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21 janvier 2024 7 21 /01 /janvier /2024 18:45
Les coulisses de l’esclavage en Afrique
Les coulisses de l’esclavage en Afrique

Les coulisses de l’esclavage en Afrique. Acteurs et réseaux africains des traites négrières

Cette conférence proposée par le CM 98 (Comité pour la marche du 23 mai 1998) dans le cadre des activités de son université populaire, s’est déroulée le samedi 16 décembre 2023 à la Sorbonne. Thomas Vernet-Habasque, spécialiste des l’Afrique orientale et du Swahili, a abordé un sujet beaucoup moins bien connu, pour ne pas dire totalement méconnu, du grand public uniquement focalisé sur le contexte de la traite européenne alors que l’élément beaucoup plus complexe et essentiel du rôle des acteurs et réseaux de l’esclavage africain, et par conséquent de son implication première dans les traites négrières entre le VIIIe siècle et le début du XXe siècle, est complètement ignoré, malgré quelques travaux d’historiens, notamment pour le professeur Thomas ceux du canadien Paul Lovejoy (Tranformations in Slavery. A history of African Slavery, 2000), commencés ponctuellement dans les années 1980 et auxquels il me paraît important personnellement d’ajouter ceux, plus anciens, d’auteurs français complètement oubliés, Hubert Deschamps (Histoire de la Traite des Noirs de l’Antiquité à nos jours, Fayard, 1972) et le Père François Renault, Lavigerie, l’esclavage africaine et l’Europe, 1971. Sans oublier, du même avec Serge Daget, Les Traites négrières en Afrique, Karthala, 1985, dont je fus le seul historien d’origine bordelaise (avec le regretté archiviste Jean Cavignac, alors que je vivais, moi-même en Haïti) à avoir la primeur de la présentation au premier grand Colloque international sur la traite des Noirs organisé en France, par l’Université de Nantes en l’occurrence, en 1985. Colloque où Jean Cavignac avait présenté une synthèse de La Traite bordelaise, alors qu’il m’avait paru également utile, pour ma part, bien avant l’intérêt soudain de certains militants, de communiquer sur l’Etat sanitaire des esclaves et politique en matière de population sur une grande sucrerie de saint-Domingue, l’habitation Fleuriau de Bellevue, 1777-1788 (publié dans les actes du colloque, De la Traite à l'Esclavage..., par Serge Daget, CRHMA et Société Française d'Histoire d'Outre-Mer, Nantes, 1988).

Le premier intérêt de cette conférence a donc été de décentrer notre regard uniquement européen, en l’ouvrant à l’Afrique et en partie au monde arabo-musulman, cette histoire mettant en lumière comment, sur plusieurs siècles, des millions d'Africains furent déportés dans le cadre du commerce d'esclaves organisé par les acteurs locaux depuis l'Afrique sub-saharienne. Pour reprendre au plus près le résumé qui a été fait de cette présentation par les organisateurs, il a bien été montré comment – je cite – « ce commerce diversifié répondait aux besoins du monde arabe, méditerranéen, du bassin de l'océan Indien, de la péninsule ibérique, et autres sociétés esclavagistes ailleurs [et pas seulement en Amérique coloniale, NDLR]. Le point central de la conférence est [a été] l'examen des réseaux locaux en Afrique qui alimentaient ce trafic. Alors que l'esclavage était courant dans certaines sociétés africaines, l'implication dans le commerce à longue distance a amené certains groupes sociaux [et notamment les élite gouvernantes, NDLR] à répondre efficacement à la demande extérieure. Le conférencier a souligné comment la « production » de captifs et les routes commerciales étaient contrôlées par des acteurs historiques locaux, qui en bénéficiaient économiquement. Cette perspective souvent méconnue sur la traite négrière africaine a été mise en avant, soulignant l'importance de comprendre les dynamiques internes de l'Afrique dans ce commerce tragique. La conférence a été une occasion précieuse de mettre en lumière ces aspects moins discutés de l'histoire de la traite négrière ».

Il faut remercier le conférencier et les organisateurs avoir ainsi levé l’occultation régnante de manière scientifique, tant on connaît le mal que le militantisme fait à la recherche. Il a été question pour une fois du rôle actif, dès le début, des Africains dans une traite interne de 12 siècle, ses réseaux (arabo-musulmans), ses routes (portuaires, notamment Zanzibar, terrestres par caravanes, de 10 à 50 % de mortalités), ses méthodes (les razzias), ses sociétés responsables (les grands empires et autres pouvoirs locaux aux logiques expansionnistes, cartes à l’appui) à la fois victimes et productrices, ses discours de légitimation religieuse et morale (des cannibales, des infidèles, des barbares à islamiser…), son impact démographique (au moins 17 millions de captifs pour les traites arabo-musulmanes et 14 millions pour les traites intra-africaines, à ajouter aux 11 millions évalués pour les traites avec les européens)1. Il était bon également de rappeler la position précaire et la fragilité des positions européennes dans les forts côtiers, entièrement soumis, non autorisés à s’étendre à l’intérieur, décimées par la maladie.

Face à l’occultation par manque de sources, j’ai posé par écrit la question qui m’a paru primordiale : existe-t-il dans les pays concernés une volonté de reconnaissance affichée, des encouragements institutionnalisés à la recherche, des réparations auprès des populations les plus gravement touchées ?

1 Pour plus de précisions, voir mon rapport au Comité de réflexion sur la traite des Noirs à Bordeaux intégralement publié dans J. de Cauna, Fleuriau, La Rochelle et l’esclavage. Trente-cinq ans de mémoire et d’histoire, Paris, Les Indes Savantes, 2017, p. 225-240.

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