldt, Vaublanc...

Aux confins des vicomtés de Gabardan et de Marsan fondues dans la souveraineté de Béarn-Navarre, de la vicomté de Juliac, et des comtés d'Armagnac, Fezensac et Astarac, Caumale offre par sa situation et son histoire l'occasion d'associer à l'image internationalement connue des mousquetaires et des cadets de Gascogne celle restée très vivace du riche colon américain de retour des Îles, et à sa forte et antique identité gasconne locale la fortune d'innombrables migrants qui ont « fait » l'Amérique.

Président d'honneur des Amis de Caumale et des Amis de Lahire, membre de l'Académie du Bassin d'Arcachon et de nombreuses sociétés savantes, diplomate dans la Caraïbe pendant vingt-cinq ans, le professeur Jacques de Cauna, qui nous conte cette histoire, préside également la Fédération des Académies de Gascogne (FAG) dont le siège est à Caumale où se tient chaque été un grand congrès de sociétés savantes, ainsi que le Centre Généalogique des Landes (CGL, Dax) et l'association Agora Aquitaine-Antilles (AAA, Bordeaux). Il est Commandeur de l'ordre national Honneur et Mérite de la République d'Haïti et Officier des Palmes Académiques, médaillé de la ville de La Rochelle et du Ministère des Anciens Combattants pour ses actions patrimoniales.

Ses travaux les plus récents l'ont amené à élargir son champ de recherches, centré au départ sur l’ancienne colonie de Saint-Domingue (Haïti), à l'émigration gasconne, basque et béarnaise dans la Caraïbe (Jamaïque, Cuba, Antilles…) et au continent nord américain, plus particulièrement aux Etats-Unis, de la Louisiane et de l'Alabama au Texas et à la côte Est, Charleston, Savannah, Wilmington, Philadelphie... où la diaspora créole a été importante en fin d'Ancien Régime et à l'orée du dix-neuvième siècle. L'un de ses derniers ouvrages traite des Dynamiques caribéennes. Pour une histoire des circulations dans l'espace atlantique (XVIIIe-XIXe siècles), actes d'un colloque qu'il a dirigé à l'Université de Bordeaux. L'histoire de Caumale a fait l'objet de plusieurs études de sa part publiées notamment dans le bulletin du Centre Généalogique des Landes mais aussi dans la revue de l’émigration pyrénéenne Partir (n° 15, mars 2017), la Revue de Pau et du Béarn (n° 34, 2007), la revue Études caribéennes, mai 2020, sous le titre « Empreinte de l’esclavage et destinées de familles coloniales françaises à Cuba »,

[en ligne, http://journals.openedition.org/etudescaribeennes/17974],

ainsi qu’aux Editions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques réunissant les actes d’un récent congrès national tenu à Pau en 2019, sous le titre « Des Pyrénées à la Sierra Maestra : aux origines du modèle caféier cubain, Casamajor et les Béarnais dans l’Oriente ».

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Quand Bordeaux, Mont-de-Marsan et Ustaritz réclamaient l'abolition de l'esclavage

8 Mars 2021, 18:15pm

Publié par jdecauna

Détail de la fresque dite aux esclaves du plafond du Grand-Théâtre de Bordeaux

Détail de la fresque dite aux esclaves du plafond du Grand-Théâtre de Bordeaux

En 1789, sur 482 Cahiers de Doléances des bailliages principaux du territoire du Royaume, 440 restent silencieux sur le sujet de la servitude des Noirs. Parmi la quarantaine d’autres, pour le Tiers-Etat, une douzaine demandent l’abolition de la traite et 4 celle de l’esclavage, 8 le réprouvant mais avec prudence ; pour la noblesse, respectivement 3, 2 et 7, et pour le Clergé 8, 4 et 4. Beaucoup proviennent de Paris et de ses environs et le font à la suite de la suppression du servage. Mais la noblesse et le clergé de Versailles n’en disent mot, alors que le Tiers y évoque très précisément les mesures graduelles à prendre pour étudier « la possibilité et les moyens de supprimer ce fléau ». Finalement, sur les quinze cahiers demandant précisément l’abolition de l’esclavage, trois provenaient de l’ancienne région d’Aquitaine, Gascogne et Pays Basque, de Bordeaux, Mont-de-Marsan et Ustaritz. C’est à dire bien au-delà de la moyenne nationale...

C’est ainsi que le Cahier de Doléances de l'ordre du Clergé de la sénéchaussée de Guyenne à Bordeaux dans son article 16e qui demande « l'entière liberté du commerce dans l'intérieur du royaume » propose « aussi de s'occuper des moyens de détruire l'esclavage des nègres [souligné par moi] », en même temps que des « moyens propres à abolir la mendicité » et des mesures pour « les enfants trouvés »1.

Pierre Piffon, curé de Valeyrac en Médoc, Jean-Baptiste Delage, curé de Saint-Christoly en Blayois, et Emmanuel-Alexandre-Joseph d'Héral, vicaire général de Bordeaux, abbé de Saint-Vincent-du-Bourg, étaient les trois députés du clergé qui siégeaient à l'époque aux côtés de l'archevêque de Bordeaux. Delage, devenu homme politique et bienfaiteur de sa paroisse, est le seul à avoir quelque peu échappé à l’oubli en étant ensuite élu député à la Constituante où « il n’eut – selon le Dictionnaire des Parlementaires – qu’un rôle sans importance ». Il est l’auteur d’une Lettre de Monsieur Delage, député à l'Assemblée nationale, curé de Saint Christoli-de-Canac... à ses paroissiens, de 19 pages, imprimée en 1789, portant sur la Constitution civile du clergé. Le vicaire général d'Héral, breton de Saint-Brieuc, soutint constamment l’Ancien Régime et émigra en 1792, après Piffon parti en 1791 mais revenu en l’an III. Leur supérieur, l’archevêque, était en 1789 Jérôme-Marie Champion de Circé, le dernier de l'Ancien Régime avant que l'Archidiocèse ne soit supprimé en 1790. Né à Rennes, docteur en théologie de la Sorbonne, petit-neveu de Louis-Armand, missionnaire au Canada et en Chine, condisciple et ami de Turgot, il avait succédé en 1781 à Ferdinand-Maximilien-Mériadec de Rohan-Guéméné à l'archevêché de Bordeaux où il est surtout connu comme l'un des fondateurs de l'Institut des jeunes sourds. Elu député du Clergé à l’Assemblée, comme son frère, évêque d'Auxerre, il fut nommé Garde des Sceaux par le Roi après la nuit du 4 août, mais dut démissionner de ses charges à la demande du Pape avant d'émigrer et ne revint qu'en 1802 pour être nommé archevêque d'Aix-en-Provence. Il y décéda en 1810 après avoir été fait comte d'Empire et chevalier de la Légion d'honneur.

Outre son action pour l'abolition de l'esclavage, Jérôme Champion de Circé est l’une des figures injustement oubliées de la Révolution. Il fut aussi notamment un précurseur en matière de langues régionales et fit publier dans ses diocèses des catéchismes en idiome local. A l’inverse de son frère aîné,, qui se battit jusqu’au bout pour les privilèges de son Ordre avant de finir par émigrer, il se rallia très vite au Tiers-Etat devenant ainsi l’un de ceux qui contribuèrent à métamorphoser les Etats Généraux en mouvement révolutionnaire. Il se signala surtout à la Constituante par une belle envolée révolutionnaire devant ses collègues dans sa déclaration préalable aux travaux d’élaboration de la Constitution le 27 juillet 1789 par laquelle il se pose en partisan précurseur d’une Déclaration des Droits des hommes courte, simple et précise, inspirée de celle de leurs prédécesseurs en révolution américains qu’il ne faut pas hésiter à copier selon lui :

« Cette noble idée, conçue dans un autre hémisphère, devait de préférence se transplanter d’abord parmi nous. Nous avons concouru aux événements qui ont rendu à l’Amérique septentrionale sa liberté : elle nous montre sur quels principe nous devons appuyer la conservation de la nôtre ; et c’est le Nouveau-Monde, où nous n’avions apporté autrefois que des fers [souligné par moi], qui nous apprend aujourd’hui à nous garantir du malheur d’en porter nous-mêmes »2.

De même le cahier du Tiers-Etat de la sénéchaussée de Marsan à Mont-de-Marsan, après avoir demandé en son article 7e « l'égalité de représentation entre les citoyens de toutes les provinces et les colonies françaises », déclare que leurs députés « prendront en considération l'état des noirs de nos colonies et chercheront les moyens les plus prompts de les rendre à la liberté à laquelle ils ont droit autant que nous puisqu'ils sont nos semblables [souligné par moi] »3. Les représentants de la sénéchaussée de Marsan étaient pour le Tiers-Etat François Pérez d'Artassen, conseiller au Parlement de Bordeaux, et Jean Mauriet de Flory, seigneur de Flory, avocat, demeurant à Villeneuve-de-Marsan. Ils avaient pour suppléant Antoine-Jean Dufau, né à Créon d'Armagnac et mort au château du Pontet à Saint-Julien d’Armagnac, médecin, procureur-syndic de la municipalité de Mont-de-Marsan, puis maire et député des Landes. Il ne faut pas le confondre avec le journaliste, pédagogue et économiste Pierre-Armand Dufau, né à Bordeaux en 1795, membre de l'Académie des Sciences, auteur prolifique et fondateur des Annales de la Charité, qui donna en 1828 un ouvrage intitulé De l'abolition graduelle de l'esclavage dans les colonies européennes et notamment dans les colonies françaises. Pour la Noblesse, le député était le marquis Joseph de Lassalle de Roquefort, qui fut l’un des signataires de la déclaration d’opposition au décret du 14 Septembre 1791 décidant l’invasion d’Avignon et du Comtat Venaissin, et pour le Clergé, Simon de La Porterie, né à Saint-Sever, curé de Lencouacq, qui prêta plus tard le serment civique.

Il ne faut pas oublier enfin que l’épouse du savant naturaliste Etienne Descourtilz, la créole de l’Artibonite Marie Rémoussin, fille d’une demoiselle Rossignol de Lachicotte, l’une des plus grandes familles de Saint-Domingue liée à Toussaint Louverture, décéda à Mont-de-Marsan en 1858. Descourtilz lui-même était devenu le médecin de Dessalines, dont il était prisonnier, durant la guerre d’indépendance.

On voit qu’ainsi Mont-de-Marsan, très reculé dans les terres, n’était cependant pas totalement étranger à la première république noire du monde, Haïti, même si l’on ne perçoit pas clairement, tous ordres confondus, qui aurait pu directement à l’époque de la révolution susciter parmi les personnalités de la ville un tel intérêt pour la cause de l’affranchissement des Noirs. Sinon peut-être Dufau qui aurait pu y être sensibilisé par son mariage en 1778 à Marie-Josèphe-Thérèse Laurens (nom présent à la Martinique), petite-fille d’une demoiselle de Kater dont le père, Pierre de Kater, membre de l’élite des négociants bordelais et jurat de la ville de Bordeaux avait été Consul de la Bourse où cette question n'avait pas manqué d'être abordée.

Les cahiers bilingues des « Basques-François » (c’est ainsi qu’ils se présentent) du bailliage de Labourd à Ustaritz4, marquent une même spécificité dont il n’est pas bien difficile de déceler l’origine lorsqu’on sait que les deux représentants élus du Tiers-Etat chargé de les porter à Paris ont été les deux frères Dominique Garat (1735-1799) et Dominique Joseph Garat  (1749-1833), abolitionnistes notoires souvent confondus. Ainsi donc, bien avant que la question de l’esclavage ne fût débattue à l’Assemblée nationale constituante, le Biltzar (assemblée) du Labourd inscrivait clairement et sans discussion dilatoire dans son Cahier de doléances: « L’esclavage des Nègres sera aboli dans nos Colonies [souligné par moi] ». Ce qui nous amène à relativiser la vision traditionnelle d’une périphérie en retard sur Paris dont les lumières seraient censées se répandre ou ruisseler vers les ténèbres obscurantistes du provincialisme le plus reculé.

 

Les autres députés représentants du Pays des Basques convoqués aux Etats-Généraux de Versailles le 27 avril 1789 étaient, pour le Clergé : Jean-Louis-Xavier de Saint-Esteven, le très respectable curé de Ciboure, ancien missionnaire adulé aux Indes pendant dix-sept ans, qui se déclara ensuite prêtre réfractaire auprès de l’abbé Grégoire, président de l’Assemblé constituante, et, pour la Noblesse, le marquis d’Amou, Anne-Henri-Louis de Caupenne, de la très ancienne maison chevaleresque dont un proverbe local dit « Bons comme ceux d’Amou ». Mais le marquis, « maréchal de camp, lieutenant du roi à Bayonne et commandant pour le roi dans le pays de Labourd et autres pays adjacents », refusa son élection et fut remplacé par son suppléant, le vicomte de Macaye, Pierre-Nicolas de Haraneder, demeurant à Saint-Jean-de-Luz, d’abord proche des novateurs puis pasdans la minorité devant l’avancée des événements et enfin exilé aux Indes où il décéda à Chandernagor. L’assemblée avait reconnu le principe suivant lequel le sol de la France affranchit l'esclave qui le touche en décrétant le 28 Septembre 1791 que « tout individu est libre aussitôt qu'il est entré en France » et que « tout homme, de quelque couleur qu'il soit, jouit en France de tous les droits de citoyen  ». Etait aussi suppléant, pour le Tiers, Paul-Salvador Leremboure, demeurant aussi à Saint-Jean-de-Luz, connu pour ses idées progressistes et modérées et qui était le fils de Michel-Joseph Leremboure qui fut le premier maire élu de Port-au-Prince, protecteur des Libres de couleur.

Pour finir, on ne doit pas oublier que dès 1789, au-delà des Cahiers de doléances du clergé bordelais et des Tiers montois et labourdins demandant la suppression de la traite ou de l’esclavage, c’est la question de l’égalité civique des Libres de couleur, davantage que celle de l’abolition, qui animait les débats bordelais. En juin 1791, enfin, les députés des hommes de couleur en France, dont le fils de Landais Julien Raimond était le porte-parole, s'exprimaient ainsi dans une lettre adressée à leurs « frères et commettants dans les îles françaises » :

« Voyez avec quelle ardeur patriotique les Bordelais, abjurant les anciens préjugés, ont secondé la révolution qui s'est faite dans les idées, avec quel zèle ils cherchent à maintenir vos droits. Que leur sainte humanité couvre d'un voile ceux de leurs frères qui voulaient nous condamner à l'ignominie ».

Un autre créole anti-esclavagiste, Milscent, « ci-devant de Mussé », d’origine angevine, exclu des Jacobins sous l’accusation de « brissotisme » et guillotiné pour cela, assurait que « ceux de Bordeaux [les négociants] en auront d'éternels monuments de gloire dans les fastes de la révolution ». Bordeaux avait, en effet, proposé l'envoi d'une partie de sa garde nationale dans la colonie pour y faire respecter les droits des hommes de couleur après le décret du 15 mai en leur faveur, largement suscité par les députés girondins à l'assemblée. Les principaux chefs des hommes de couleur de Saint-Domingue, Julien Raimond, Vincent Ogé, André Rigaud, Hugues Montbrun, entre autres, avaient été élevés à Bordeaux. L'un d'entre eux Alexandre Sabès dit Pétion, fis d'un bordelais de Sainte-Croix, finit par devenir le premier président et fondateur de la première république noire du monde. Ils  étaient encore très nombreux dans la ville en 1815, durant les Cent-Jours, puisque le 26 mai, à la veille de Waterloo, un décret impérial donné au palais de l'Elysée ordonna l'organisation à Bordeaux de compagnies d'hommes de couleur.

1 Jérôme Mavidal et Emile Laurent (dir.), Archives parlementaires de 1787 à 1869, 1 série, tome II, Révolution française, année 1789, Paris, Librairie administrative P. Dupont, 1879, p. 392.

2 Laurent Kupferman et Emmanuel Pierrat, Ce que la France doit aux Francs-maçons et ce qu’elle ne leur doit pas, First Editions, 2012, p. 70-71.

3 Archives parlementaires..., op. cit., tome 4, p. 34, 36.

4 Cahier des vœux et des instructions des Basques-François du Labourt, pour leurs Députés aux Etats-Généraux de la Nation, Laphurtar Escaldun Francesec, Erresumaco Estatu-generaletarat egortcen dituzten Deputatuei, emaiten dioten botuen eta instruccionen, Cayera, 23 avril 1789, réédit. Bayonne, Imp. Cazals, 1874.

 

 

 

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La mystérieuse fresque votive de Poyloault à Saint-Martin-de-Hinx (Landes)

26 Février 2021, 18:21pm

Publié par jdecauna

La mystérieuse fresque votive de Poyloault à Saint-Martin-de-Hinx (Landes)
La mystérieuse fresque votive de Poyloault à Saint-Martin-de-Hinx (Landes)

Cette fresque de 1517 est longtemps restée cachée sous le plâtre de la restauration faite après l'effondrement de la voûte (ce qui en explique la relative fraîcheur à sa redécouverte), indétectable jusqu'en1993, date à laquelle Charles Blanc, le regretté président de la Société de Borda, me signala son existence, alors que j'étais en poste diplomatique à Kingston (Jamaïque) depuis deux ans, en me précisant que les armes de ma famille y figuraient et que je ferais bien d’aller la voir rapidement dès mon prochain retour pour congés estivaux en France. Le blason lozangé d'or et de gueules, qui figure dans la partie haute à gauche et que l’on retrouve en esquisse sur le mur opposé, est commun aux deux maisons alliées de Marsan de Cauna (à Cauna) et de Poyloaut (en Larbey) originaires de lieux et seigneuries voisines en Chalosse, ainsi qu'à leurs proches parents de la maison de Saint-Aubin de Poyaler. Ce qui laisse envisager une souche commune par alliance féminine dans la maison de Cauna issue de des vicomtes de Marsan. La communauté d'armes des deux familles est bien antérieure dans la mesure où le lozangé d'or et de gueules est aussi présent dès 1349 sur la fresque surmontant la tombe d'Arnaud de Poyloault, « écuyer de notre sire le roi d’Angleterre », ancêtre des d’Agès, barons de Saint-Magne (aux armes brisées en losangé d'or et d'azur, et alliés aux d’Ornon (de Villenave) et aux d’Oro, dans la chapelle Saint-Jacques de la cathédrale Saint-André (dite aussi Pey Berland) de Bordeaux

Outre les deux personnages représentés de part et d’autre, on remarque d’abord le nom de Poiloaut, coupé en deux, et une inscription dans l’encadré central qu’on peut lire ainsi :

     

  B[aron]                                  Ϭ [de]

POIL                                           LOAUT

 

L'an mil cinq cens et XVII fo frete [feyte, fut faite] la

pnt [présente] vote par maître Pierre do Beu

lac [lettres illisibles] [deBorn Joha [Johan] da Marque

Armanan [Armand] de La Borde et Pion [Pierron]

de Boloui

 

La fresque, qualifiée de « vote », fresque votive donc, est placée en hauteur au flanc gauche du chœur de l’église en partant de l’entrée. Elle correspond bien effectivement à la définition générale de l’objet votif, ainsi placée dans un lieu cultuel spécifique très fréquenté, une puissante église fortifiée sur le chemin de Saint-Jacques, et paraissant matérialiser une transaction avec une puissance spirituelle supposée agissante en ce lieu, en l’occurrence les lointains seigneurs de la baronnie de Poyloault, créée en 1448 par le roi d’Angleterre et confirmé en 1462 par le roi de France, dont le siège était à Magescq comme en témoignent encore les armes de la ville dont le chef porte lozangé d'or et de gueules. La date de 1517, associée au terme Poiloaut qui nous donne la prononciation française du nom, pose le cadre chronologique permettant l’identification des personnages représentés dans des costumes d’époque du temps de François Ier. L’homme au chapeau à gauche est le baron Etienne de Cauna et la dame à la capuche ornée d’une plume est Eléonore de Poyloault.

L’histoire nous apprend en effet qu’Eléonore de Poyloault, dame baronne de Poyloault et Magescq, Sert, Téthieu, Hinx, Caufourn, Pouy (Poy-sur-Acqs), Buglose, Herm, Gourbera, Lahontan..., et dernière héritière de sa maison qui s’était fondue dans celle de Balensun en Béarn, au pays de Larbaigt, avait épousé en 1503, encore mineure, le Noble et puissant seigneur, mossenhor Esteben (Messire Estienne) de Cauna, baron de Cauna et Mauco, Mugron et Poyaler, seigneur de Meillon, Angos, Boeil, Aressy, Assat et Astis en Béarn, de Toulouzette, Mellan, Segas, Labarthe, Poy, Hauriet..., etc., en Chalosse.

On ne sait à quelle occasion exactement cette fresque a été réalisée par Mître Pierre de Beulac et ses compagnons pour rendre hommage au nom de toute la communauté à ces puissants seigneurs tutélaires en cette extrême limite (« Hinx », du latin finis, comme le village voisin qui leur appartenait aussi) de leur seigneurie de Poyloault dont le centre était à Magescq et dont dépendait notamment sur place le moulin de Lauletar et à coup sûr l’antique forteresse du Pouy, aujourd’hui aux Lalande d’Olce. Il faut penser qu’il s’agit sans doute d’une première, et rare, visite rendue à leurs fidèles sujets du lieu. Eléonore testa le  22 janvier 1524 et mourut peu après, et son mari lui survécut vingt ans, se remariant successivement avec deux autres parentes proches, Françoise de Lur d’Uza et Jeanne d’Abzac de La Douze, pour avoir au total cinq filles et un seul graçon.

Pour l’occasion du mariage d’Eléonore et d’Etienne, on fit frapper (à Dax ou aux forges de Buglose ?) un sceau portant leur blason commun, un écu losangé d'or et de gueules, et la mention LEO. CENS PAPA DECIMUS [« par décret de Léon X, pape » – compte tenu du très proche degré de parenté et consanguinité], accompagné sur le champ des lettres B d C [Baron de Cauna]. Cette médaille fut remise en 1882 à la Société de Borda par le docteur Sentex, de Saint-Sever. On n’arrive pas à savoir aujourd’hui ce qu'elle a bien pu devenir, malgré de multiples et vaines demandes auprès de la Société qui renvoie au Musée de Borda et inversement ! Et pourtant, on conserve bien en vue dans l’hôtel de Saint-Martin d’Agès de la rue Cazade à Dax, dans le premier cadre que l’on y voit en entrant, la gravure du portrait de l’un des derniers possesseurs de la baronnie par mariage avec l’héritière de la branche cadette de Hinx, Me Gabriel Du Sault, époux de Louise de Poyloaullt de Hinx, d’une branche collatérale cadette, « dame de Hinx, Magescq et Talence, comme ayant succédé à feue la duchesse de Ventadour ».

Leur fils, « Noble Jacques de Cauna, chevalier, baron de Cauna et de Poyloault, Mauco, Lahontan, Magescq... seigneur cavier de Téthieu », décédé pour certains vers 1544, peu après son père, ou, pour d'autres, de son vivant, est habituellement qualifié de « baron de Poyloault », titre sous lequel il soutient, à partir de 1538 avec son père, un très long procès contre les habitants de Bayonne et autres villes (jusqu’à Hastingues et Oeyregave), au sujet de péages établis « dans les paroisses de Magescq, qui est de la terre de Pouillouault, Nauvieilh et Gebern (Gourbera), Poy et Lahontan ».

Etienne serait donc mort avant le 11 août 1543 et Jacques après le 28 avril 1544. Il avait épousé en 1525 Alyse-Marguerite de Ségur dame de Bétailhe, près Bodeaux, dont il n'eut qu'un fils unique, Claude de Cauna, qualifié de « baron de Poyloault, seigneur cavier de Téthieu », ort lui aussi prématurément et sans mariage ni postérité, qui eut pour héritière et sa sœur Françoise de Cauna qui devint ainsi « dame de Cauna, Poyloault, Magescq, Téthieu, Poy, Herm, Gourbera, Lahontan, Saint- Michel… etc », et transmit sa fille unique, Marguerite de Caupenne, épouse du fils du fameux maréchal Blaise de Monluc, le capitaine Peyrot, mort au siège de Madère. Plus tard, Suzanne de Thélines-Monluc, héritière naturelle et légitime des biens par le sang, fut la première fondatrice, par un don de terre de sa seigneurie du 26 octobre 1629, de la chapelle de Notre-Dame de Buglose, en sa qualité de dame de Poyloault et du dit Buglose, contre promesse par les religieux lazaristes de faire figurer ses armes aux côtés de l’effigie de la Vierge et de donner et tenir à perpétuité tous les sept janvier « une messe haute prodefuntis pour les âmes de ses aïeux seigneurs et dames des maisons de Poyloault, maison de Caupenne et maison de Cauna », et « le dixième jour de chaque mois d’avril pour les âmes des défunts seigneurs et dames des maisons de Monluc, de Montsallier et de Thémines de glorieuse mémoire ». La lignée s’acheva dans la célèbre duchesse de Ventadour, gouvernante des Enfants de France, qui avait fort à faire à la Cour et céda la baronnie de Magescq aux Lalande d’Olce en 1664.

Les Lazaristes de Buglose finirent par acquérir la baronnie de Poy, dont dépendait Buglose, avec notamment une « prairie appelée à Pouillao » [sic] à Magescq. Et en 1755, leur supérieur, Jean-Baptiste de Vignes, « baron de Poy et seigneur cavier de Téthieu » revendiquait le droit de haute justice dans les hameaux de Pouilloaut, Tauziet et Riquet, en contestation avec les bourgeois de Dax. Pendant qu’en Chalosse, en 1772, Mathieu de Basquiat, baron de Lahouze, seigneur du Haut-Larbey et du Haut-Baigts, tenait encore plusieurs fiefs dans le quartier de Pouilhouaud.

Disparue bien avant la Révolution, à l'exception de la survivance du titre de baron, la seigneurie de Poyloault, dispersée en plusieurs tenants sur une étendue considérable entre les environs de Castets (moulin de Saint-Michel Escalus), jusqu’aux abords de Bayonne (moulin d’Arrensède, rive droite) et aux faubourgs de Dax, Saint-Paul-lès-Dax, Saint-Vincent-de-Paul, Buglose et Hinx, reste entourée de mystère. Le nom qui se prononce en gascon Poulouaout, du latin de Podio alto, le somment élevé, serait celui d’une maison d’origine écossaise que l’on va donc pouvoir supposer dans les Highlands pour rester cohérents dans un clan porteur d’un tartan aux carreaux rouges et or bousculés dans leur sage ordonnancement par les chevauchées guerrières ! Plus sûrement, on en trouve les dernières traces sur ses lieux de son origine chalossaise, dans un lieu-dit de Caupenne nommé la Lande de Poulouaout, ou à Larbey, pour un quartier, ou à la grotte de Poulouaout (ou de Bourg-Arman, rappel du mythique « roi » Armand de Poyloault de la légende, au pont de Poulouaout sur le Louts, et, non loin du panneau indicateur Poulouaout placé sur la route, dans le dernier vestige de la motte féodale, au lieu-dit lou mouta, derrière la ferme de Candelous (camp de Louts), emplacement de l’ancien château ruiné de Pouilhouald porté sur la carte de Cassini.

Quant à la fresque, plus on l’observe, plus on y découvre de mystérieux détails réfractaires à l’interprétation classique, des inscriptions dans une langue rappelant le latin mais aussi le basque, voire l’araméen : Beriia Tiera, Mor Odora, EOB…, des figures et dessins curieux et inattendus, et notamment de petits oiseaux finement dessinés, et pour couronner le tout, l’esquisse sur le mur opposé de ce qui ressemblerait à des tentatives de dessins du blason losangé ainsi qu’une inscription totalement illisible, l’ensemble faisant penser à une sorte de feuille de brouillon préparatoire que l’artiste aurait omis d’effacer après avoir fini son travail.

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Autour du tombeau de Montaigne et de ses descendants. Le cluster landais.

5 Février 2021, 14:32pm

Publié par jdecauna

Portrait et cénotaphe de Michel de Montaigne
Portrait et cénotaphe de Michel de Montaigne

Portrait et cénotaphe de Michel de Montaigne

La postérité landaise et gasconne des Eyquem de Montaigne

par Jacques de Cauna

La toute récente découverte – on devrai plutôt dire redécouverte – au mois de mai dernier du tombeau de Montaigne dans les caves du Musée d’Aquitaine, ancien couvent des Feuillants puis Faculté des sciences et lettres de Bordeaux a été l’événement majeur de l’année dans le monde de la culture et du patrimoine bordelais et aquitain.

Après les premiers travaux de nature essentiellement archéologique, visant à l’identification des restes mis au jour après ouverture, on s’est avisé qu’après avoir fait appel aux archéo-anthropologues et paléo-généticiens, il serait intéressant, sinon nécessaire, de profiter des dernières avancées de la science pour effectuer des vérifications d’ordre généalogique couplées à une identification de type médico-légal en les étayant par des analyses comparatives de l’ADN pris sur les restes présumés de Montaigne avec celui de descendants bien identifiés de l’auteur ou de membres proches de sa famille. Nous avons tout récemment récemment évoqué dans un précédent bulletin l’étonnante fiabilité que l’on peut accorder à ce type de recherches en matière de recherches sur les origines ethnico-régionales, tout en déplorant que dans les temps les plus reculés des généalogies les noms de bon nombre d’épouses restent inconnus alors que ces origines pourraient être encore mieux éclairées par l’apport de l’ADNmt (mitochondrial) à la recherche1. Nous sommes ici en effet, dans le cas de Montaigne, inhumé en 1595, dans le cadre bien plus proche de l’histoire moderne (du XVIe au XVIIe siècle) que celui des origines évoqué plus haut, et l’identité des épouses nous est parfaitement connue par les généalogies existantes.

De manière plus précise et sans trop entrer dans des détails techniques fastidieux, il s'agirait de retrouver, en sus de l’ADN nucléaire, la petite molécule circulaire de 16 539 paires de bases (penser au noyau et aux électrons de l’atome), dont la séquence est entièrement connue, qui est essentiellement transmise par les femmes et dont la variabilité est beaucoup moins importante que celle de l'ADN nucléaire global, c’est-à-dire qu’elle offre beaucoup plus de probabilités mesurables. Tous les individus d'une même lignée maternelle auront, en effet, à l'exception de rares mutations, exactement le même ADN mitochondrial, ce qui représente un gros avantage lorsqu'il s'agit par exemple d'identifier des personnes séparées par plusieurs générations. Ce type de recherche est surtout utilisé dans les deux cas suivants : l'identification de cadavres altérés (peu de matériel ou matériel dégradé), comme c’est bien le cas pour les restes présumés de Montaigne, et l’analyse de cheveux, même sans racines, le corps du cheveu seul étant riche en mitochondries. Technique d’identification qui est aisément applicable à partir de cheveux dégradés (ceux des restes) confrontés à ceux d’individus (descendants) clairement identifiés, par ailleurs porteurs dans leur racine des marqueurs de l’ADN nucléaire.

Au moins cinq familles de nos adhérents sont particulièrement concernées parce qu’elle peuvent répondre à ces prérequis scientifiques pour l’identification : les de Monck d’Uzer (à Biarritz), de Caupenne d’Aspremont (à Bénesse, Biarritz, Hendaye, Lyon), Roques de Borda (à Perquie et Bonnegarde), de Biaudos de Casteja (à Mézos et Biaudos, et région parisienne, Portugal, New York…), sans oublier les nombreuses alliances Le Deschault de Monredon (de Donzacq et Habas).

Par une curieuse prémonition, nous nous étions intéressé de plus près il y a trois ans aux attaches landaises de Montaigne que nous avions évoquées pour nos lecteurs dans nos deux bulletins de l’année 2017 à la faveur de trois articles :

- Un article général, « Montaigne : conscience généalogique, héraldique, familiale et nobliliaire chez un seigneur gascon », Bulletin CGL n° 121-122, 1er sem. 2017, p. 1748-1760.

- Le procès de Montaigne avec les seigneurs landais de Lahontan de la maison de Caupenne-Cauna dans « Jalons chronologiques pour une historie d’Abet et Lahontan », Bulletin CGL n° 123-124 du 2d semestre 2017, p. 1794-1799.

- Et « Le château de Laas et ses seigneurs landais – Généalogie de Lataulade », dans Bulletin CGL n° 123-124 du 2d semestre 2017, p. 1800-1803.

Nous partirons de ces premières approches pour établir rapidement les pistes de recherche de descendants les plus évidentes dans les Landes et les départements voisins des Pyrénées-Atlantiques, Gers et Hautes-Pyrénées, qui viendront s’ajouter à celle des Lur-Saluces bien connus dans la région bordelaise mais dont l’origine se trouve aussi dans les Landes par l’intermédiaire originel de la maison de Lur d’Uza. Dans le cas de cette famille, la postérité originelle passe d’abord par la propre fille de Montaigne, Léonor Eyquem de Montaigne, mariée en 1590 à François de La Tour, dont la fille du premier lit, Françoise de La Tour, mariée en 1611 avec Honoré de Lur de Saluces en eut un fils unique Charles de Lur Saluces (1612), vicomte d'Aureilhan marié avec Isabeau de la Lane, tué en 1636 devant Salses en Roussillon, et resté sans postérité. C’est par un second mariage vers 1600 vers 1600 avec Charles de Raymond de Gamaches, vicomte de Chateaumeillant, seigneur de Fougerolles, issu de la seigneurie de Jussy (Berry), que Léonor de Montaigne eut, d’un second lit donc, une fille unique Marie de Gamache (1611-1682) qui épousa en 1627 Louis de Lur Saluces (mort en 1696) par lequel vinrent les descendances dans les familles de Ségur (alliance landaise de Cauna), Joumart des Achards (Charentes), Galard de Béarn (alliance landaise de Marsan), de Villars en Périgord, Bacharetie de Beaupuy (Mussidan, Périgord), de Pontac (Bazadais, alliés en 1808 aux Caupenne d’Amou landais). La suite étant bien connue.

Il va de soi que dans la perspective de recherches menant vers d’éventuelles analyses recognitives, l’étude généalogique ne devrait pas à se limiter aux seules postérités directes en ligne agnatique mais pourrait s’étendre avec profit aux ascendants (paternels et maternels) et aux collatéraux proches (frères, sœurs, neveux, nièces…). Dans les Landes et régions voisines, quelques lignages pourraient dans cette optique être valablement pris en considération.

La plus connue de ces parentés landaises est celle qui unit au nom d’Eyquem de Montaigne la maison chalossaise de Lataulade dont il a été fréquemment question dans les publications landaises, notamment sous la plume de la baronne de Lataulade disparue il y a quelques années. Cette parenté a pour origine l’union le 1er janvier 1564, du vivant de Montaigne qui dut assister au mariage, entre Jean-Etienne de Lataulade, protestant, seigneur de Lataulade (à Saint-Cricq Chalosse), Marquebielle, Hagetmau, Casalon, etc., et Jeanne Eyquem de Montaigne, dotée de 3 000 Livres, fille du seigneur de Bussaguet, de la salle de Breilhan à Blanquefort, de Gayac, etc.2, Raymond Eyquem de Montaigne, et d’Adrienne de La Chassaigne. Lequel Raymond était frère de Pierre Eyquem de Montaigne, ce qui fait de Jeanne la cousine germaine de Michel de Montaigne. Devenue veuve, elle se remaria avec un autre seigneur landais de vielle souche, Charles de Poudenx, fils de François, et de Marguerite de Saint-Cricq, mais elle avait eu auparavant deux fils dont le premier, Bertrand, marié en 1590 à Antoinette d’Andoins, est le père de Charles de Lataulade, baron de Laas par son mariage en 1633 avec la béarnaise Jeanne-Madeleine de Laas, dame d’Issor, de Bidos et d’Agnos3. Ce Bertrand de Lataulade de Laas avait une sœur, Magdeleine de Lataulade, mariée à un seigneur de Fos (famille de Fos du Rau) d’où provinrent par alliance les Le Blanc de Labatut, de la vicomté de Juliac, dont deux filles contractèrent mariage dans les maisons landaises de Captan et de Junca, puis de Pujolé, de Bezolles, de Salles, et Dupin de Juncarot d’où postérité de Spens d’Estignols, dont le fameux homme de lettres Willy de Spens, décédé récemment en 1989.

Du couple du château de Laas provinrent quatre enfants dont l’aîné Charles eut postérité dans la maison de béarnaise de Luger Précillon pendant que le benjamin Joseph-Gilles assurait la postérité du nom de Lataulade par un mariage en 1689 avec Dorothée de Caupenne d’Amou, à l’origine d’un fils, Charle-Léonard de Lataulade qui s’unit avec Marie-Thérèse de Foix-Candale (de Doazit), les autres alliances de cette lignée se faisant avec des demoiselles du Camp d’Orgas (de Tartas), du Vignac (Marensin, Born), de Blair (Béarnais d’origine écossaise), de Cès-Caupenne, de Clavière, de Casamajor (de Sauveterre-de-Béarn).

C’est par cette dernière alliance que se perpétue après le dix-huitième siècle l’essentiel de la postérité qui nous intéresse plus particulièrement. De Félix-Bernard de Lataulade et Marie-Geneviève de Casamajor, mariés en 1794 provinrent quatre fils, dont le benjamin, Charles-Léonard-Pierre-Nelson de Lataulade, maria son fils aîné, Antoine-Marie-Léonard-Félix, à Mugron en 1869 avec Marie-Victoire-Adeline d’Antin, et le cadet, Raymond-Gaspard de Lataulade, au château de la bastide landaise disparue de Bonnegarde en 1896 avec Joséphine-Elisabeth Roques de Borda (de la famille du célèbre chevalier de Borda). Quant à l’aîné du couple, Léonard-Félix, baron de de Lataulade, il fut le père par son mariage à Mugron en 1837 avec Françoise-Marie-Désirée Domenger, de Bernard-Louis-Raymond qui ouvrit la voix en s’alliant en 1851 à Louise-Marguerite Le Deschault de Monredon à une très prolifique postérité à partir de leurs six enfants alliés dans les familles de Monck d’Uzer (d’où nos adhérents Bernard de Monck d’Uzer, Eric, Jacques et notre regretté Régis de Caupenne d’Aspremont), de Bertereche de Menditte, de Supervielle, de Lagarigue, Roques de Borda (d’où notre regretté Patrick) et Lavigne (à Mugron, d’où les descendants de Paul de Borda et Adeline de Lataulade, entre autres nos amis Bénédicte, Dominique et son fils Jean-Charles de Borda, et le regretté Alain de Borda). Par le frère de Louise-Marguerite, Elophe Le Deschault de Monredon, fils de Térina Caubotte, descendante des Lalanne de Castelnau et des Caupenne, et son épouse Jeanne-Emma-Julia-Marie Navailles, vinrent encore par leurs dix enfants plusieurs familles landaises ou béarnaises qui nous sont bien connues, parmi lesquelles les Casedevant du château de Gaujacq, les Dissez et Laporterie, les Bernède, les Pinsun, et à nouveau les Caupenne d’Aspremont.

Il ne faut pas oublier enfin qu’un frère de Jeanne de Montaigne, Geoffroy fut le grand-père d’Aimée de Gamboa d’Alzate fille de Tristan, seigneur d’Urtubie (du beau château sis à Urrugne), qui par son mariage en 1619 avec André Lalande de Luc, Seigneur de Luc, fut la mère d’Angélique Lalande de Luc mariée en 1661 à Jean-Bertrand de Biaudos de Castéja, fils d’Alexandre et de Marie de Borda et aïeul des familles de Biaudos, de Valier, Dupée de Lagraulet, d’Harader de Lassalle (tous parents de notre adhérent Jean-Denis de Biaudos de Castéja).

En somme, on pourrait dire qu’assez paradoxalement, c’est dans les Landes, en Chalosse plus particulièrement que les recherches annoncées sur l’ADN familial de Montaigne auraient sans doute les plus grandes chances de pouvoir se concrétiser, rejoignant ainsi son goût prononcé dont il fait état dans ses Essais pour ce langage gascon bien plus fin et délié qui a cours « près de nos montagnes (les Pyrénées) », et notamment aux frontières de la Chalosse et du Béarn où il disputa pendant de longues années, sous un prête-nom, les revenus du pélerinage de Notre-Dame d’Abet à Lahontan à ses cousins landais de la maison de Caupenne4.

1 Jacques de Cauna, "Généalogie et tests ADN. Une étonnante concordance des données", Bulletin du Centre Généalogique des Landes, n° 129-130, 1er semestre 2019, p. 1901-1903.

2 Archives départementales de la Gironde [AD 33], 3 E 4456, Contrat de mariage, Minutes de maître Destivals, notaire à Bordeaux, Minutes de maître Dubroca, d’après Vincent de Monredon (Généanet).

3 Voir le tableau généalogique figurant dans Jacques de Cauna, "Le château de Laas et ses seigneurs landais" – Généalogie de Lataulade, dans Bulletin CGL n° 123-124 du 2d semestre 2017, p. 1800-1803.

4 Voir Jacques de Cauna, "Jalons chronologiques pour une histoire d’Abet et Lahontan", Bulletin CGL n° 123-124 du 2d semestre 2017, p. 1794-1799".

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Amis des Noirs et abolitionnistes aquitains (suite) : le Bayonnais J.-B. Gérard

19 Janvier 2021, 16:51pm

Publié par jdecauna

Amis des Noirs et abolitionnistes aquitains (suite) : le Bayonnais J.-B. Gérard
Amis des Noirs et abolitionnistes aquitains (suite) : le Bayonnais J.-B. Gérard
Jean-Baptiste Gérard, député bayonnais de Saint-Domingue et défenseur des hommes de couleur

Dans ce vaste champ d'intérêts qu'était la colonie, les colons n'ont généralement pas laissé une renommée très reluisante sur le plan de la moralité. Jean-Baptiste Gérard, propriétaire d'une grande sucrerie au Fond-de-l'Isle-à-Vaches dans la plaine des Cayes ou Plaine-à-Jacob est l'un des rares à trouver grâce aux yeux de la postérité1.

Né à Bayonne en 1735, il était le sixième enfant d'Elisabeth, ou Isabeau, d'Etcheverry, fille de Jacques et Marie Dospital, et de Bernard Gérard, maître écrivain, syndic de la corporation, issu d'une famille vraisemblablement flamande présente dans la ville gasconne depuis 1588, qui tenait école dans une de ces ruelles populeuses et affairées remontant du port où se côtoyaient tous les métiers liés à l'activité maritime, des simples tilholiers (de bâteaux fluviaux) aux négociants et capitaines en passant par les charpentiers de marine ou les rouleurs de barriques. Un quartier où soufflait assurément ce « vent du large »2 qui amène très tôt, en 1756, le jeune Jean-Baptiste, cadet à peine âgé de 21 ans, à s'expatrier pour chercher fortune « aux Amériques », c’est-à-dire huit fois sur dix dans la grande île de Saint-Domingue, la Reine des Antilles. Comme bon nombre de ses compatriotes gascons, il pratique la course à la dot et y épouse une riche créole, Anne-Marie Mayère, née en 1755 aux Cayes, veuve du notaire Pierre Le Goût, grand propriétaire.

Lorsqu'on le retrouve en 1763 procureur des habitations Lameth et Picot au Fond-de-l'Isle-à-Vaches, il s'est déjà initié depuis plusieurs années à la régie de biens d'absents sous la conduite d'un de ses frères, l’aîné, Salvat, qui l'avait précédé dans la colonie et dont il suivra la carrière : d'abord régisseur de plantations puis officier royal (l'aîné, notaire royal au Cap, le cadet aux Cayes après avoir été greffier au Fort-Dauphin) et enfin propriétaire habitant (l'aîné à Cavaillon, paroisse contiguë des Cayes, le cadet à la Plaine-à-Jacob). On s'enrichissait très vite, et souvent malhonnêtement, dans ces fonctions, que ce soit les gérances ou la judicature, à condition de pouvoir y accéder, c'est-à-dire de bénéficier au départ de solides recommandations et d'un bon réseau relationnel, ce qui ne manquera jamais aux Gérard dans le petit monde bayonnais du Sud de Saint-Domingue. C'est par le chevalier de Picot, avec qui il voyage de Bayonne en 1765 sur La Marianne, capitaine Jaulerry, que J.-B. Gérard connut les Lameth, ses alliés par sa fille, ainsi que le financier béarnais Laborde, le fameux « banquier de la Cour », également grand propriétaire sucrier absentéiste de la plaine des Cayes, dite du Fond de l’Île-à-Vaches, dont il avait la procuration, et le Comte de Mercy-Argenteau qui lui confia, lui aussi, la gestion de ses biens de Torbeck, autre paroisse contiguë de la plaine.

Mais, en plus de son dynamisme naturel, le fils du maître d'école de Bayonne se distinguait par d'autres qualités, au premier rang desquelles une belle instruction qui tranchait sur la majorité de ses semblables et relevait encore une intelligence peu commune.

En 1784, à l'approche de la cinquantaine, Jean-Baptiste Gérard estime qu'il est temps d'effectuer un premier retour à Bayonne, ne serait-ce que pour y retrouver sa mère qui y vit encore quatorze ans après le décès de son père. L'inventaire de ses biens qu'il fait établir à cette occasion nous le montre maintenant sur le pied de traiter de pair avec ses anciens protecteurs après une trentaine d'année de séjour dans la colonie. Il est, en effet, propriétaire d'une grande sucrerie, à trois lieues de la ville, estimée près d'un million de livres tournois, qui fait de lui l'un de ces Grands-Blancs au statut si envié. Mais surtout sa réputation dépasse le cadre étroit de son quartier puisque quelques années plus tard, en 1788 lors des premiers mouvements autonomistes des colons, toute la partie du Sud s'accordera spontanément sur son nom pour l'élire député auprès de la Constituante.

Il était de notoriété publique, en effet, que Gérard avait constitué sa fortune avec la plus rare honnêteté et tous s'accordait à voir en lui le modèle du notable éclairé et sensible du 18e siècle finissant, un authentique disciple de Jean-Jacques Rousseau et de la philosophie des Lumières. Il fait partie de ceux qui ont compris qu'humanité et intérêt bien compris peuvent faire bon ménage comme en témoigne son souci constant dans sa correspondance du « bien être de [ses] nègres ». Son atelier est bien traité, correctement nourri et soigné. La petite habitation du Parc est entièrement consacrée aux vivres, principalement 10 000 touffes de bananiers, qui viennent s'ajouter aux produits des petits jardins concédés à chaque esclave et aux « rafraîchissements » en farine, sel, morue, fournis par contrat par la maison bordelaise Aubert, des Cayes. Un chirurgien est attaché à l'hôpital de l'habitation, on pratique l'inoculation contre la petite vérole et les femmes enceintes sont dispensées de travail dans les derniers mois précédant l'accouchement, lequel est surveillé par une sage-femme rémunérée. Autre signe qui ne trompe pas : son homme de confiance lorsqu'il s'absente, celui qu'il appelle son « fidèle serviteur et ami de trente ans » et à qui il confie le soin d'entretenir et d'aérer sa maison et ses livres, de garder les clés de son cabinet, n'est autre qu'un nègre de l'habitation nommé Gérôme. Il insiste, par ailleurs, dans ses instructions particulières à son procureur Le Goût, sur la nécessité de veiller en son absence au « bien être des nègres ».

Embarqué le 5 mai 1789 sur le Tancrède, on le retrouve en juillet 1789 à Versailles, où il dépose le 7 le procès-verbal de son élection comme l'un des six membres admis de la députation dominguoise aux Etats-Généraux où il défendra avec acharnement l'idée d'une conciliation avec les affranchis qu'il considère avec une admirable justesse de vue comme la clé de voûte de l'édifice colonial et pour lesquels il réclame vigoureusement l'égalité des droits. Il est alors, note un observateur, le « seul des députés de Saint-Domingue dans les bons principes » et l'acceptation de ses propositions lors de son brillant discours de la séance du 3 décembre 1789 va immanquablement conduire à une rupture avec ses collègues et l'ensemble du milieu colonial arc-bouté sur ses privilèges.

Sa mission accomplie, inquiet sur la situation dominguoise et malgré les recommandations de ses amis qui lui conseillent de vendre tant qu'il est encore temps, il ne peut se résoudre à abandonner sa « seconde patrie », dans laquelle il espère encore jouer un rôle de conciliateur, et s'embarque donc à nouveau sur le Tancrède le 31 décembre 1792 pour regagner ses terres antillaises. Il n'y trouvera que les dissensions, les troubles ininterrompus qui marquent cette période et finalement la ruine complète avec la désertion de l'atelier au moment de l'arrivée de l'expédition Leclerc. En novembre 1803, il lui faut se résoudre à vendre son habitation au sixième de sa valeur (qu'il ne touchera d'ailleurs jamais) et même, devant le danger de plus en plus pressant, à abandonner la colonie, ce qu'il fait en mars 1804, au tout dernier moment, alors que les massacres des blancs ordonnés par Dessalines ont déjà commencé, emmenant avec lui sa femme et ceux de ses enfants qui ont pu « échapper au fer des assassins ». Il se réfugie d'abord à Santiago de Cuba puis passe aux Etats-Unis où il obtient du Consul de France à New York le transport en France aux frais de l’État. Il avait déclaré s’être enfui « après avoir vu périr par le feu des brigands la moitié de sa famille et tous ses biens mis au pillage, totalement dépouillés de leurs biens et sans aucun moyen de subsistance ».

Arrivé en France, il fut d’abord hébergé par des amis à Bordeaux, puis à Paris. Après des temps difficiles, il finit par obtenir le 1er avril 1806, grâce à une recommandation auprès de l’Empereur, le poste de Receveur particulier de l’arrondissement de Dreux en Eure-et-Loir dont le maire, le général Thomas Joly, était natif de Bayonne et avait combattu dans les Îles au temps de la guerre d’Indépendance américaine.

Il adoptera en 1814, peu avant sa mort le 3 juin 1815, Eugène le Goût, fils du premier mariage de son épouse, grand-père du peintre de la Marine, Fernand-Marie-Eugène Le Goût-Gérard. Peu après, le 19 décembre 1815, à Dreux, le maire, répondant à une demande de secours de la famille, certifiait que :

« J.-B. Gérard, ancien membre de l'Assemblée Constituante, colon réfugié de Saint- Domingue, âgé d'environ 80 ans et très infirme des organes de l'ouïe et de la vue, ne possédait rien et était réellement dans l'indigence ».

Ce qui, mieux que toute autre formulation, nous laisse apprécier l’étendue de son désintéressement.

Triste fin pour ce grand philanthrope qui n'aura sans doute jamais su que, par respect pour sa mémoire et l'action qu'il avait menée, la grand-case de son habitation, dont on peut voir aujourd'hui encore les ruines imposantes sur un petit mornet (élévation), avait été la seule à être épargnée par la furie des révoltés dans toute la plaine des Cayes.

1Jacques de Cauna, L'Eldorado des Aquitains. Gascons, Basques et Bayonnais aux Îles d'Amérique (17e-18e siècles), Biarritz, Atlantica, 1998.  Et Placide David, Un disciple de Jean-Jacques Rousseau à Saint-Domingue : Jean-Baptiste Gérard, Le Temps, Port-au-Prince, 29/5/1935.

2 Blanche Maurel, Le Vent du Large ou le destin tourmenté de Jean-Baptiste Gérard, colon de Saint-Domingue, Paris, 1952. Ead. Un député de Saint-Domingue à la Constituante. Revue d'Histoire Moderne, avril 1934. Ead. L'habitation d'un Bayonnais à Saint-Domingue (1784-1804). BSSLA Bayonne, n°16, 1935.

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Hommage à Jean Fouchard à l'Institut Français d'Haïti le 27 mai 1988. Cliquer sur le lien pour l'interview consacré à l'événement par la radio nationale d'Haïti.

20 Décembre 2020, 16:24pm

Publié par jdecauna

La Tribune présidentielle à l'Institut Français autour du Président de la République d'Haïti Leslie Manigat : de gauche à droite : Laurore Saint-Juste, Georges Corvington, Jacques de Cauna (membres du Comité Directeur de la Société Haïtienne d'Histoire), Alain Turnier (Président de la Société), le Président Manigat (membre de la Société), Jean Fouchard (Doyen de la Société), Henri Deschamps (éditeur), René Piquion (écrivain).

La Tribune présidentielle à l'Institut Français autour du Président de la République d'Haïti Leslie Manigat : de gauche à droite : Laurore Saint-Juste, Georges Corvington, Jacques de Cauna (membres du Comité Directeur de la Société Haïtienne d'Histoire), Alain Turnier (Président de la Société), le Président Manigat (membre de la Société), Jean Fouchard (Doyen de la Société), Henri Deschamps (éditeur), René Piquion (écrivain).

Quelques souvenirs réveillés par une vieille photo… C’était il y a bien longtemps, dans une autre vie, le 29 mai 1988, il y a exactement 22 ans à l’Institut Français d’Haïti, alors situé au Bicentenaire, dans le bas de la ville de Port-au-Prince que n’avait pas encore frappée le séisme…

Le président de la République nouvellement élu le 7 février, après deux ans de transition post-duvaliériste contrôlée par l’armée, Leslie Manigat, au terme d’un remarquable discours (lire l’article du Progressiste annexé en images), remettait en grande cérémonie au Doyen de la Société Haïtienne d’Histoire et de Géographie, l’historien Jean Fouchard, entouré de ses confrères membres du bureau de la Société, les insignes de Grand-Croix plaque d’argent de l’Ordre National Honneur et Mérite de la République d’Haïti.

Administrateur et conseiller au bureau de la Société et premier blanc français à être élevé à cette redoutable responsabilité, j’eus l’honneur, très jeune encore, d’être mêlé à ces événements et de figurer à ce titre sur cette photo historique (malgré quelque approximation sur mon nom !), le troisième à partir de la gauche, entre le Secrétaire Georges Corvington et le regretté Président Alain Turnier. On reconnaît aussi, à l’extrême gauche, Laurore Saint-Just, malheureusement décédé également, au Québec, au centre le Président Manigat, à sa gauche, l’immortel auteur des Marrons de la Liberté, Jean Fouchard, puis l’imprimeur Henri Deschamps fils et René Piquion, membre de la Société.

Le professeur Manigat, universitaire internationalement reconnu et estimé, lui-même membre actif de la très ancienne Société, fondée au XIXe siècle dans l’esprit qui avait présidé dans les dernières années de l’Ancien Régime à la création du Cercle des Philadelphe du Cap, première société savante des Amériques, devait être renversé moins d’un mois plus tard, le 20 juin, par le coup d’état militaire du général Henri Namphy, premier d’une longue série, au moment même où je m’envolais pour Paris afin de plaider la cause du nouveau gouvernement, formé de nombreux membres de notre Société mais peu soutenu par notre ambassade, auprès du ministre de la Coopération français, Jacques Pelletier auprès de qui des amis de tous ordres (historiens, politiques, et même sucriers) m’avaient recommandé personnellement. Avec la chute de Leslie Manigat, dont  je ne pus que rendre compte dans les bureaux ministériels, disparaissait une chance d’évolution du pays vers un régime civil démocratique mené par un homme éclairé pour faire place aux régimes militaires autocratiques qui précédèrent la nouvelle dictature civile meurtrière du prêtre-président Aristide, seulement  interrompus par l’intermède démocratique de près d’un an (18 mars 1990-17 février 1991) assuré avec l’aide des généraux Abraham et Hilaire et l’appui des instances internationales par la courageuse présidente intérimaire Madame Ertha Pascal Trouillot, première femme présidente du pays au moment où les hommes qui la précédaient dans l’ordre protocolaire d’intérim de la Cour de Cassation s’esquivaient à tour de rôle avec des alibis divers. J’eus le plaisir de retrouver le président Manigat peu de temps après, dans son exil en France, lors d’une manifestation officielle dans le superbe amphithéâtre de la Sorbonne où nous tombâmes dans les bras l’un de l’autre pour le traditionnel abrazo latino-américain, au grand étonnement de l’assistance, alors qu’il occupait une place réservée aux invités d’honneur au premier rang.

Un peu plus de deux ans plus tard, en juillet 1990, je quittai le pays pour un nouveau poste diplomatique qui, après quelques péripéties, me ramena tout près d’Haïti, comme Conseiller culturel, scientifique et de coopération de l’Ambassade de France à Kingston, Jamaïque, et auprès du Commonwealth des Bahamas. J’avais entretemps fondé, avec Jean Fouchard pour président, le Comité Haïtien du Bicentenaire de la Révolution française dont  j’assurais le secrétariat-général et qui fut à l’origine de nombreuses manifestations remarquables parmi lesquelles un grand colloque historique international de plus de deux cents intervenants tenu à l’Institut Français. Ces activités me valurent le plaisir et l’honneur de connaître et de fréquenter, trop brièvement hélas, l’un des hommes les plus remarquables qu’il m’ait été donné de rencontrer, Michel Baroin, accompagné de son jeune fils, François, aujourd’hui ministre, qui vint me rencontrer en Haïti pour évoquer durant tout une journée les célébrations à venir, à peine nommé de manière très œcuménique par une lettre signée à la fois du président François Mitterrand, du premier ministre Jacques Chirac et du président du Sénat René Maunoury, à la tête de la Mission interministérielle du Bicentenaire, en succession d’Edgar Faure dont le Secrétaire général du Haut Conseil de la Francophonie, Stélio Farandjis, m’apprit qu’il avait formé le même projet dans la semaine qui précéda son décès. Je reviendrai plus tard sur cette rencontre avec Michel Baroin, tragiquement disparu peu après dans un mystérieux accident d’avion en Afrique après m’avoir confié pour publication quelques pages à faire paraître dans Conjonction, la Revue franco-haïtienne de l’Institut Français d’Haïti dont j’étais alors rédacteur en chef. Pages qui furent censurées à peine imprimées par notre ambassadeur en poste, Michel de La Fournière, sans doute pour des raisons d’ordre politique, mais aussi personnelles (il était lui-même historien de formation), puisque je représentais alors en Haïti l’ancien Premier ministre Raymond Barre, candidat à la présidence.

A mon départ d’Haïti, la présidente Ertha Pascal Trouillot me remit à mon tour, pour services rendus à la première république noire du monde, les insignes de Commandeur de l’Ordre National Honneur et Mérite de la République d’Haïti, que je porte toujours avec fierté et émotion, étant aujourd’hui le seul Français vivant parmi les quatre à en avoir été honorés, et qui plus est, ne les ayant pas reçus par les dictateurs Duvalier ou Aristide. L’ambassade de France, auprès de laquelle j’étais alors attaché linguistique, m’inscrivit aussitôt, pour ne pas être en reste, sur la liste de la prochaine promotion des Palmes Académiques, reconnaissance tardive qui ne me parvint officiellement qu’après mon retour en France. La remise d’insignes, qui de ce fait ne put avoir lieu au milieu de mes amis haïtiens et français d’Haïti, fut toutefois célébrée à La Rochelle et les insignes remis par Colette Chaigneau au nom de Michel Crépeau aux côtés de qui j’avais œuvré dès 1980 à la fondation du Musée du Nouveau-Monde dans les locaux de l’hôtel Fleuriau et au démarrage et à la mise en place, en liaison avec son conseiller culturel de l’époque, l’actuel maire, mon ami Maxime Bono, de toute une série d’actions innovantes de coopération avec Haïti, parmi lesquelles le jumelage de l’hôpital français de Port-au-Prince et de celui de La Rochelle où l’on peut voir encore mon nom sur la plaque commémorative de cette action.

J’appris peu de temps après les décès successifs et très rapides de mes confrères et amis Jean Fouchard, Alain Turnier et Laurore Saint-Juste, bientôt suivis par celui de Gérard Laurent qui avait succédé à Alain Turnier à la présidence, puis de son successeur Roger Gaillard que j’avais recommandé peu de temps auparavant auprès de Stelio Farnadjis et de son adjoint, fils de l’ex ambassadeur de France en Haïti François-Claude Michel, pour le siège d’Haïti resté vacant au Haut Conseil de la Francophonie.

Mon grand ami Georges Corvington a survécu par miracle dans sa belle maison de famille de la rue Chériez à l’épouvantable séisme qui a ravagé Port-au-Prince le 12 janvier dernier et endeuillé tant de familles. Il continue à se dévouer pour la Société, comme il l’a toujours fait si admirablement et discrètement, contre vents et marées, et l’Institut de Sauvegarde du Patrimoine National (encore une  aventure de jeunesse sur laquelle je reviendrai…) a fort heureusement  entrepris la sauvegarde de sa bibliothèque et de ses archives.

NB. Depuis cet article paru il y a dix ans, Georges Corvington a malheureusement disparu lui aussi, tout comme le Président Manigat. 

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Une saga gasconne : des vicomtes de Marsan aux barons de Cauna (part. 2)

15 Décembre 2020, 17:09pm

Publié par jdecauna

Château de Cauna.
Château de Cauna.

Château de Cauna.

Une saga gasconne : des vicomtes de Marsan aux barons de Cauna (part. 2)
L’impôt du sang français

Bernard et ses successeurs payèrent dès lors l’impôt du sang dans les guerres françaises d’Espagne et d’Italie. Après la désastreuse guerre civile navarraise entre Beaumontais et Agramontais, son fils aîné, Guilhem-Ramon, « Très haut, très puissant et magnifique seigneur de Cauna et de Poyaler », servit Louis XI en Catalogne en 1473 et dans la guerre de succession de Castille en 1476. Viendront ensuite, avec le « temps des capitaines », les tentatives de reconquête de la Navarre par les Albret où s’illustrèrent les compagnies de Lautrec et d’Esparros dans lesquelles servent les frères Etienne, Martin, Pâtris et Jean de Cauna. Mais la saignée la plus importante qui viendra décimer la postérité, à raison d’un homme sur deux, sera celle des douze guerres d’Italie : Pâtris, seigneur de Fousseries, et le bâtard de Cauna sont tués à Pavie en 1525 avec M. de la Palisse ; le cadet Martin de Cauna, baron de Mugron, vétéran de Pampelune, Fontarabie et Bayonne en 1523, est tué au siège de Naples sous Lautrec en 1528 ; Menauton de Cauna, autre cadet qui a épousé l’héritière de Lahire, disparaît avant 1536, comme Bernardon de Cauna, seigneur d’Abère en Béarn… D’autres cadets plus obscurs comme Loys et plusieurs Arnaud de Cauna, apparaissent encore dans les montres et revues des compagnies de Lautrec et de Navarre entre 1520 et 1560 sans qu’on connaisse bien leur sort. Cette tradition guerrière ne disparaîtra qu’au début du 17e siècle, avec un dernier Arnaud de Cauna, hommes d’armes à Melun en 1603. Plus chanceux que prudents, l’aîné, Etienne, alias Esteben, baron de Cauna,  Mugron, Poyaler... et autres terres, nommé sénéchal des Landes par François Ier après quelques aventures guerrières, notamment à Fontarabie, et le benjamin, Johan, baron de Tilh et Misson, vétéran d’Italie comme son fils, autre Jean, ont eu le temps de se retirer sur leurs terres après de beaux mariages (trois pour Etienne, deux pour Johan), seuls survivants des sept frères avec les deux ecclésiastiques, Peyroton, curé de Cauna, et Bertrand, abbé de Saint-Loubouer, protonotaire apostolique et titulaire de deux canonicats dans le Milanais dont la déroute de la Bicoque et l’abandon de Milan face aux Impériaux et au Pape provoquèrent la perte. Ce fut aussi le début de la prédominance de l’artillerie lourde et des armes à feux sur les champs de bataille qui prépara la fin de ces dynasties chevalières.

Les événements purement français des guerres de religion, de la Fronde et de la Révolution apporteront encore leur lot de disparitions brutales dans ce qu’il est convenu d’appeler les Temps modernes. Du premier mariage du baron Etienne avec sa cousine Eléonore, héritière de la maison de Poyloault, le fils aîné Jacques de Cauna, baron de Poyloault, mourut de son vivant, suivi de près par son fils Claude, cavier de Thétieu, laissant ainsi la place à la sœur cadette, Françoise, qui transmit l’héritage de la branche aînée par mariage à son très proche cousin François de Caupenne (avec dispense postérieure du Pape pour une tardive régularisation de ce mariage « arrangé » de tout jeunes enfants). Par leur fille Marguerite de Caupenne les biens de la branche aînée passèrent dans les maisons de Monluc, de Lauzières marquis de Thémines, et de Lévis, duc de Ventadour, pour aboutir à la fameuse duchesse de Ventadour, gouvernante des enfants de France que Louis XV appelait « Maman ». Après un second mariage d’intérêts et sans postérité d’Etienne avec une autre parente proche, Françoise de Lur d’Uza, veuve de Caupenne, une troisième noce avec Jeanne d’Abzac de La Douze vint compliquer considérablement la succession avec la naissance de quatre filles dont deux (l’aînée et la dernière) furent mises au couvent et une troisième mariée rapidement, pour favoriser l’union avantageuse de la cadette dans la maison d’Andoins, premiers barons de Béarn, qui aboutit à la naissance de la comtesse de Guiche, la célèbre Corisande, égérie d’Henri IV, que sa propre mère, la comtesse d’Andoins, Marguerite de Cauna, avait été tenu sur les fonts baptismaux, faisant pour Madame Claude de France, fille du Roi retenue à Paris.

L’alliance de la branche aînée avec le fils du célèbre capitaine catholique Monluc fut cause de grandes destructions dans les biens de la maison de Cauna, Caupenne et Poyloault. Ainsi, lors de la contre-offensive de Montgomery contre Terride en Chalosse, on peut suivre à la trace les exactions sanglantes et pillages de ses troupes et de ses lieutenants Montamat, Paulin, d’Estoupignan, Bougues, dans les fiefs familiaux de Montaut, Nerbis, Mugron, Magescq, Cauna et Lagastet où les églises sont pillées et brûlées. En Béarn, les branches cadettes d’Abère et de Nargassie voient leurs biens spoliés sur ordre de la terrible reine Jeanne. Johanot de Cauna, enseigne de Gohas, périt au siège de Navarrenx où dans le camp adverse des Réformés, son proche cousin Bertrand de Gabaston de Bassillon, gouverneur de la ville quoique catholique, a été assassiné en pleine rue par les sbires de Montgomery sous prétexte d’intelligence avec l’ennemi. Corisande, toujours catholique, reste alors le seul rempart familial permettant l’obtention par sa royale faveur de lettres de grâce ou de rémission aux membres de la famille, veuves des combattants, ruinées par les guerres.

Lorsque Henry de Cauna, filleul d’Henry IV, seigneur d’Abère, Aurice, Escoubès, Horgues et Espoey, époux de Françoise de Caupenne d’Amou, vend son dernier bien en 1607, avant de mourir sans postérité, les seuls porteurs du nom encore possessionnés sont les descendants de Jean de Cauna, seigneur de Camiade, porteurs des mêmes prénoms lignagers de Jean pour les aînés et héritiers et d’Arnaud pour les cadets, qui subsistent tant bien que mal sur leurs terres qu’ils travaillent, activité non dérogeante, dans les campagnes environnant la ville de Tartas qui est devenue un fiel calviniste. Ils n’ont apparemment plus de rapports avec leurs parents héritiers des branches aînées et cadettes aux noms prestigieux de Lévis-Ventadour, Thémines-Lauzières, La Guiche de Saint-Géran, Montaut-Bénac-Navailles, Gramont, Lauzun, Gontaut-Biron... et autres vivant dans l’intimité royale et des Grands à la Cour et ne s’intéressant plus que très rarement à leurs biens de cette campagne chalossaise perdue.

Suzanne de Lauzières-Thémines-Monluc, marquise de Thémines – petite-fille du maréchal Pons de Lauzières qui avait arrêté avec ses deux fils, dans l’appartement de la Reine-mère, le père du Grand Condé, premier Prince du sang – dame de Cauna Mauco, Toulouzettte, Miremont, Caupenne, Lahosse, Poyloault, Lahontant, Magescq, Gourbera, Poy-sur-Acqs, Téthieu, Buglose et autres terres, fait exception lorsqu’elle s’avise de fonder dans ce dernier bien par un acte de donation du 26 octobre 1629 la fameuse chapelle des miracles et le pèlerinage de Buglose sur vingt journaux de terre, à la seule réserve de ne pas y mettre de marques de propriété seigneuriale autres que les siennes, ses armes, de chaque côté de Notre-Dame, et de dire les messes accoutumées pour elle, ses parents et son défunt mari, ainsi qu’une grande messe haute tous les sept janvier « à perpétuité pour les âmes des défuncts Seigneurs et Dames des maisons de Caupenne, maison de Poyloault et maison de Cauna » en présence de tous les prêtres et autorités ecclésiastiques, avec la veille un libera des trépassés auquel seront appelés tous les bayles, officiers, domestiques ou fermiers de la dite dame. Et tous les dix avril « semblable service pour les âmes des défuncts seigneurs et dames des maisons de Monluc, maison de Montsallier et maison de Thémines ». Promesses éternelles dont aucune ne subsiste aujourd’hui face à l’emprise de Saint-Vincent de Paul et de ses promoteurs Lazaristes devenus acquéreurs et nouveaux seigneurs des biens de la dite demoiselle le 30 juin 1715 à la dispersion des immenses domaines des Ventadour.

Marie de La Guiche de Saint-Géran (fille du maréchal comte de La Palice), après Suzanne de Thémines-Monluc et avant son fils Louis-Charles de Ventadour, beau-père de la fameuse duchesse, est l’une des dernières, à la fin du 17e siècle, à rendre hommage pour le château de Cauna et autres biens abandonnés par les héritiers du sang depuis Marguerite de Monluc, abbesse de Prouillan, fille aînée du maréchal auteur des Commentaires, la dernière à y résider entre 1563 et 1567, sa nièce Marguerite vivant retirée à Magescq en 1577, où elle entretenait une garnison contre les huguenots voisins.

 

Derniers feux de la mémoire disparue

La Fronde achèvera la ruine du château, occupé par le célèbre capitaine bohémien Balthazar de Gacheo pour les Princes, l’une de ses trois places fortes avec les villes murées, comme Cauna, de Tartas et Saint-Justin, à l’occasion d’un siège de trois jours en 1653 au cours duquel le canon, traîné par des bœufs depuis Dax, détruit la plupart des bâtiments et des ouvertures à l’exception de la grande porte massive cloutée et ferrée et du monumental donjon féodal qui sera rasé du tiers ensuite en représailles. Livré à l’incendie et au pillage après la fuite de la garnison irlandaise, le château dévasté et dont les titres ont disparu, est vendu et tombe en des mains étrangères. Le capitaine Darricau, lieutenant de Balthazar, s’est aussi attaqué au château de Poyaler délaissé par ses propriétaires, les Montaut-Bénac, héritiers des Gabaston de Cauna, et Balthazar en personne à la salle de Thétieu dont Claude de Cauna, fils de Jacques, mort jeune, est le seigneur cavier, dernier du nom, et qui est pillée et brûlée avec tous ses titres.

Un dernier épisode dramatique intervient sous la Terreur avec l’incarcération sur dénonciation au Comité de surveillance de Tartas du « cy-devant seigneur de Ladevie », le « citoyen Jean Cauna », alors âgé de 67 ans, qui fut accusé « bien loin d’avoir donné des preuves de son amour pour la Révolution, d’avoir au contraire tenu des propos contre elle puisque l’ancienne municipalité l’ayant regardé comme suspect l’avait fait désarmé [sic] comme tel ». Sur quoi, on saisit ses armes [c’est l’image du gentilhomme campagnard travaillant sa terre l’épée au côté], on posa les scellés sur ses papiers [autrement dit, on lui confisqua ses titres pour mieux le voler par la suite] et on le transféra « à Mont-de-Marsan pour être déposé dans la maison destinée à recevoir les aristocrates ». En espérant probablement qu’il y laisserait la vie. Il ne fut élargi, avec son ami et parent Jean-Baptiste Larreyre, autre député du Tiers, qu’après un mois et douze jours de réclusion, paraissant « avoir expié suffisamment la mauvaise humeur qu’ils avaient témoigné contre la Révolution » et « leurs propos inciviques ». On perdait la tête pour moins que cela en ces temps-là. Mais les Terroristes craignaient manifestement leur influence sur les masses rurales qu’ils représentaient. La tradition dit que le seigneur de Ladevie, du Hillon, de La Douze et autres terres et bois nobles en Meilhan, s’était fait livrer un repas festif bien arrosé et qu’à son issue, il se soulagea avec son ami Dupuyau de Bouneau (parent des Pic de Blays de La Mirandole landais) sur le bonnet phrygien du sans-culotte de service au pied de la tour en l’interpellant en gascon comme on peut l’imaginer. « Emu par ce geste patriotique, le gardien sans-culotte alla plaider sa cause au tribunal révolutionnaire ». Bien loin des manières de cour sophistiquées, nous rejoignons là ce « haut du peuple » qu’évoquait Pierre de Vaissière dans ses Gentilshommes campagnards de l’ancienne France.

Les persécutions ne s’arrêtèrent toutefois pas là puisque quelques mois plus tard on imagina de taxer les « ex-reclus » « pour l’édification du Temple à l’Etre Suprême » au même titre que les «ex-nobles, les riches, les aristocrates, les fanatiques, les égoïstes, les indifférents en la Révolution et les intriguants [sic] ». Cochant la plupart des cases, il fut l’un des plus lourdement taxés de la ville avec les Chambre d’Urgons, Chauton, Vidart-Soys, Darribehaude, Fargues… Alors que quelques année plus tôt, il procédait par retrait lignager noble à la récupération de plusieurs biens familiaux, il dut, pour conserver quelques biens dont le plus précieux, la vie, vendre son moulin noble de Ladevie et oublier titre et particule, prudence toute terrienne dont témoigne son acte de décès en 1802. Ses successeurs, tous meuniers propriétaires vivant sur leurs biens, se signalèrent surtout par leurs démêlés avec leurs voisins nouveaux-venus jusqu’à ce que l’un d’entre eux – assez riche pour être le premier possesseur d’une voiture à Tartas et envoyer sa fille étudier dans un couvent espagnol – revienne s’installer dans la maison noble du moulin, après avoir annoncé à la cantonade à la surprise générale en patois (gascon) qu’il reviendrait occuper les lieux et qu’il donnait pour cela « ajournement à huit jours » aux occupants (il devait en avoir racheté ou retrouvé les titres). D’où le nom actuel d’Aux Oeyt Jorns (tel qu’il figure textuellement dans le Coutumier de Saint-Sever) donné à la maison. Un autre, moins fortuné mais tout aussi tenace, fit apposer à l’orée du siècle dernier, en 1914, un écu gravé au nom de Cauna sur la porte de la petite maison maison neuve du très ancien domaine avec parc de Caouna dans la paroisse disparue de Saint-Genès.

On ne peut manquer d’évoquer pour boucler la boucle, à côté des officiers publics et de ceux qui sont morts pour la France dans la première guerre mondiale ou ont survécu à l’hécatombe (comme le très discret grand-oncle Pierre, mitrailleur puis instructeur de tirailleurs sénégalais, Croix de Guerre, Médaille militaire), le très populaire abbé Joseph Bordes (puis chanoine), petit-fils de Jeanne de Cauna de Ladevie, fondateur des Jeunesses Agricoles Chrétiennes, héros de Douaumont en 1916, deux fois blessé, Croix de Guerre, Médaille Militaire et Légion d’Honneur, puis résistant de la première heure à la barbarie nazie, arrêté par la Gestapo, déporté à Buchenwald et fusillé dans la forêt de Gaggenau en 1944, dont la figure n’est pas sans rappeler celle de son illustre aïeul, l’évêque de Dax Jean de Cauna, chevalier croisé mort en Palestine aux côtés de Richard-Coeur-de-Lion.

La suite est entre les mains d’Esteban, Noémie, Morgan, Gabriel, Rose et Arnaud de Cauna, dix-septième du nom, et leur postérité à venir.

 

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