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17 juillet 2019 3 17 /07 /juillet /2019 09:13
La persistance des dérives historiques, erreurs et emprunts sauvages, nous contraint à revenir sur le sujet trente ans plus tard.
La persistance des dérives historiques, erreurs et emprunts sauvages, nous contraint à revenir sur le sujet trente ans plus tard.

La persistance des dérives historiques, erreurs et emprunts sauvages, nous contraint à revenir sur le sujet trente ans plus tard.

 Le véritable visage de Toussaint Louverture

« Le débat sur le vrai visage de Toussaint sera peut-être un jour éclairé par la découverte d'un nouveau dessin exécuté à Saint-Domingue » – concluait de manière prémonitoire Marcel Chatillon en 1989 à l’issue d’une rapide présentation du sujet pour le catalogue d’une exposition en Guadeloupe. C'est, en effet, ce qui se produisit peu de temps après, au détail près que le nouveau portrait en question, retrouvé en Haïti la même année, a plutôt été réalisé en France.

Il s'agit d'une gravure présentant un portrait en pied du général Toussaint Louverture par le graveur parisien Pierre-Charles Baquoy (1759-1829), issu d’un dynastie de graveurs du quartier Saint-Séverin, arrière-petit-fils et petit-fils de graveur, père de deux filles exerçant le même métier et fils de Jean-Charles Baquoy, « graveur en taille-douce ». Surtout connu comme graveur de mode pour son importante contribution au Journal des Dames mais aussi comme auteur de portraits de personnages célèbres tels que Voltaire, Bonaparte, Saint-Vincent de Paul…, ses propres gendres le déclarèrent à sa mort le 5 février 1829 âgé de soixante-dix ans, rue Saint-Hyacinthe près de la Sorbonne, sous la qualité – à laquelle il devait tenir – de « graveur d’histoire ». Dernier détail non négligeable, Baquoy a été pendant quatorze ans professeur au fameux collège de La Marche où avaient été envoyés les deux fils aînés du général : Placide et Isaac Louverture.

Cette gravure en taille douce a été fortuitement exhumée en 1989 des combles du Manoir des Lauriers à Port-au-Prince, résidence de l'ambassadeur de France et ancienne demeure du président haïtien Elie Lescot qui l’avait sans doute acquise à Paris lors de la vente des œuvres de Baquoy qui eut lieu après son décès. Ce portrait, que j’avais alors authentifié et analysé à la demande de M. l'Ambassadeur Jean-Raphaël Dufour au moment de sa découverte, a été reproduit pour la première fois dans l’ouvrage Haïti, l'éternelle Révolution que j’écrivais à l’époque pour le bicentenaire de la Révolution et qui ne fut publié finalement qu’en 1997 en Haïti en raison des troubles que connut le pays à l’époque, justifiant ainsi un titre prémonitoire[1].

Intitulée Gal Toussaint Louverture / par Baquoy, ce qui lève tout doute sur l’identification, la gravure est très proche par sa facture de son œuvre restée sans soute la plus célèbre, la fameuse représentation du « Nègre de Surinam » intitulée C’est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe illustrant le chapitre 19 de Candide. Toussaint est représenté, sur fond maritime vaguement tropicalisé, en uniforme de général de la République française mais sans épaulettes ni bandoulière, c’est-à-dire après dégradation, sabre au côté et bicorne à la main, s'appuyant sur une canne qui n'est pas sans rappeler celle que l'on trouve aujourd'hui au musée de Mirande dans le Gers, non loin du château des comtes de Noé et dont la dernière descendante avait fait donation au musée.

Quelques détails frappent immédiatement. D'abord, l’âge (calvitie et tempes grisonnantes) et l'allure générale de celui qui avait été surnommé en créole Fatras-Bâton (que l'on pourrait traduire par « le contrefait » – « Il est laid même dans l'espèce noire » – dit impudemment Ramel dans la préface du Toussaint Louverture de Lamartine), la taille (petite) et la corpulence (mince), associées aux jambes musculeuses du cavalier (le « Centaure de la Savane ») que l'on retrouve dans le tableau équestre de Volozan, sans doute fait à Saint-Domingue, détails qui correspondent tous parfaitement à ce que l'on connaît du personnage. Ensuite, le visage qui offre une mine particulièrement déconfite et triste, en dépit de la pose,  et le fait qu’on ne distingue pas d'épaulettes sur l'uniforme (on les lui avait enlevées sur le navire Le Héros à la suite de sa radiation de l’armée du 29 mars 1801 restée secrète jusqu’à ce qu’on la lui notifie sur le navire. Cet uniforme lui sera ensuite également retiré au fort de Joux et il s’en plaindra dans ses Mémoires).

On remarque enfin le mauvais positionnement du sabre sur le côté droit, qui ferait du personnage un gaucher, ce qui n'a jamais été signalé et qui contredit manifestement toutes les autres représentations potentiellement véridiques. Ce ne peut être dû qu’à la pose imposée, une sorte d’arrangement fait au dernier moment pour la postérité lui remettant un sabre qu’il ne portait évidemment plus depuis son arrestation.

Tous ces points inclinent à penser fortement que le portrait a été réalisé après l'arrestation et la déportation de Toussaint, très vraisemblablement peu après son arrivée à Brest, après une traversée de 27 jours sur  Le Héros, le 9 juillet 1802, et avant son départ pour le fort de Joux le 13 en fourgon cellulaire, événement qui dut faire quelque bruit à l'époque en dépit des précautions de discrétion dont on souhaitait politiquement entourer l'affaire. Tout porte à croire qu'on est donc là en présence de ce qui correspond à une véritable photographie d'époque de Toussaint mis aux arrêts et en instance de transfert vers le fort de Joux, un instantané pris sur le vif marquant à la fois le témoignage pour l'actualité et la mise en mémoire pour l'histoire d'un événement important pour lequel on aurait fait venir de Paris l’un des graveurs les plus en vogue du moment.

Arrêtons-nous un moment encore pour finir sur le visage, qui est très différent des représentations que l'on connaît habituellement mais dont la ressemblance, pour ne pas dire la totale similitude, avec un autre portrait est frappante : celui qui figure en exergue de la plaquette publié en 1984 à l'occasion du gala de premier anniversaire de la fondation du Musée du Panthéon National Haïtien [Mupanah], sous le titre Toussaint Louverture mort au fort de Joux (France) le 7 avril 1803. Il s'agit d'un profil en couleur inscrit dans un petit médaillon familial ovale sur lequel on distingue clairement, outre les épaulettes et la bandoulière étoilée de l'uniforme, le catogan attachant les cheveux, détail confirmé par les Mémoires d'Isaac Louverture.

Le même portrait, accompagné de deux autres médaillons, figure également dans la plaquette simplement intitulée Toussaint Louverture réalisée pour le musée en 1983 par Jean Fouchard, mais avec la légende erronée : « Placide (au lieu de Toussaint), Isaac Louverture et Madame Placide Louverture née Joséphine de Lacaze de Guirodet » (nom avancé également par Nemours mais que l’on doit corriger en « Lacaze de Corrent, branche des Guirodet »), alors qu'en couverture on a fait figurer le portrait par Montfayon transmis par Gragnon-Lacoste, au demeurant assez ressemblant sur le fond (on y retrouve la bandoulière étoilée, le début de calvitie frontale, le catogan) si l'on veut bien ne pas tenir compte d'une volonté marquée d' « embellissement artistique » du visage dont l'objectif évident est de « blanchir » le personnage pour satisfaire un public européen. Ce qui n’a pas empêché Isaac Louverture de le certifier authentique. Ces médaillons familiaux, dont l'origine précise n'est indiquée dans aucun des deux documents, paraissent bien provenir de ces « précieux papiers Gragnon Lacoste offerts à notre premier musée National par le président Sténio Vincent » qu'évoque Jean Fouchard.

Toutes les images (plus ou moins réduites) du véritable portrait en pied de Toussaint en circulation actuellement sur la toile proviennent de la photo originale faite en 1989 par Jacques de Cauna au manoir des Lauriers à Port-au-Prince. Cette photo a été publiée dans Haïti, l’éternelle Révolution, Port-au-Prince, Deschamps, 1997. Voir aussi pour plus de précisions J. de Cauna, Toussaint Louverture et l’indépendance d’Haïti, Paris, Karthala et SFHOM, 2004, p. 42-43, et le cahier iconographique central dont nous donnons un extrait ci-dessus.

  Jacques de Cauna

Docteur d’État (Sorbonne) 

CNRS / EHESS / CIRESC      
 

[1] Jacques de Cauna, Haïti, l'éternelle Révolution, Ed. Deschamps, Port-au-Prince, 1997, p. 164-165, réédition PRNG, 2009. Cette découverte, sa date et son importance, sont formellement attestées par David Geggus dans The changing faces of Toussaint Louverture. Literary and pictorial depictions, The John Carter Brown Library electronic (consultable en ligne) publications, en ces termes :

" Fig.11. Pierre-Charles Bacquoy. Photographed by Jacques de Cauna. 

"By far the most important recent development in this area was the discovery of a full-length picture of a forlorn, bare-headed Toussaint Louverture in 1989. It was found in the attic of the French ambassador’s house in Port-au-Prince, which had formerly belonged to President Élie Lescot. The depiction of Toussaint’s face lies somewhere between those of the Maurin and Montfayon portraits. Photographed by cultural attaché Jacques de Cauna, it constitutes an iconographic counterpart to the documentary discoveries of Debien and Ménier the previous decade (fig. 11)".

 

Gravure de Pierre-Charles Baquoy d'après un dessin de Jean-Michel Moreau le Jeune, dans Voltaire, Candide ou l'Optimisme, chapitre 19, Œuvres complètes, Imprimerie de la société littéraire typographique, 1785.

 

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commentaires

I
Merci monsieur J.de Cauna pour l'intéressant texte sur Toussaint. Bel été.
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J
Merci chère Isabelle et bon été également.

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