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3 février 2025 1 03 /02 /février /2025 16:44
Page de couverture du compte-rendu du travail réalisé par les élèves de 1ère du Lycée d'Agen sur Saint-Domingue, la famille Louverture et Agen, d'après la carte de l'Isle Saint-Domingue partie française ou Haïti © Jacques de Cauna 1980

Page de couverture du compte-rendu du travail réalisé par les élèves de 1ère du Lycée d'Agen sur Saint-Domingue, la famille Louverture et Agen, d'après la carte de l'Isle Saint-Domingue partie française ou Haïti © Jacques de Cauna 1980

Ce livret d'une quinzaine de pages est le résultat d'un travail effectué par les élèves de la classe de Première G1 du Lycée Jean-Baptiste de Baudre sous la direction de leur professeur d'Histoire-Géographie durant l'année 2024 dans le cadre d'un travail d'études et de recherches en coordination avec la Chaire d'Haïti à Bordeaux. Tous les élèves ont participé à la rédaction et assisté, entre autres, à la conférence de synthèse donnée par le professeur Jacques de Cauna à l'occasion de la Journée nationale de la Mémoire de l'Esclavage du 10 mai 2024. 

L'introduction reproduite ci-dessous dessine les contours de ce travail qui a porté sur deux parties distinctes : l'émigration agenaise à Saint-Domingue et les plantations, évoquées essentiellement à partir de l'ouvrage L'Eldorado des Aquitains (1998) pour la première, et, pour la seconde, la présence postérieure de la famille Louverture à Agen, à l'aide de l'ouvrage Toussaint Louverture, Bordeaux et l'Aquitaine. Histoire, famille, mémoire, 2023.

Parmi les autres actions menées en milieux scolaires et universitaires, on retiendra également les visites des quatre salles de l'exposition Bordeaux au XVIIIe siècle, le commerce transatlantique et l'esclavage présentées au Musée d'Aquitaine par des classes ou départements d'études supérieures encadrés par leurs professeurs.

L'une des plus remarquables a été la réception de l'intégralité des étudiants du département d'études francophones de La Brigham Young University de Salt Lake City (USA) accompagnés par leurs professeurs MM. Daryl Lee et Carter Charles qui, outre la visite de l'exposition, ont pu profiter d'une visite de la partie historique de Bordeaux classée au Patrimoine mondial de l'Unesco.

Mais ils n'ont pu, malheureusement pas, y associer entièrement en parallèle, la découverte des traces historiques de la présence aquitaine en Haïti en raison de l'impossibilité actuelle d'accéder au Fonds Jacques de Cauna brutalement retiré par le Ciresc de son site où il figurait depuis dix ans pour tenter de compenser d'une certaine manière les énormes pertes patrimoniales subies à la suite du séisme qui a ravagé les régions de l'Ouest et du Sud d'Haïti.

Les élèves, étudiants et professeurs n'ont pu ainsi bénéficier de la sélection de près de 500 photos prises dans les années 1974-1990 que l'on pouvait feuilleter librement selon les besoins. Une action largement soutenue dans les milieux scientifiques concernés est en cours pour récupérer ce fonds indispensable, réalisé pour le public aussi bien haïtien que français, dans un établissement public français, que son auteur avait voulu mettre à disposition comme une sorte de réparation dont le retour ne doit plus être injustement différé (voir les divers articles sur le sujet dans ce blog).

Soyez certains que la Chaire d'Haïti à Bordeaux s'y emploiera en priorité et sans faiblir, en liaison notamment avec les organismes et institutions concernés à l'international. Il va de soi que tous les soutiens et aides seront les bienvenus pour rétablir une situation gravement dégradée par une déplorable initiative.

 

 

Une action en milieu scolaire de la Chaire d'Haïti à Bordeaux
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8 janvier 2025 3 08 /01 /janvier /2025 16:16
Découvertes et patrimoines en Nouvelle-Aquitaine (sommaire partiel)

Découvertes et patrimoines en Nouvelle-Aquitaine (sommaire partiel)

                                       Histoires de Familles

Le sommaire partiel présenté en couverture ne comprend qu'un aperçu de quelques titres parmi les 25 articles développant ces Histoires de familles à travers l'ensemble des anciennes provinces et nouveaux départements de la région et des personnages choisis qui en ont marqué l'histoire, du Pays basque (les Makilas, Marianoko Etchea) à la Creuse et la Marche (coutumes de mariage), en passant par les Deux-Sèvres (noces poitevines), la Gironde (Mauriac et sa mère, Jean Bataille, Montaigne et La Boëtie Chaigneau et Bichon, industrie navale, Claire Villars Lurton, viticultrice, le chai Cantenac-Brown), la Charente (Lazare Weiller, industriel mécène, l'école Mario Roustan  Angoulème), le Béarn, les Landes, le Lot-et-Garonne (Cadets de Gascogne et mousquetaires, les cagots, Lucienne Deguilhem et la résistance, le Collectif Encore, bâtisseur, la terrine de Nérac), la Corrèze (les Cueco, artistes), la Charente-Maritime (L'affaire Guyonnet, la grève des ouvrières de Cerizay), la Haute-Vienne et le Limousin (reliquaire d'Ambazac, Jean-Charles de Castelbajac), la Dordogne (château de Commarque), la Vienne et le Poitou (Sainte-Radegonde)...

Les 145 pages de la Revue développent un vaste et riche florilège de particularités remarquables magnifiquement illustré qui justifie pleinement la nouvelle orientation choisie par la rédaction vers la découverte de tous les patrimoines, matériels et immatériels, expressions des valeurs historiques, littéraires et humaines fondamentales constitutives et spécifiques de la région. 

Nous reviendrons en particulier sur les Cadets de Gascogne dans un prochain article.

N.B. : En ce début de nouvelle année 2025 prometteur, au moment même où nous nous félicitons de cet intérêt accru pour la connaissance du patrimoine aquitano-gascon et la diffusion de la recherche sur le sujet, nous ne pouvons que déplorer à nouveau le grave recul enregistré sur le même plan par l'inexplicable et inquiétante disparition des cahiers numériques consacrés au patrimoine haïtien qui avaient été mis à disposition des étudiants, professeurs, chercheurs et du public en général sous l'intitulé "Fonds Jacques de Cauna" sur le site du CIRESC.

Le blog de la Chaire d'Haïti à Bordeaux fera le point régulièrement sur ce sujet qui pour l'instant ralentit et complique de fait la mise en oeuvre au quotidien des projets en cours dans le domaine. Une régression dont le pays se serait bien passé en ce moment et qui  devra trouver son épilogue rapidement par la remise en marche de cet important outil de travail par son auteur sur un site sécurisé... A condition qu'il lui soit restitué en état de fonctionnement immédiat... Un simple code devrait suffire à la réouverture de l'archive enregistrée. On ne peut rester scientifiquement dans un service public sur une "disparition dans le cyber espace", seule réponse obtenue à ce jour.

 

 

 

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13 décembre 2024 5 13 /12 /décembre /2024 17:02
Le vicomte de Béarn ancêtre commun de Louis XIV, petit-fils d'Henri IV, et de Madame de Maintenon, cousins par leur ascendance landaise et béarnaise
Le vicomte de Béarn ancêtre commun de Louis XIV, petit-fils d'Henri IV, et de Madame de Maintenon, cousins par leur ascendance landaise et béarnaise

Le vicomte de Béarn ancêtre commun de Louis XIV, petit-fils d'Henri IV, et de Madame de Maintenon, cousins par leur ascendance landaise et béarnaise

En ce Vendredi 13 décembre 2024, jour anniversaire de la naissance d'Henri IV, lou nouste Henric, notre grand cousin mais aussi le Grand Réconciliateur des Français, comme l'a si bien rappelé notre nouveau Premier Ministre béarnais, le Bulletin du Centre Généalogique des Landes colle à l'actualité  en nous rappelant, par la voie de la connaissance historique de nos familles et de notre patrimoine, que tout est toujours possible... 

Febus me fe ! Febus aban ! Toque-y si gauses ! 

 

Bulletin n° 138 (nouvelle série)

Année 2024

SOMMAIRE

 

La lettre des co-présidents. Vers un nouveau départ , par Jacques de Cauna et Christian Lacrouts

De la première école landaise aux demoiselles de Saint-Cyr, par Jacques de Cauna

Fiacre de Castéja et Mlle de Nevers. Une idylle théâtrale, par Jean-Denis de Biaudos de Castéja

La demoiselle de Nevers, dite La Guyot, Molière, les Béjart, par Jean-Denis de Biaudos de Castéja

Informations scientifiques et culturelles par Jacques de Cauna

Questions-réponses, recherches en cours par Jacques de Cauna

 

Les textes et généalogies publiés dans ce bulletin sont sous la responsabilité seule de leurs auteurs.

Toute reproduction, même partielle, ne pourra se faire sans leur consentement préalable.

Centre Généalogique des Landes. Association loi 1901. JO du 26 août 1987

 

Petits secrets d’histoire landaise. De la première école landaise aux demoiselles de Saint-Cyr. Les surprises des filiations royales.

par Jacques de Cauna

La moindre recherche généalogique nous réservera toujours des surprises d’une dimension inattendue. Celle qui nous attend ici prend sa source dans l’une de ces opérations paléographiques de translation de documents du XVIe siècle qui font parfois le désespoir des meilleures volontés tant l’écriture de cette époque peut nous rebuter au premier abord. Ce document familial en assez bon état dont l’original est daté du 23 décembre 1502 dormait dans nos archives sous le titre de Version du Contrat de mariage d’Antoine de Saint-Orens et Jeanne de Cauna n° 10 et échappe en grande partie au problème que l’on vient d’évoquer dans la mesure où il s’agit bien d’une copie postérieure (malheureusement non datée mais sans doute de l’époque de la grande recherche de noblesse, 1666-1727)1 comme le révèlent les deux dernières lignes du document : « double extrait de son original par moy notaire et soussigné de Paga, avec double paraphe ».

          [... Article complet à lire dans le Bulletin du CGL n° 138]

Mais revenons aux dernières lignes du contrat et à la présence d’un des témoins : « Bernard de Lau, maistre d’école du dit Cauna ».

Il y avait donc déjà au tout début du XVIe siècle, en 1502, un maître d’école à Cauna, ce qui paraît tout à fait exceptionnel au point que l’on ait pu voir à la première école des Landes. De savants travaux portant sur ce que l’on appelait les scolanies montrent que ces prébendes existaient très anciennement et consistaient en une sorte de rente que touchait le curé pour l’éducation de quelques enfants, sans doute privilégiés, de sa paroisse, qui se faisait dans l’église ou à au presbytère. La présence d’un maître d’école bien identifié, Bernard de Lau, montre que ce n’est pas le cas ici puisque le curé du dit lieu, comme on le voit dans le contrat de mariage, puisque ce titre de curé suit le nom d’un fils d’un fils cadet du baron de Cauna, Pierre.

       [... Article complet à lire dans le Bulletin du CGL n° 138]

Mais quel lien peut-il y avoir entre cette royale institution et la petite école landaise de Cauna à travers deux siècles d’histoire ? Il est encore une fois généalogique,. Il se trouve en effet que Madame de Maintenon est une descendante des maisons de Saint-Orens et de Cauna et qu’elle est de surcroît, par la même origine dans le couple formé par Jean III, comte de Foix, et Jeanne d’Albret, doublement cousine par les Foix de Navarre et les Foix-Candale de son époux morganatique le roi Louis XIV, épousé secrètement.

Elle est en même temps contemporaine et lointaine cousine, comme Louis XIV, du roi George Ier d’Angleterre par la filiation de la célèbre Eléonore Desmiers d’Olbreuse issue d’Anne de Cauna, nièce de Jeanne de Cauna l’épouse d’Antoine de Saint-Orens (voir le tableau généalogique ci-dessus).

1 Sur ce point, voir Jacques de Cauna, Comment fut menée la grande recherche sur la noblesse dans les Landes, dans Bulletin du Centre Généalogique des Landes n° 137, 2023, p. 2042-2052.

 

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5 décembre 2024 4 05 /12 /décembre /2024 15:29
Extraits du cahier central d'illustration de l'ouvrage "Les traites et les esclavages. Perspectives historiques et contemporaines" (M. Cottias, E. Cunin, A. de Almeida Mendes), Kartahla-Ciresc, 2010

Extraits du cahier central d'illustration de l'ouvrage "Les traites et les esclavages. Perspectives historiques et contemporaines" (M. Cottias, E. Cunin, A. de Almeida Mendes), Kartahla-Ciresc, 2010

Ces photos d'habitations étaient aussi présentées dans leurs quartiers respectifs avec leurs légendes, parmi beaucoup d'autres, dans les cahiers numériques du "Fonds Jacques de Cauna" sur le site du Ciresc, cahiers aujourd'hui "disparus dans le cyber espace" sans laisser de traces selon la seule réponse obtenue à ce jour...

7e Rencontres atlantiques. Musées, mémoires et collections. Les sémiophores des traites et des esclavages, Bordeaux, Musée d’Aquitaine, 9-10 Mai 2019.
Communication inédite, non publiée par le co-organisateur Ciresc cinq ans après le colloque, Deuxième partie, 1e et 3e parties à suivre sur ce blog. 
 

II- Les travaux d'archéologie industrielle des années 1970-1990, antériorité et postérité [suite de la 1e partie]

Deux séjours prolongés en Haïti, de sept et six ans, m'ont permis d'identifier et de visiter systématiquement les sites de plus de cinq cents habitations, plus particulièrement dans la région de l'Ouest, les plaines du Cul-de-Sac (à commencer par la sucrerie Fleuriau, objet de ma première thèse), de l'Arcahaye, de Léogane, de l'Artibonite, les hauteurs de Pétionville, de Saint-Marc et de Montrouis…, et à un degré moindre dans le Nord, plaine et hauteurs du Cap et de Milot, île de la Tortue..., et le Sud, caféières du plateau du Rochelois à la plaine des Cayes, et petites plaines d'Aquin, de Jacmel, des deux Goâves...

La méthodologie qui a sous-tendu ces travaux s'appuyait sur quelques grands axes susceptibles d'étayer et de renouveler la recherche. Avant le départ, les opérations de recherche étaient préparées par le recensement et l'exploitation systématique des ressources d'archives publiques, notamment cartographiques, mais aussi greffe, cadastre, abornements, notariat, relations diverses…, conservées pour la plupart en France, au CARAN, au CAOM ou dans les dépôts départementaux et locaux, mais aussi et surtout d'archives privées, ces « papiers de famille » dont Gabriel Debien a bien mis en valeur l'utilité, principalement ceux qu'on pouvait trouver en Haïti mais aussi dans la région aquitaine où il se sont avérés très nombreux et riches en liaison avec l'importance numérique de l'implantation régionale des colons locaux. On a pu trouver là une véritable mine d'informations de première main relatives à la vie et à la gestion des habitations : comptes, inventaires, correspondances de gérants… Dans les cas de découvertes imprévues de site, la méthodologie pouvait naturellement être inversée et les recherches d'archives préparatoires devenir complémentaires.

Les travaux d'archéologie industrielle proprement dits ont consisté en enquêtes de terrain, exploration et reconnaissance des sites, parfois très difficilement accessibles et que des raisons de sécurité interdiraient aujourd'hui de tenter. A l'arrivée sur site, des clichés ont été pris et lorsque c'était possible accompagnés de relevés, mesures, orientation et plans sommaires ou croquis. Un questionnement minimal en créole, avec la prudence requise en matière d'histoire orale pour ne pas altérer et dénaturer la perception des locuteurs locaux en imposant quoi que ce soit d'extérieur. Ce relevé d'éléments d'histoire locale transmis par la mémoire populaire permet, une analyse critique de la perception haïtienne actuelle autant que de la perception française. On sait le parti qu'a pu tirer, par exemple, Nathan Wachtel de ce type d'approche pour la compréhension de l'histoire coloniale espagnole à travers la « vision des vaincus », les peuples indiens d'Amérique latine1. Pour Saint-Domingue, l’analyse gagne indubitablement à la prise en compte de la vision haïtienne des choses, celle des vainqueurs en l'occurrence.

Dans un second temps, la réalisation de monographies ou d'inventaires alliant les deux approches fut la première étape nécessaire avant toute tentative de synthèse. Un certain nombre de publications ont rendu compte des premiers résultats. Pour résumer rapidement, on trouvera ainsi chronologiquement, dès 1981, la présentation, dans deux livraisons de Conjonction, Revue franco-haïtienne de l’Institut français d’Haïti, d'une trentaine de grandes sucreries de la plaine du Cul-de-Sac (sur une cinquantaine visitées), aux environs de Port-au-Prince, dont les ruines avaient été identifiées à partir de documents d'époque coloniale, cartes du XVIII siècle, états et inventaires divers.., puis répertoriées, photographiées et resituées dans leurs contextes historique et actuel : présentation générale du quartier, situation et conditions d'accès, qualité des terres et de la production, origine du nom et informations sur les propriétaires successifs de la colonie à nos jours ainsi que sur les esclaves, événements historiques survenus sur l'habitation, état des vestiges...2

En 1982, les premières photos ont été présentées au public français à La Rochelle à l’inauguration du musée municipal dans le cadre d'une exposition permanente Les Fleuriau et Saint-Domingue pour laquelle j'avais reçu carte blanche du maire Michel Crépeau et qui perdura 25 ans au Musée du Nouveau-Monde, ancien hôtel Fleuriau, la seule de l’espace muséal français.

C'est ensuite au titre des actions de coopération de l'Ambassade de France en Haïti, en ma qualité d'attaché linguistique et d'historien membre du Comité directeur de la Société Haïtienne d'Histoire et de Géographie, que j'ai rejoint en 1984 l'équipe pluridisciplinaire du projet de recherche-formation-développement initié en 1977 avec la Faculté d'Agronomie de Damiens (Haïti) et l'Université des Antilles et de la Guyane (Fort-de-France) comme expert national (haïtien) pour participer aux côtés de Vincent de Reynal et Didier Pillot (Martinique/Belgique), dans le cadre d’un projet de développement durable, à l’étude d’une partie des habitations de la région centrale montagneuse de la presqu'île du Sud (le « transect » Madian-Salagnac-Aquin), essentiellement les caféières du Plateau du Rochelois, (dix-sept sites de caféières étudiés et photographiés avec plans reconstitués, sur une soixantaine visités)3.

Un inventaire similaire a été réalisé en 1986 dans le nord du pays, auquel j'ai participé en qualité de consultant national haïtien, au même titre, pour l’ISPAN et l’UNESCO et qui a été publié dans une revue haïtienne. Les habitations visitées et photographiées (une dizaine) s'inscrivaient dans le périmètre du Parc Historique National qui s'étend sur trois paroisses (et partie de deux autres) voisines des sites historiques christophiens de la Citadelle Laferrière et du palais Sans-Souci en cours de restauration dans le cadre d'un programme conjoint Pnud/Unesco/Ispan. La technique d'investigation a consisté en repérages et recensement des noms de lieux (micro-toponymie) à partir de la tradition orale (questionnement en créole des habitants) confrontés ensuite aux données coloniales fournies par les cartes d'époque, l'Etat de l'Indemnité de Saint-Domingue (propriétés et colons) et la Description... de l’Isle Saint-Domingue de Moreau de Saint-Méry (quartiers et cantons). Le système de conservation de la mémoire des noms, très performant, se caractérise par une grande résistance en même temps qu'une tendance à la simplification dans la transcription phonétique créole4.

Et c'est toujours dans le même cadre fonctionnel diplomatique, concrétisé par la fondation et la direction du Centre de Recherche Historique de l'Institut Français d'Haïti, mais aussi à titre personnel, que j'ai entrepris diverses études de terrain sur les plantations et leur environnement urbain ou rural (environ soixante-dix), à l'île de la Tortue (mission officielle avec un membre de l'Université de Bordeaux, le Professeur Robert Coustet), le Cap, Fort-Dauphin, les Cayes, Saint-Louis du Sud, Jacmel, Aquin, l’Arcahaye, Montrouis, Saint-Marc, Gonaïves, Port-au-Prince5. Un dernier complément a été apporté dans une perspective comparative par l’association avec les clichés effectués localement et la présentation didactique en anglais dans les enseignements et classes d’histoire du patrimoine de l’Université des West Indies, en liaison notamment avec les professeurs Barry Higman, Michael Dash et Roy Augier, dans le cadre d'une mission de longue durée de trois ans en qualité de Conseiller culturel scientifique et de coopération de l'Ambassade de France en Jamaïque et aux Bahamas6.

Une dizaine d'années plus tard, en 1996, affecté sur un poste de responsabilités en relations internationales en France, c'est en qualité d'expert consultant Unesco, dans le cadre d'un nouveau programme Pnud/Unesco/Ministère de la Culture d'Haïti, que j'ai communiqué à ces institutions les premiers résultats de l’étude récapitulative d'une vingtaine de grandes habitations (sur une quarantaine visitées) qui environnent directement le Cap-Haïtien (côté plaine) sur les trois anciennes paroisses de la Petite-Anse, du Quartier-Morin et du Haut-du-Cap, avec le rappel des principaux sites historiques de cette région qui en est particulièrement riche (habitation Vertières et butte Charrier, les sites des deux Bois-Caïman sur les habitations Choiseul et Lenormand de Mézy que j’avais identifiés depuis 1987, les sites christophiens des habitations Duplàa, alias Les Délices de la Reine et Grand-Pont, anciennement Mac Nemara, les trois sucreries Gallifet, point focal de l'insurrection, Bréda, lieu de naissance de Toussaint-Louverture..., etc.)7.

Plusieurs monographies d'habitations de colons, principalement aquitains, issues du recoupement d'investigations de terrain en Haïti et de l'exploitation de papiers de familles locaux en Aquitaine, ont été publiées pour finir, le plus souvent dans des revues locales. Les plus importantes portent sur les sucreries Fleuriau, Clérisse, Nolivos, Laborde, Brossard-Laguehaye, les caféières Navailles, Dupoy, Viaud, Châteauroux, Clérisse, les indigoteries Ganderats et Pascal... Ce passage par l'écrit est indispensable. On peut se souvenir par exemple que les vestiges de l'Antiquité ont longtemps été considérés comme déchets avant de se transforment en sémiophores lorsque et parce qu'ils ont été mis en rapport avec des textes de l'Antiquité, notamment à l'époque romantique.

Diverses communications pratiques sur le sujet complètent le sujet dans le cadre d’échanges universitaires, à La Nouvelle-Orléans et Fort-de France notamment, et également des interventions directes, comme professeur associé, auprès des étudiants de l’Ecole Caribéenne d’Architecture [Caribbean School of Architecture] de l’Université des West Indies sur le campus de Mona à Kingston (Jamaïque), et enfin, la réalisation sous la conduite de l’un de mes doctorants de l'Université de Pau d’une autre maquette du même type présentée en 2003 dans le cadre d’une opération associative liée aux commémorations de la mort de Toussaint Louverture au château de l’Isle-de-Noé, dans le Gers.

On peut ainsi tirer de l'ensemble de ces travaux un bon nombre d'observations d'ordre typologique, chronologique et fonctionnel et situer le système des habitations dans ses liens avec son environnement et la question d'ensemble de la vie quotidienne des esclaves de plantation à Saint-Domingue, la plus importante des colonies françaises d'Amérique. Ils constituent ensemble le cadre de référence détaillé nécessaire à la compréhension des prises de vues conservées dans le fonds photographique et permettent de se replacer concrètement dans le cadre spatial le plus fréquent de la vie quotidienne des esclaves pour tenter de mieux en appréhender la réalité effective. Ces éléments ont été plus largement développés dans les études précitées auxquelles je renvoie, notamment la dernière en date.

Un mot pour finir sur les facteurs de destruction, qui sont de deux ordres : naturels et humains. Lors des visites de terrain, il m'a été donné d'observer à de multiples reprises des aqueducs (Châteaublond, Bauduy), étuves (Caradeux) ou autres vestiges de murs détruits par l'emprise de figuiers-maudits. Il ne subsiste même parfois que quelques pierres témoins retenues dans l'arbre (Digneron, Rocheblanche, Jumécourt). Il faut y ajouter les catastrophes naturelles du type ouragans, séismes, inondation. Un phénomène fréquent est l'enterrement des structures par remontée du sol (fosse du moulin et four de sucrerie à Fleuriau). Plus regrettables que ces destructions naturelles difficilement contrôlables sont celles, humaines, qui résultent du prélèvement des pierres (pierres d'angles surtout) réutilisées pour la construction de maisons en dur de notables locaux. C'était le cas de l'étuve de Lilavois où toutes les pierres d'angles taillées et savamment disposées avaient disparu avant que le bâtiment entier lui-même ne disparaisse en quelques jours parce qu'il gênait l'entrée d'une propriété. Je n'ai pu voir de la sucrerie Chambon au Cul-de-Sac que les dernières pierres au pied desquelles gisait une belle cloche gravée et datée des environs de 1789, l'ensemble ayant été détruit dans la semaine précédant mon passage. De même, du portail d'entré aux piliers subsistants de l'habitation Héritiers Lefèvre, je n'ai pu qu'assister de loin au travail d'engins de chantier enlevant les derniers restes de la sucrerie et bâtiments annexes. Un peu plus loin, au Quartier-Morin, on trouve une grand-case devenue église et, plus loin, une autre, plus modeste, préservée derrière ses piliers d'entrée à Détrel (de Treilles de Sainte-Croix), également une sucrerie transformée en maison d'habitation à Desglaireaux (Bardet Desglaireaux), mais aussi un immense trou de chercheur de trésors (les fameuses jarres emplies de pièces d'or) à l'emplacement de la grand-case de l'habitation Guillodeu (Guillodeau du Plessis) où avait eut lieu l'expérimentation du premier paratonnerre de la colonie. Dans l'Artibonite, le cylindre métallique rouillé d'une « pompe à feu » de 1784, exemplaire unique dans la colonie d’une pompe à eau à vapeur, estampée Perrier frères, Chaumont (mauvaise lecture pour Chaillot), gisait encore il y a peu à côté de sa cheminée de briques intacte sur l'habitation Bertrand (Bertrand de Saint-Ouen)8. On pourrait multiplier les exemples…alors même que les innombrables vestiges d'un riche passé continuent à disparaître dans l'indifférence générale.

Pour résumer, de fortes avancées, qui sont à mettre au compte des premiers travaux publiés d'archéologie industrielle, se sont produites dans les années 1970-1990 pour aboutir, entre autres, à la création de l'Institut de Sauvegarde du Patrimoine National (ISPAN) et du Parc National Historique (PNH). Les aléas de la conjoncture globale ont ensuite gravement entravé ce mouvement, peu perceptible puis devenu à coup sûr quasi inexistant aujourd'hui.

Devant les dégradations générales et surtout les disparitions totales dont seule l'iconographie, et sa composante contemporaine photographique, peuvent encore aujourd'hui laisser trace et témoigner, il revient, ou reviendra, peut-être à la dématérialisation des supports obtenue par les moyens technologiques actuels d'assurer la transmission mémorielle et la circulation de ces sémiophores sous une forme visuelle. La numérisation et la mise en ligne sur le site du CIRESC d'un important fonds photographique (le Fonds Jacques de Cauna) a été un premier pas dans le sens d'une nécessaire substitution conservatoire à ce qui a pu déjà matériellement disparaître sur le terrain. Son relais muséal, impératif pour la transmission, existait au Musée d’Aquitaine sous la forme d’une borne pédagogique interactive très résumée dans laquelle je présentais le cadre de vie de la grande majorité des esclaves sur les plantations. On pouvait donc penser encore il y a quelques années que cette première évolution se poursuivrait dans le bon sens.

Ce fut tout le contraire qui se produisit [voir suite et conclusion dans la 3e partie].

 

1 Nathan Wachtel, La Vision des vaincus. Les Indiens du Pérou devant la conquête espagnole, Gallimard, Paris, 1971.

2 Jacques de Cauna, « Vestiges de sucreries dans la Plaine du Cul-de-Sac », Conjonction, 1981, n° 149, p. 63-104, et 1985, n° 165, p. 4-32.

3 Résultats publiés dans Didier Pillot, Vincent de Reynal et Jacques de Cauna, tome 1, « Histoire agraire et développement », de l'ouvrage Paysans, systèmes et crises. Travaux sur l'agraire haïtien, Pointe-à-Pitre et Port-au-Prince, SACAD (Université des Antilles et de la Guyane) et FAMV (Université d'Etat d'Haïti), 1993, 365 p.

4 Jacques de Cauna, « Mémoire des lieux, lieux de mémoire : quelques aperçus sur la toponymie haïtienne et ses racines historiques », 1986, dans Chemins Critiques, Port-au-Prince, 1990, n° 4, p. 125-140. Enquête de terrain à ambition modélisante menée en compagnie d'une géographe française et de trois chercheurs haïtiens (archéologue. ethnologue et cartographe) de l'ISPAN (Institut de Sauvegarde du Patrimoine National) dans le cadre d'un projet PNUD / UNESCO (consultant national, 1986), présentée à la table ronde L'histoire des sociétés coloniales antillaises, 1990, Paris, Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales.

5 Rapport de mission scientifique dans Jacques de Cauna (dir.), Conjonction, n° 174-175 Spécial Île de la Tortue, 3 et 4 trim. 1987.

6 Voir notamment Barry Higman et Jacques de Cauna, Amerindians, Africans, Americans : Three papers in Caribbean History, co-édition bilingue anglo-française et avant-propos, Kingston (Jamaïque), University of the West Indies Press, 1993, 125 p., et Jacques de Cauna, "Vestiges of the Built Landscape of Pre-revolutionnary Saint-Domingue", p. 21-48, iconographie. In The world of the Haïtian Revolution, edited by David Geggus and Norman Fiering  (John Carter Brown Library), coll. Blacks in diaspora, Indiana University Press, Bloomington (USA), 2009. Voir aussi Jacques de Cauna, Haïti, l’éternelle Révolution, réédit. Orthez, PRNG, 2009, p. 255 sq.

7 Mathilde Bellaigue, Jacques de Cauna (Unesco), Ecomusée du Nord. Projet 95/010 Haïti, Route 2004, et Jacques de Cauna, Ecomusée du Nord, Rapport préliminaire (consultance externe), 70 p., juin 1996, p.1-49, et annexes p.50-69.

8 Louis-Médéric-Elie Moreau de Saint-Méry, Description… de la partie française de l'Isle Saint-Domingue, Philadelphie, 1797, Paris, SHCF et Larose , 1958, II, 138-155.

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1 décembre 2024 7 01 /12 /décembre /2024 15:41
Extraits du cahier central d'illustration de l'ouvrage "Les traites et les esclavages. Perspectives historiques et contemporaines" (M. Cottias, E. Cunin, A. de Almeida Mendes), Kartahla-Ciresc, 2010

Extraits du cahier central d'illustration de l'ouvrage "Les traites et les esclavages. Perspectives historiques et contemporaines" (M. Cottias, E. Cunin, A. de Almeida Mendes), Kartahla-Ciresc, 2010

7e Rencontres atlantiques. Musées, mémoires et collections. Les sémiophores des traites et des esclavages, Bordeaux, Musée d’Aquitaine, 9-10 Mai 2019.
Communication inédite, non publiée par le co-organisateur Ciresc cinq ans après le colloque, première partie, 2e et 3e parties à suivre sur ce blog. 

 

Les vestiges d'habitations en Haïti :
médiatiser une collection patrimoniale à ciel ouvert

Introduction

Dans les campagnes haïtiennes, la première question que se posent entre eux deux zabitan1 (paysans) qui ne se connaissent pas est : Ki bitasyon nou soti ? (« De quelle habitation viens-tu ? »). Le complexe agro-industriel de la grande plantation connue aux Îles françaises d'Amérique sous le nom d’habitation2, à la fois entreprise rurale et petit village, est en effet aujourd’hui encore la première et plus petite unité pratique de vie, de référence et de reconnaissance de base, le véritable creuset de la société créole, premier lieu de l’élaboration historique de l’identité socio-culturelle spécifique des Îles.

Comme dans l’ensemble des sociétés créoles antillaises, qu’elles soient francophones, anglophones, ou hispanophones, la grande plantation fut, en effet, le cadre de vie, de mort et de travail quotidien de la majorité des esclaves – nègres à talents, le plus souvent créoles, ou nègres de houe, en grande majorité bossales. Elle a perduré longtemps après les abolitions de l’esclavage. L'habitation, dont la structure était répétitive, comprenait toujours des bâtiments d’habitation et d’exploitation, des terres et leurs plantations et des moyens de travail en hommes, des esclaves en l'occurrence pour la plupart mais aussi quelques cadres blancs ou de couleur, des animaux et des ustensiles. Au sommet de la hiérarchie du système régnait la grande sucrerie3.

Qu'on les qualifie de sémiophores, à l'image de Pomian ou Hartog qui les définissent comme objets patrimoniaux visibles investis de significations, voire de pyramides dans lesquelles Derrida voit le tombeau de l'âme4, les vestiges du système de plantation esclavagiste établi par la colonisation française en Haïti à travers ses nombreuses traces matérielles architecturales – plus de 8500 exploitations rurales (les habitations) et leur environnement bâti, routier, urbain, militaire et religieux – constituaient il y a encore quelques années dans la première république noire du monde un véritable conservatoire du patrimoine historique de l’économie esclavagiste du XVIII siècle, hautement signifiant et toujours largement visible, notamment dans les campagnes, mais de plus en plus souvent en état de péril imminent.

A ces habitations sont restés attachés dans la mémoire populaire les noms – parfois très légèrement déformés par la langue créole – des anciens colons propriétaires, ce qui les rend aisément identifiables à partir de la cartographie ancienne et des sources d'archives, telle l'Indemnité dite de Saint-Domingue, bien plus précises en général que les documents actuels. Ces vestiges d'habitations apparaissent subitement à intervalles réguliers au détour des routes, au-dessus des champs de cannes sous la forme d'un toit ou d'une haute tour qui, pour le voyageur quelque peu curieux et attentif, constituent de véritable sémaphores l'appelant à quitter la route principale pour s'enfoncer dans ce qu'on appelle significativement en Haïti le pays en dehors. C'est une véritable invitation à rechercher et connaître l'histoire de ce pays et de ce peuple si particuliers, notamment lorsqu'on est français et que l'on sait que la grande majorité des esclaves vivaient sur ces habitations rurales aux noms français, cœur de la vie haïtienne traditionnelle. C'est ainsi personnellement que s'est éveillée en moi vers la fin des années 1970 une vocation d'historien qui m'a ensuite accompagné pendant plus d'une quarantaine d'années5.

A l'origine donc est une prise de conscience à caractère quasiment muséographique. On peut en effet parler d'un véritable musée ou conservatoire à ciel ouvert hébergeant la plus importante collection mondiale d'objets visibles chargés de signification sur le sujet de l'esclavage, à laquelle l'Unesco et d'autres organismes internationaux se sont périodiquement et ponctuellement intéressés.

 

Etat des lieux : les vestiges de la société d’habitation coloniale en Haïti, un patrimoine mémoriel de l’esclavage en péril

Lorsqu'en 1989, dans le cadre de la commémoration du Bicentenaire de la Révolution française en Haïti, mes étudiants de l'ENARTS (Ecole Nationale des Arts d’Haïti) décidèrent de présenter à l'Institut Français d'Haïti au public de la capitale (Port-au-Prince) cette part méconnue du patrimoine national sous la forme d'une exposition de photographies réalisées par leur professeur autour d'une maquette de sucrerie, ils eurent à cœur de faire inscrire en frontispice sur un grand panneau à l'entrée de la salle : Les sucreries sont la sueur et le sang de nos aïeux : il faut les respecter. Cette formulation traduisait éloquemment le tout récent surgissement de la prise de conscience patrimoniale dans une fraction significative de l'élite urbaine. Elle faisait suite à un cours d'histoire de niveau licence que je dispensais en quatrième et dernière année d'études dans cet établissement national d'enseignement supérieur sous l'intitulé Histoire et Civilisations des Amériques et patrimoine national dans les premières années de la fondation de l'établissement en 1987.

Il n'existait pas alors d'autre enseignement ou formation similaires au sein de l'Université d’État d'Haïti ou ailleurs. Seule la Faculté d'Ethnologie s'était intéressée très ponctuellement au sujet dans les années 1960 sous l'impulsion du docteur Jean Price Mars, l'immortel auteur d'Ainsi parla l'Oncle, alors Recteur de l'Université, et ensuite de son Doyen, le docteur Jean-Baptiste Romain, auteur d'un ouvrage sur les noms de lieux historiques du Nord6, qui publiait notamment dans sa Revue de la Faculté d'Ethnologie quelques articles historiques du grand spécialiste français Gabriel Debien sur les sucreries Bréda et la caféière Dartis7.

A mon arrivée en Haïti en 1975, seuls quelques érudits, membres de la Société Haïtienne d'Histoire et de Géographie, les Frères de l'Instruction Chrétienne, notamment le Frère Lucien, bibliothécaire, l'ingénieur Albert Mangonès, Jean Fouchard, Kurt Fischer et Gérald Fombrun, avaient eu l'occasion de prendre quelques photos de ces vestiges d'habitations qui avaient tant impressionné l'ambassadeur de France Léon-Eugène-Aubin Coullard-Descos, auteur sous son nom de plume d’Eugène Aubin dans les premières années du XXe siècle d'un ouvrage illustré de 32 phototypies et deux cartes en couleur8.

Entre 1975 et 1990, à partir de repérages effectués dans des documents d’archives des XVIIIe et XIXe siècles suivis d’explorations et d’enquêtes d’archéologie industrielle de terrain, j'ai pu prendre plus de 2 500 clichés de vestiges de la société d’habitation coloniale esclavagiste de Saint-Domingue et de son environnement urbain, militaire, religieux ou naturel, afin de tenter de garder trace d’un patrimoine menacé.

Ces clichés concernent, pour ce qui est des habitations, d'abord les sucreries (40% de toute la fortune coloniale avec 900 unités de production sur seulement 14% des terres, dans les grandes plaines), les plus prestigieuses, sources des plus grandes fortunes, y compris pour une élite d'hommes de couleur, avec des ateliers de centaines d’esclaves (2 à 300 en moyenne et jusqu'à plus d'un millier), et un investissement en matériel élevé dans un cadre dont les plans, gravures et inventaires d'époque, et surtout les vestiges actuels disséminés dans les campagnes haïtiennes, révèlent l’organisation immuable entre bâtiments d’exploitation et d’habitation : au vent, au bout de la grande allée ouverte par un portail monumental à deux ou quatre piliers et grille en fer forgé, la Grand-case [maison de maître] en position dominante dans son enclos, avec ses annexes et dépendances (cuisine, poulailler, jardin, entrepôts, remises, cases des domestiques…) ; au devant, la savane (ou « la cour ») où paissent les bêtes ; plus loin, sous le vent, pour éviter aux maîtres bruits, odeurs et risques d’incendie, les installations industrielles (aqueducs, moulins, sucreries, purgeries, étuves…), puis le quartier des esclaves ; le tout entouré de terres réservées aux plantations de la denrée exportable (la canne à sucre) et de vivres alimentaires pour l’atelier (bananes, manioc, riz, patates…). D'autres clichés concernent ensuite les caféteries du front pionnier des mornes (les hauteurs, elles étaient plus de 3 000 à Saint-Domingue, occupant 60% des terres cultivées, avec parfois très peu d'esclaves), aux mains le plus souvent des nouveaux arrivants de la classe des Petits-Blancs les moins fortunés et des Hommes de couleur. Mais les Grands-Blancs ne négligeaient pas d'investir dans ce secteur en complément des revenus de leurs sucreries ou en dotant leurs fils illégitimes dans ces quartiers reculés. Viennent ensuite les cotonneries, souvent associées aux indigoteries (environ 3 000 chaque), en zones arides, autrefois première source d'établissement pour les anciens habitants, mais dont très peu de vestiges subsistent, à l'exception des bassins, étant généralement en bois. Il n'y avait plus de cacaoyères à Saint-Domingue depuis leur destruction par la dernière grande tempête, à l'inverse des Petites Antilles, et l'on ne voit plus de traces des briqueteries, poteries et places à vivres. Mais il reste bon nombre de guildiveries, compléments naturels des sucreries qui fabriquaient le tafia, aujourd'hui clairin, obtenu en distillant les résidus de la fabrication du sucre (mélasses, écumes), et quelques chaufourneries (pour fournir la chaux des constructions). Très rarement enfin trouve-t-on des hangars à sécher le tabac, comme sur l’habitation Gérard dans la plaine des Cayes.

Sur toutes les habitations, la hiérarchie servile passait des domestiques de la Grand-Case, au contact direct du maître, souvent mulâtres, et des ouvriers spécialisés, dits nègres à talents, souvent créoles, aux nouveaux venus d'Afrique, nommés bossales, et aux femmes, affectés aux travaux agricoles des champs, les plus pénibles, comme la coupe de la canne, ou répétitifs (cueillette, ramassage, sarclage, amarrage…), sous les noms de « nègres de jardin » ou « de houe ». Pour résumer, on doit se souvenir, dans ce qui a trait essentiellement aux éléments de composantes sociales qui en résultent pour l'ensemble des classes de la société coloniale, que l'organisation reposait entièrement, rappelons-le, sur le principe intangible du « préjugé de couleur » concrétisé en une structure pyramidale allant du Blanc, unique régnicole (seul possesseur de l'ensemble des droits de sujets du royaume), au Noir ou Mulâtre esclave (régi par un code royal particulier relatif à la police des habitations, dit Code Noir) en passant par la classe intermédiaire des Libres de couleur, pourvus de droits économiques mais non politiques et ne pouvant jamais accéder, quelle que soit leur nuance, à la qualité première de Blancs.

Tous ces clichés apportent, dans le détail des observations que l'on peut faire en les étudiant, d'indubitables témoignages de vie sur des points souvent méconnus du quotidien des esclaves. On pourrait se demander, par exemple, pourquoi on voit tant de manchots dans les inventaires de sucreries. Et dans les cases à moulins subsistantes, un peu partout, une petite niche pratiquée au coin de deux des quatre murs. Interrogés sur son utilité, quelques anciens pouvaient encore répondre qu'il s'agissait de la plas koutla, c'est-à-dire un endroit où l'on laissait en permanence une machette pour intervenir d'urgence en coupant la main ou le bras pris dans les rôles du moulin. De même, l'escalier que l'on voit au bout de la dalle de l'aqueduc, juste avant le déversoir, mène à une écluse que l'on doit fermer le plus rapidement possible pour arrêter l'alimentation en haut et donc la marche du moulin en cas d'accident de ce type.

Ces accidents arrivaient souvent la nuit avec la fatigue des équipes qui travaillaient en continu par quarts (une fois coupée la canne s'aigrissait en trois jours) et, surtout, au moment où l’on repliait la canne à la sortie du premier pressage pour la passer une seconde fois entre les rôles afin de bien exprimer tout le suc. Les rôles et la machinerie étaient d'ailleurs sur un socle en maçonne assez élevé comme on le voyait encore sur les trois dernières sucreries fonctionnant à l'ancienne dans les années 80 (Pivert, Guillon, Delugé). La question primordiale de l'aération dans ces climats chauds était réglée par trois grandes portes dans les cases à moulin carrées en plus de l'espace ouvert de la Grande Roue, et dans les sucreries par de très beaux doubles toits qui servaient aussi à évacuer la fumée par courant d'air. Une grand ingéniosité présidait enfin aux systèmes d'irrigation par prises d'eau, bassins de distributions, portes-écluses et canaux cimentés, et dans les champs, par un arrosage en carrés limités par des levées ou butées de terre que l'on ouvrait successivement dans a pente (système toujours en cours). Le maître arroseur était un personnage important de l'atelier, autant que le vannier municipal aujourd'hui. La longueur et la pente des aqueducs était fonction de la l'éloignement de la prise d'eau.

On apprend beaucoup sur les conditions de logement lorsqu'on la chance de trouver des bâtiments en dur, sur les caféières notamment en raison du froid et de l'humidité (à Guibert trois rangées de cases bien alignées, avec pignons), ou, très rarement en plaine (comme à Pémerles, une suite horizontale de cases cimentées avec fontaine à l'entrée). Lorsqu'on met en rapport le nombre d'esclaves et celui des cases, on trouve souvent qu'elles n'hébergeaient pas plus de 4 à 5 personnes. En dur également, de belles étuves d’allure particulièrement soignée, souvent doubles et toujours circulaires à l'intérieur quelle que soit la forme extérieure (bel ensemble à fronton à Meyer/Le Meilleur, toit intact à Dargout).

Il existe encore de nos jours dans les campagnes une sorte de sacralisation (ou d'effroi sacré) de ces constructions industrielles, principalement les fosses et taillevannes (canal d’échappement) des moulins (où vivrait le gros poisson « Lorela » à Duplà au Qaurtier-Morin) et les aqueducs (à Dargout, par exemple, de petites bouteilles d'eau colorée dans la dalle supérieure) qui sont devenus des lieux de « services » vaudous (cérémonies), voire de sacrifices de petits animaux (vu au moulin à bêtes de Lilavois en plaine du Cul-de-Sac), ou les étuves (à La Ferronnays, au Bassin Général), repères d'abeilles dont seuls ceux qui ont un pwen (pouvoir magique) peuvent retirer le miel, comme j'ai pu le voir en plusieurs endroits endroits. Les habitants nomment ces lieux mazi ou vyé bagay ansyen testaman là kot ansyen blan yo yo té kànn roulé kann (« de vielles choses [ou « masures », ruines] de l'ancien testament où les anciens Blancs pressaient la canne »). Certains anciens connaissent encore le nom de quelques ustensiles de sucrerie, l'un d'eux m'a même montré un jour en reproduisant le geste ancestral, comment on transvasait le sirop d'une chaudière à l'autre après l'avoir écumé avec la grande cuillère de bois que l'on maniait comme un rame. Les termes techniques anciens ont souvent subsisté (vesou, pour jus de canne ; rouler, pour passer la canne au moulin ; biter, pour élever une butée pour l’arrosage…) mais le nom traditionnel de chacune des six chaudières de l'équipage classique d’autrefois s'est perdu (la Grande, la Propre, le Flambeau, la Lessive, le Sirop, la Batterie). Toutefois, le nom du premier produit, sirop, voire sirop batterie à la Martinique, est resté en usage.

Certains édifices restent mystérieux, comme ce bâtiment bas voûté tout en longueur de l'habitation Dumay (anciennement Drouillard) que l'on a pu confondre longtemps avec le cachot de l'habitation Douillard Mahaudière à la Guadeloupe dont la gravure avait été publiée à l'occasion du procès du propriétaire qui y avait tenu aux fers pendant 22 mois sa domestique esclave Lucile accusée d'avoir empoisonné sa femme (gravure reproduite dans Au Temps des Isles à Sucre). Faut-il voir aussi des cachots dans deux petits bâtiments accolés de l'habitation Fleuriau difficiles à identifier ? Ou plutôt les restes du soubassement de la Grand-case primitive que l'on voit sur le plan de 1753 ? De même, la tourelle de la sucrerie voisine Caradeux adossée à l'aqueduc servait-elle comme on le dit à la surveillance des esclaves ? Le très beau pilier à l'arrière de la Grand-Case de Châteaublond est-il la trace d'une ancienne entrée à l'opposé de l'actuelle ? Tous ces bâtiments sont dans la plaine du Cul-de-Sac.

On peut être assuré, en revanche, que la pierre taillée dressée près du moulin Fleuriau, en pleine  cour, laissant voir l'emplacement d'une plaque arrachée est, plutôt qu'une borne en cet endroit, la stèle funéraire du gérant Rasseteau empoisonné en 1777 par des esclaves. Les plaques de marbre coloniales des cimetières ont été généralement retournées pour être réutilisées (vieux cimetière de Caradeux), mais le mausolée du Gouverneur Victor-Thérèse Charpentier d'Ennery est resté intact en ville dans l'ancien Cimetière Intérieur de la place Sainte-Anne.

En dehors des vestiges historiques urbains ou militaires, les ruines des quelque 8 500 habitations coloniales – le plus important réseau d’exploitation des Antilles – constituaient encore alors il y a peu un patrimoine d’une exceptionnelle richesse qui nécessitait protection car il était très menacé et fragilisé par les déprédations climatiques (ouragans, pluies, séismes…) et humaines (pillage des pierres de construction).

Se sont posées dès lors les habituelles questions liées ordinairement à la problématique muséale en termes de soucis de conservation, fixation, restauration, historisation, médiation, transmission, diffusion… pour que ces biens culturels de la catégorie des monuments historiques, très exposés, puissent, en devenant patrimoniaux, assurer leur rôle de lien avec le passé. Mais quid aujourd’hui ?

1 Ce terme créole désignait au XVIII siècle à Saint-Domingue un grand propriétaire terrien possesseur d’une habitation alors qu’aujourd’hui en Haïti, il s’applique (non sans quelque fierté à la campagne mais de manière plutôt péjorative en ville) au plus modeste paysan.

2 L’emploi de ce terme est le seul convenable en français, celui de plantation (plutôt américain, l’anglais classique préférant celui d’estate) ne correspondant en français qu’à une partie de l’ensemble, celle qui est cultivée.

3 Pour plus de détails, voir Jacques de Cauna, « Aperçus sur le système des habitations aux Antilles françaises. Vestiges architecturaux et empreinte aquitaine en Haïti (ancienne Saint-Domingue) », dans dir. Ch. Lerat, Le Monde caraïbe. Echanges transatlantiques et horizons post-coloniaux, Pessac, MSHA, 2003, p. 133-152.

4 Krzysztof Pomian, Musée archéologique : art, nature, histoire, Le Débat, vol. 49, no. 2, 1988, pp. 57-68, Musées et patrimoines, dans Patrimoines en folie (dir. Henri Pierre Jouly), Ed. MSH Paris, 1990, 3 partie, p. 177-198, François Hartog, Régimes d'historicité. Présentisme et expériences du temps, Ed. Seuil, 2003, p. 166, Jacques Derrida, Le puits et la pyramide, Marges de la philosophie, Paris, Minuit, 1972, p. 81-94.

5 Voir, en matière de bilan d'étape jusqu'en 2015, Jacques de Cauna, Fleuriau, La Rochelle et l'esclavage. Trente-cinq ans de mémoire et d'histoire, Paris, Les Indes Savantes, 2017.

6 Dr J.-B. Romain, Noms de lieux d'époque coloniale en Haïti, essai sur la toponymie du nord à l'usage des étudiants, Port-au-Prince, Imprimerie de l'Etat, 1960.

7 Gabriel Debien La sucrerie Bréda du Haut-du-Cap, 1785, Revue de la Faculté d'Ethnologie, Port-au-Prince, Imp. de l’État, n° 10, 1965, Sucrerie Bréda de la Plaine-du-Nord, Id. n° 11, 1966, Une caféière-résidence [Dartis] aux Grands-Bois, Id., n° 6, 1961.

8 Eugène Aubin [Léon Descos], En Haïti : Planteurs d'autrefois, nègres d'aujourd'hui, Paris, Armand Colin, 1910.

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22 novembre 2024 5 22 /11 /novembre /2024 10:52
Vue d'une habitation. Couverture d'Au Temps des Isles à Sucre © J. de Cauna, 1987.

Vue d'une habitation. Couverture d'Au Temps des Isles à Sucre © J. de Cauna, 1987.

Les vestiges d’habitations en Haïti :
médiatiser une collection patrimoniale à ciel ouvert
Extrait du colloque Musées, mémoires et collections. Les sémiophores des traites et des esclavages, 7e Rencontres atlantiques, Bordeaux, Musée d’Aquitaine, 9-10 Mai 2019.

Communication inédite, non publiée par le co-organisateur Ciresc cinq ans après le colloque, 3e partie (voir les 1e et 2e parties sur ce blog).

Résumé partiel des deux premières parties

Devant les dégradations générales et surtout les disparitions totales dont seule l'iconographie, et sa composante contemporaine photographique, peuvent encore aujourd'hui laisser trace et témoigner, il revient, ou reviendra, peut-être à la dématérialisation des supports obtenue par les moyens technologiques actuels d'assurer la transmission mémorielle et la circulation de ces sémiophores sous une forme visuelle. La numérisation et la mise en ligne sur le site du CIRESC d'une partie d’un important fonds photographique (le Fonds Jacques de Cauna) a été un premier pas dans le sens d'une nécessaire substitution conservatoire à ce qui a pu déjà matériellement disparaître sur le terrain. Son relais muséal, impératif pour la transmission, existait au Musée d’Aquitaine sous la forme d’une borne pédagogique interactive très résumée dans laquelle je présentais le cadre de vie de la grande majorité des esclaves sur les plantations. On pouvait donc penser encore il y a quelques années que cette première évolution se poursuivrait dans le bon sens. Ce fut tout le contraire qui se produisit.

III- Postérité et perspectives. La médiatisation de la photographie comme trace ultime et sémiophore

Il me faut revenir plus en détail sur les deux avancées majeures dans la médiatisation du fonds photographique qui étaient donc à relever dans les dernières années : la borne relayée par la maquette d'habitation du Musée d'Aquitaine et la mise en ligne du Fonds Jacques de Cauna sur le site du CIRESC par le Cnrs.

En 2008, lorsqu'il s'est agi de représenter la vie des esclaves aux Iles dans un cadre muséal, nous avons été amenés à réaliser la maquette d’une grande sucrerie de Saint-Domingue dans la troisième salle de l’exposition permanente Bordeaux au XVIIe siècle, le commerce atlantique et l’esclavage présentée en commémoration nationale de la journée de mémoire de l’esclavage du 10 mai 2009 au Musée d’Aquitaine choisi cette année-là pour lieu de cérémonie officielle en présence de trois ministres. Cette troisième salle, consacrée à la vie quotidienne aux Îles a été intitulée L’Eldorado des Aquitains – d'après le titre à double entente d'un de mes ouvrages1 – présente St-Domingue, la plus importante, des « îles à sucre » antillaises2.

L'objectif central était de présenter de la manière la plus réaliste possible l'une de ces unités de production, éléments interchangeables d’un même système, qui constituaient le cadre de vie quotidien de la grande majorité des esclaves dont la journée suivait immuablement le même cours, du lever au coucher du soleil avec une simple interruption du travail d’une heure ou deux pour déjeuner. Cette maquette, qui s’inscrit donc dans une démarche historique plus générale, a été réalisée à partir du plan original de la sucrerie Nolivos à la Croix-des-Bouquets (Saint-Domingue, 1774)3 retrouvé il y a quelques années dans le grenier d’une villa de Pau et s'est appuyée sur les photographies des vestiges de sucreries du même type présentés en diaporama sur une borne au Musée derrière la maquette. Le document-source, l'un de ces plans détaillés que les propriétaires avaient coutume de faire dresser pour tenter de suivre au mieux la gestion de leurs biens en leur absence, avait été réalisé trois ans après le départ pour la France du propriétaire, l’ancien gouverneur béarnais de la Guadeloupe, Pierre-Gédéon de Nolivos, chevalier de Saint-Louis, créole de Saint-Domingue, né à Léogane comme sa mère et ancien flibustier. Alors même qu'il n'existait plus de vestiges sur le site en Haïti, comme c'est souvent le cas, les documents familiaux d'archives à Pau et les inventaires conservés aux Archives nationales permettaient de préciser encore bon nombre d'éléments4. Ce qui n’a pu être représenté visuellement, c’est-à-dire la réalité matérielle des conditions de vie quotidiennes des esclaves sur cette plantation, a été évoqué dans le catalogue de l’exposition5 à partir des deux inventaires existants de l’atelier en 1792 et 1796 et d’analyses comparatives avec d’autres grandes sucreries étudiées par ailleurs. Il s'agissait donc bien de profiter de cette expérience de terrain pour atteindre, au-delà d’un réel héritage mémoriel toujours ressenti comme tel en Haïti (des services loas vaudou ont lieu dans les ruines, comme nous avons pu le constater fréquemment), la plus grande authenticité historique en partant d’un document d’archives, source sinon la plus incontestable (un plan peut présenter certaines dissonances avec la réalité « de terrain » achevée), du moins la plus sûre, et en croisant ensuite ces données avec des photographies de terrain prises au cours d’un long séjour d’une quinzaine d’années en Haïti qui a permis de visiter plus de trois cents sites d’habitations6.

La seule concession que nous avons dû faire tient aux difficultés d'échelle dont une représentation exacte aurait écrasé la taille des bâtiments, personnages et détails dans un trop grand espace, rendant l'ensemble illisible. Un moyen terme proportionnel a donc été adopté pour éviter d’aboutir à l’excessive déformation que l’on peut constater par exemple dans la maquette présentée au musée de Liverpool où les bâtiments occupent quasiment tout l’espace qui prend très nettement dès lors un aspect concentrationnaire, d’autant plus qu’une couleur monochrome ocre a été utilisée. Cet aspect est d’ailleurs bien en accord avec l’optique « mémorielle » et donc émotionnelle choisie dans ce musée qui encadre en outre la maquette d’images en provenance de documents répandus à l’époque par la propagande abolitionniste anglaise de la Société des Amis des Noirs dans un objectif affiché de sensibilisation des esprits par la dramatisation.

Un autre accommodement nécessaire avec la réalité historique a été l’adjonction d’un aqueduc et d’un moulin hydraulique (sur le modèle de la sucrerie voisine Digneron) qui sont des éléments novateurs caractéristiques des grandes sucreries au XVIIIe siècle mais qui n’existaient pas sur l’habitation Nolivos située en zone semi-aride dépourvue d’adduction d’eau. De même, les parcelles consacrées aux vivres communs signalées dans les inventaires mais ne figurant pas sur le plan, ont été représentées à leur emplacement logique, au pied des mornes, derrière l’enclos de la Grand-Case pour éviter les vols nocturnes. Mais nous n'avons pas restitué les lopins particuliers des esclaves qu'on trouvaient souvent autour ou auprès de leurs cases, ni leur cimetière, situé généralement derrière l'aqueduc (comme à Delugé), dans l’ignorance où nous étions de la réalité de leur emplacement. Nous avons enfin choisi pour arrière-plan le décor naturel d'un paysage de « mornes » antillais représenté dans une gravure de la collection Chatillon qui présentait en outre l’avantage de fournir des indications de couleur

L'ensemble des éléments réunis permet de répondre au mieux aux questions que peut se poser un large public ne connaissant pas obligatoirement les conditions actuelles de vie aux Antilles sur ce qu'a pu être la vie quotidienne sur les habitations. Le diaporama à caractère pédagogique qui accompagne la maquette mériterait d'être projeté en boucle sur un grand écran plutôt que confiné sur une borne peu visible et n'autorisant au mieux que l'accessibilité simultanée de deux ou trois personnes.

La borne interactive intitulée « Le cadre de vie des esclaves au quotidien » complétait avantageusement la maquette par une variété de vues de vestiges de plantations immédiatement et rapidement accessibles qui correspondait à un résumé des photographies du Fonds Jacques de Cauna.

Il me faut revenir sur le second élément dont je vais devoir malheureusement parler au passé en raison de sa disparition inattendue que j’ai évoquée plus haut, ce qui permettra tout de même d’en apprécier l’importance de manière détaillée. A Partir de 2009, dans le cadre de mon rattachement au Ciresc (Centre International de Recherche sur les Esclavages) comme membre du Conseil scientifique et avec l'appui technique du CNRS-Images, la numérisation générale et la mise en ligne partielle du fonds photographique, sous le nom de Fonds Jacques de Cauna par lequel on y accédait, fut l'une des retombées correspondant à la démarche qui avait présidé à la présentation faite au Musée d'Aquitaine et une importante avancée dans la diffusion. Une présentation d'une page en précisait les principales données. Trois cents des clichés pris en Haïti et numérisés à Paris avaient été sélectionnés pour être positionnés par quartiers dans la mise en ligne sur la carte de l’Isle de Saint-Domingue Partie Françoise ou Hayti, 1789, revue et corrigée en 1804, par Delvaux, afin que l’on puisse localiser chaque site et chaque ruine de ces habitations qui ont produit la plus grande richesse coloniale de l’époque moderne.

La répartition géographique comprenait cinq subdivisions : Partie du Nord, Partie de l'Ouest, Plaine du Cul-de-Sac, Port-au-Prince et environs, Partie du Sud par lesquelles on accédait en cliquant au détail des quartiers concernés dont certains avaient été regroupés. On ouvrait chaque regroupement en cliquant à nouveau sur un point rouge situant les lieux sur la carte et on accédait ainsi à un album de quelques pages dont chacune présentait une photo commentée, expliquée et repérée par sa cote dans le fonds qui comprenait environ 1 500 clichés au départ et qui continue aujourd’hui à s'enrichir.

Pour la première rubrique, celle de la Partie du Nord par exemple, on trouvait dans l'ordre onze photos de sites historiques : Bréda (dernier pan de mur de la sucrerie lieu de naissance de Toussaint Louverture), Vertières (ruines de la Grand-Case et fontaine monumentale de ce site de la dernière bataille pour l'Indépendance), Charrier (vestiges d'un palais et d'une fortification de la ligne de défense du Cap), La Voûte (Grand-Case réservée et réservoir d'eau), Ducommun, (remarquable fontaine 18 s.), Dhéricourt (portail et Grand-Case d'une grande sucrerie affermée par Toussaint), Lenormand de Mézy (site improprement appelée « Bois-Caïman »), Vaudreuil (portail remarquable).

La Plaine du Cul-de-Sac constituait à elle seule une partie entière (la 3) en raison du très grand nombre de références due à son antériorité et proximité. Cinq quartiers avaient été retenus, d'Ouest en Est, selon une logique de progression dans la découverte, à partir du plan général conservé dans les archives Fleuriau : Bellevue, Petit-Bois, La Grande Raque, les Varreux, le Grande Plaine. A titre d'exemple, on y trouvait 36 clichés pour le seul quartier des Petits-Bois.

Dans la partie consacrée à la capitale (la 4), ont été introduits des éléments d'aménagement et d'architecture urbaine couplés à des plans anciens et des cartes et vues du Recueil de Ponce, des monuments historiques, des fortifications, des photos des tombeaux subsistants de l'ancien Cimetière Intérieur. On y trouvera par exemple les fontaines, escaliers et terrasses de la Promenade de l'Intendance, l'ancienne église paroissiale détruite par l'incendie criminel du 7 janvier 1991 pour son bicentenaire, la dernière aile de l'hôtel de la Marine abattu en 1980, la nouvelle cathédrale détruite par le séisme du 12 janvier 2010, la statue de Christophe Colomb jetée à la mer en 1992 par les émeutiers, la statue équestre de l'empereur Dessalines, fondateur de l'indépendance, le portrait en pied de Toussaint Louverture après son arrestation à Brest, dont l'original a disparu dans le séisme de 2010, l'empereur Faustin Ier Soulouque en pied en habit de sacre, le portrait du premier président Alexandre Pétion, fils d’un Bordelais, et celui du premier maire de Port-au-Prince, le Basque Michel-Joseph Leremboure.

Cette rapide incursion dans le Fonds Jacques de Cauna tel qu'il se présentait ainsi mis en ligne permet de se faire une idée de l'ensemble et de constater qu'il ne se limitait pas seulement aux vestiges architecturaux des habitations mais ouvrait plus largement sur ce qu'il est convenu d'appeler la société d'habitation, c'est-à-dire l'ensemble des éléments de tous ordres qui peuvent s'y rattacher : naturels, géographiques, historiques, sociaux, ethnologiques, anthropologiques, artistiques… Tel quel, aujourd’hui hors ligne, il reste à ce titre d'abord un outil de connaissance que rien ne peut remplacer et on ne peut que déplorer la regrettable disparition de la présentation en ligne pour des motifs obscurs.

Ces clichés, qui restent toutefois en ma possession et sur l’exploitation desquels il faudra rester vigilants, témoignent de l’histoire des plantations esclavagistes. Mais aussi, compte-tenu de la rapide disparition depuis quelques années de ces bâtiments et de leur quasi inaccessibilité actuelle, ils constituent tels quels un sauvetage virtuel de ce patrimoine historique et mémoriel qui devrait à son tour être préservé. Il resterait alors, dans la perspective d'une médiatisation idéale, après récupération de la première mouture, plusieurs années de travail à soutenir pour établir un inventaire précis de l'ensemble du fonds (avec table de concordance des clichés et des noms) et sa totale mise en ligne. A cet outil pourrait être associé le dépôt d'un important fonds de documentation dans une bibliothèque appropriée, en France ou en Amérique, dans une Université ou un Musée permettant l'accueil d'étudiants, la poursuite des recherches et l'enrichissement du fonds.

Conclusion

A une époque récente pouvaient encore se poser les habituelles questions liées ordinairement à la problématique muséale en termes de soucis de conservation, fixation, restauration, historisation, médiation, transmission, diffusion… pour que ces biens culturels de la catégorie des monuments historiques que sont les habitations, très exposés, puissent en devenant patrimoniaux assurer leur rôle de lien avec le passé. Telle n'est plus la situation aujourd'hui.

Les fortes avancées des premiers travaux publiés d'archéologie industrielle dans les années 1970-1990 n'ont pas suffi à mener vers l'objectif primitif de préservation difficilement tenable. Les aléas de la conjoncture globale ont ensuite gravement entravé ce mouvement, peu perceptible aujourd'hui. Devant les dégradations générales et surtout les disparitions totales dont seule la photographie peut encore aujourd'hui laisser trace et témoigner, il revient, ou reviendra, peut-être à la dématérialisation des supports obtenue par les moyens technologiques actuels d'assurer la transmission et la circulation de ces sémiophores sous une forme visuelle. La numérisation du fonds photographique par le CNRS a été un premier pas dans le sens d'une nécessaire substitution conservatoire. Son relais muséal reste impératif pour la transmission.

L'objet photographié, l'habitation, peut être assimilé à ces anciennes usines qui ont perdu leur fonction utilitaire pour en acquérir une nouvelle, de l'ordre du signifiant. Il s'agit de renvoyer à un passé disparu (celui du temps colonial) qui réfère à une réalité devenue invisible (l'esclavage colonial). En visitant virtuellement la trace laissée fidèlement par la photographie, ou la reconstitution présentée à partir de cette trace dans son authenticité d'une époque datée – avec, il est vrai, l'aide ponctuelle de sources écrites et d'autres éléments iconographiques telles les gravures d'époque lorsque c'est nécessaire – on peut s'instruire au plus près, assimiler des connaissances objectives sur les anciens outils d'exploitation, les anciennes techniques, les conditions de travail et les réalités de la vie quotidienne sur lesquels on pourra alors exprimer ses sentiments et ses convictions de manière étayée puisque le choix des éléments présentés et leur mise en scène sont censés reposer en principe sur une volonté de validation intersubjective par l'histoire (comités scientifiques des musées) et non uniquement par des questions de goût ou de plaisir esthétique subjectives liées à des états psychologiques et des perceptions individuelles, voire à des questions d'intérêt personnel ou collectif ou même des idéologies officielles.

Au-delà des questions de conservation, restauration, recherche, enseignement, il s'agit de s'inscrire dans un mouvement qui remplace de plus en plus une attitude religieuse (sacrée, morale) et esthétique par une attitude historique et scientifique, fondement d'une vraie connaissance.

Pr. Jacques de Cauna, docteur d’État (Sorbonne) HDR (Université Antilles-Guyane), Professeur honoraire de l’Université de Pau et des Pays de l’Adour, et des Universités d’État d’Haïti (Enarts), des West Indies, de Bordeaux, Chaire CNRS d’Haïti à Bordeaux.

1 Jacques de Cauna, L'Eldorado des Aquitains. Gascons Basques et Béarnais aux Îles d'Amérique, 17e-18 s., Biarritz, Atlantica, 1998, prix de l’Académie Nationale des Belles-Lettres, Sciences et Arts de Bordeaux.

2 Cette expression, devenue peu à peu classique, a pour origine un autre de mes ouvrages issu de ma première thèse et traitant de la vie quotidienne sur une grande habitation de Saint-Domingue : Jacques de Cauna, Au Temps des Isles à Sucre. Histoire d’une plantation de Saint-Domingue au 18 siècle, Paris, Karthala, 1987 (prix de l’Académie des Sciences d’Outre-Mer, réédition en 2003) qui a inspiré le prix Renaudot 1998 (Dominique Bona, Le manuscrit de Port-Ebène, Paris, Grasset).

3 Archives Nolivos, fonds privé, Plan général de l’habitation de Monsieur le Comte de Nolivos, commandeur de l’Ordre militaire de Saint-Louis, maréchal des camps et Armées du Roy, ancien Gouverneur Lieutenat-Général pour sa Majesté des Isles françaises de l’Amérique sous le vent, scize Isle de Saint-Domingue, plaine du Cul-de-Sac, paroisse de la Croix des Bouquets, quatre lieues de Port-au-Prince, levé dans le courant du mois de décembre de l’année 1774.

4 Pour plus de détails, voir Jacques de Cauna, L’habitation d’un Béarnais à Saint-Domingue : la sucrerie Nolivos à la Croix-des Bouquets, Revue de Pau et du Béarn, 1985, n° 12, p. 213-232.

5 François Hubert, Jacques de Cauna, Christian Block, Bordeaux au XVIIIe siècle. Le commerce atlantique et l’esclavage / Bordeaux in the 18th century, trans-atlantic trading and slavery), Bordeaux, Ed. Le Festin, 2010.

6 Pour plus de détails, notamment sur les principaux sites visités et la méthodologie qui a sous-tendu ce travail, voir J. de Cauna, « Aperçus sur le système… », op. cit.

7 Pour plus de détails voir en ligne, Jacques de Cauna, « Patrimoine et mémoire de l’esclavage en Haïti : les vestiges de la société d’habitation coloniale », In Situ, 20 | 2013, op. cit.. URL : http://journals.openedition.org/insitu/10107 ; DOI : 10.4000/insitu.10107. Cette communication au colloque international Les patrimoines de la traite négrière et de l'esclavage organisé à La Rochelle par la Direction générale des patrimoines du Ministère de la Culture et de la Communication et l'Université de La Rochelle les 27, 28 et 29 avril 2011, reprend notamment celle donnée au colloque international des 7-8 décembre 2001 sous le titre « Aperçus sur le système des habitations aux Antilles françaises. Vestiges architecturaux et empreinte aquitaine en Haïti (ancienne Saint-Domingue) », dans le cadre du PPF Caraïbe Plurielle de l'Univerité de Bordeaux III, publiée dans Le monde caraïbe. Echanges transatlantiques et horizons post-coloniaux (dir. Christian Lerat), MSHA Bordeaux, 2002, p. 133-152. On trouvera une version en langue anglaise de cette dernière dans une autre communication présentée lors d'un autre colloque international en juin 2004 à la Brown University, Providence, Rhode Island (USA) sous le titre « Vestiges of the Built Landscape of Pre-revolutionnary Saint-Domingue », p. 21-48, iconographie (16), et publiée dans The world of the Haïtian Revolution, edited by David Geggus and Norman Fiering (John Carter Brown Library, Boston), coll. Blacks in diaspora, Indiana University Press, Bloomington (USA), 2009.

8 Je tiens à rendre hommage ici sur ce point à l’excellent travail mené par les spécialistes de l’équipe du CNRS Images Véronique Ikabanga et Frédéric Eckly dans la meilleure atmosphère de confiance et efficacité.

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18 octobre 2024 5 18 /10 /octobre /2024 15:44
Habitation Torcelles au Boucassin, la case à  moulin avant 1980 © Fonds Jacques de Cauna. Cette petite sucrerie avait appartenu au président Boyer.

Habitation Torcelles au Boucassin, la case à moulin avant 1980 © Fonds Jacques de Cauna. Cette petite sucrerie avait appartenu au président Boyer.

Habitation Torcelle après l’incendie © Fonds Jacques de Cauna.

Habitation Torcelle après l’incendie © Fonds Jacques de Cauna.

C'est en apercevant le très beau toit de tuile de ce bâtiment colonial au milieu des cannes à sucre qui bordaient la route nationale n° 1 dans le quartier du Boucassin à l'Arcahaye que mon intérêt pour les vestiges d'habitations s'est éveillé et a connu un début de mise en oeuvre d'une recherche systématique avec la publication d'articles accompagnés de photos sur le sujet dans Conjonction, Revue de l’Institut Français d’Haïti sous le titre "Vestiges de sucreries dans la plaine du Cul-de-Sac" (Port-au-Prince, 1981, n° 149, p. 63-104, part. 1, et part. 2, n° 1985, n°165, p. 4-32.). Articles complétés un peu plus tard par une diffusion plus large dans la Revue de la Société Haïtienne d’Histoire et de Géographie, juin 1986, no. 151, p. 75-78, sous le titre "Les vestiges de la colonie française de Saint-Domingue", et dans une revue belge de l'Université de Liège, sous le titre  "Architecture coloniale : Haïti, des richesses à découvrir", Art et Facts,, 1988, n° 7, p.58-65. De nombreuses communications et publications sur le sujet ont suivi, dont on trouvera la liste dans les pages de ce blog consacrées à mes publications, jusqu'au dernier point qui a été fait pour le grand colloque sur Les Patrimoines de la Traite et de l'esclavage tenu à l'Université de La Rochelle sous les auspices du Ministère du Tourisme dans ma communication publiée par sa revue In Situ n° 20, 2013, sous le titre "Patrimoine et mémoire de l’esclavage en Haïti : les vestiges de la société d’habitation coloniale en Haïti" que l'on pourra consulter en ligne.

Les deux images ci-dessus donnent une idée de la rapidité de disparition des vestiges historiques en Haïti. Les livrets numériques du Fonds Jacques de Cauna retirés sans le prévenir du site du CIRESC présentaient 500 photos légendées et regroupées par régions et quartiers, de sorte qu’on pouvait avoir immédiatement, en quelques clics, une vue générale des principaux vestiges de l’architecture coloniale dominguoise dans une localisation précise. Par exemple : Région Sud, Plateau du Rochelois (des caféières essentiellement), ou Région Nord, Quartier-Morin (près du Cap), de grandes sucreries, devenues parfois des palais christophiens, ou encore, un peu partout, des fortifications (Fort Picolet au Cap, fort Nolivos à l’Acul du Petit-Goâve...), des statues de personnages historiques, des églises (l’ancienne cathédrale de Port-au-Prince, construite en 1771, incendiée en 1991), des tombes (Cimetière intérieur de Port-au-Prince), des sites historiques (le Bois-Caïman), des ponts (Bréda du Haut-du-Cap), etc..., etc.

Plus d’un an et demi après ma première réclamation et après deux mois de relance faits récemment aux organismes institutionnels français impliqués dans la constitution puis la disparition de ces livrets numériques de présentation au public (voir les alertes précédentes sur ce blog), je n’ai malheureusement rien de positif à rapporter en matière de réponse, ni du CIRESC, ni du CNRS, à ce jour.

Cette situation de blocage incompréhensible depuis un an et demi d'un travail de quinze années qui n'appartient qu'à son auteur est inadmissible de la part de services publics français et préjudiciable à l'ensemble de la communauté scientifique internationale, et plus particulièrement en Haïti où elle constitue une lourde perte au moment même où des travaux importants sur le sujet sont en cours de développement.

Il n'est pas question qu'elle puisse perdurer ainsi. Tout devra être fait pour y remédier. De nombreux collègues ont déjà manifesté leur mécontentement et leur soutien. 

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17 septembre 2024 2 17 /09 /septembre /2024 08:34
Conférence Bayonne, le Pays Basque, Saint-Domingue, la traite des Noirs et l'esclavage

CONFERENCE à BAYONNE / JOURNEES EUROPEENNES DU PATRIMOINE

Le Vendredi 19 septembre à 18h (1h30). R.V. : Bayonne, Grand salon de l’hôtel de Ville.

Gratuit, sans réservation, places limitées.

 

Bayonne, le Pays Basque, Saint-Domingue, la traite des Noirs et l'esclavage

Quelle place a occupé Bayonne dans « l'infâme commerce » (Condorcet) ? Un regard renouvelé sur le rôle des Basques et des Bayonnais dans l'esclavage colonial associé au grand négoce maritime transatlantique,

par le professeur Jacques de Cauna, docteur d'État (Sorbonne), Chaire d'Haïti à Bordeaux CNRS/EHESS, Université de Pau et des Pays de l'Adour.

 ******

Quelle place a occupé Bayonne, « porte d'Espagne » dans « l'infâme commerce du bois d'ébène (le mot est de Condorcet) ? Jusqu'à la publication en 2009 de La traite bayonnaise au XVIIIe siècle, à partir d'un mémoire soutenu à l'Université de Pau et des Pays de l'Adour, le sujet, rarement évoqué dans l'histoire locale, n'avait jamais fait l'objet d'une étude approfondie. A partir du journal de bord retrouvé d'un des rares navires négriers bayonnais et des instructions d’un armateur à ses capitaines, l'ouvrage fait le point sur les opérations de traite, leur préparation et leur déroulement en les replaçant dans le contexte plus large des relations de la ville avec les autres ports atlantiques, l’esclavage, l'Afrique et les Antilles. Finalement, il est vrai que bien loin de Nantes, le grand port négrier français, ou même des ports de second ou de troisième ordre, de Bordeaux à Saint-Malo en passant par La Rochelle et Le Havre, Bayonne n'a été qu'un « gagne petit » de la traite, alors même que ses passagers, basques, béarnais et gascons, et ses produits des riches arrière-pays de l'Adour et de la Nive, se taillaient une place respectable dans le nouvel Eldorado des îles à sucre, la grande île de Saint-Domingue.

Tout compte fait, replacé dans le contexte plus large de l'esclavage colonial associé au grand négoce maritime transatlantique du siècle des Lumières, le rôle des Basques et Bayonnais dans un domaine mémoriel devenu aujourd'hui très sensible, mérite d'être considéré sous un tout autre angle historique, tant il a été décisif sur de nombreux points en raison d'une forte présence aux îles marquée dès l'origine par des hommes aux personnalités remarquables qui n'ont jamais hésité à agir dans ce qu'ils considéraient souvent à juste titre être le bon sens.

L’histoire locale a retenu en particulier, parmi bien d’autres liés à Bayonne, les noms des flibustiers Michel le Basque et le chevalier de Gramont, des gouverneurs de l’île de la Tortue et Saint-Domingue Jean-Baptiste Ducasse, Jean-Pierre de Casamajor de Charritte et Armand de Belzunce, de l’intendant Jean-Baptiste Laporte de Lalanne, de l’intrépide chevalier de Courréjolles, du colon Jean-Baptiste Gérard, député défenseur des gens de couleur, des aides-de-camp de Toussaint Louverture : Dubuisson, Méharon, Lamérenx, de Michel-Joseph Leremboure, premier maire de Port-au-Prince, de l’amiral de Bruix, créole bayonnais du Fort-Dauphin, du Basque Jean-Baptiste Charlestéguy, refondateur après l’indépendance du Rite Haïtien maçonnique, des grandes familles haïtiennes venues de Bayonne, les Gardères, Berrouet, Lissalde, Delvaille, Sansaric et bien d’autres, et surtout des grands abolitionnistes que furent le commissaire civil Etienne de Polvérel, syndic des Etats de Navarre et premier libérateur des esclaves, et le discret mais si important député du Labourd Dominique Joseph Garat…

Sans oublier les nombreux hommes de couleur d’origine basque ou bayonnaise qui s’illustrèrent à leur suite dans l’histoire antillaise, tel le simple et obscur soldat mulâtre basque nommé Garat qui fut le premier à oser tirer sur l’Empereur Jacques Ier Dessalines lors de l’attentat qui mit fin à son règne au Pont Rouge. Ou, bien mieux connu, l’emblématique héros mulâtre de la révolution guadeloupéenne, Louis Delgrès, qui préféra mourir en se sacrifiant avec ses dernières troupes dans l’explosion du fort Matouba plutôt que d’abandonner sa lutte pour la Liberté.

Bayonne peut s’enorgueillir d’avoir généré des personnages d’une telle envergure et d’avoir accueilli comme elle le fit la famille du grand précurseur de la liberté des Noirs, Toussaint Louverture, reçue avec les plus grands honneurs dans la ville par le maire, les corps constitués et la population au point que l’autorité policière bonapartiste centrale à Paris jugea plus prudent de l’exiler en résidence surveillée à Agen. On pense aussi dans le même ordre d’idées au séjour qu’y fit le général en chef dominguois de couleur Thomas-Alexandre Davy de La Pailleterie, dit Dumas, fils d’un noble marquis normand et d’une esclave haïtienne et père de l’auteur des Trois Mousquetaires, surnommé le Diable Noir par les Autrichiens qui le redoutaient tant. C’est à Bayonne qu’il reçut des Terroristes montagnards le surnom dangereux mais élogieux de Monsieur de l’Humanité pour avoir su refuser, comme la partie saine de la population, d’assister aux sanglantes exécutions à la guillotine depuis le balcon sur la place de la maison où les représentants jacobins l’avaient assigné à résidence. On peut voir au Musée Bonnat le magnifique tableau en pied du général Dumas en chasseur attribué à Louis Gauffier (fin XVIIIe) dont le dictateur Duvalier, Président à vie d’Haïti, conservait une copie en son palais national de Port-au-Prince.

Il ne serait sans doute pas superflu d’entretenir la mémoire de cette relation particulière avec les Îles par l’intermédiaire de noms de rues ou de monuments, comme en témoigne à juste titre, pour une période plus récente, la statue du cardinal Lavigerie, grand pourfendeur de l’esclavage arabo-musulman en Afrique, qui trône entre Nive et Adour (voir à ce sujet l’article d’Alexandre de La Cerda paru dans Baskulture du 17 octobre 2019 : Retour sur le cardinal Lavigerie, ses portraits et sa statue…).

                                                       ******

Historien, professeur et ancien diplomate dans la Caraïbe pendant vingt-cinq ans, docteur d’État de la Sorbonne, habilité à diriger les recherches par l’université des Antilles et de la Guyane, professeur honoraire des universités d’État d’Haïti (Ecole nationale des Arts), des West Indies (Mona, Jamaïque), de Bordeaux, de Pau et des Pays de l'Adour, ancien directeur du Centre de Recherche Historique de l’Institut français d’Haïti, aujourd’hui chercheur titulaire de la Chaire d’Haïti à Bordeaux (CNRS / EHESS) et membre de plusieurs conseils scientifiques de musées, de revues et instituts de recherche internationaux, Jacques de Cauna est l'auteur de plus de deux cents publications, collaborations et communications scientifiques internationales sur l'histoire de la Caraïbe et celle du grand Sud-Ouest, ainsi que d'une quinzaine d'ouvrages de référence parmi lesquels Au temps des Isles à Sucre, prix de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer (1987), Antilles 1789, la Révolution aux Caraïbes (Ed. Nathan, 1989, préface d’Aimé Césaire), L'Eldorado des Aquitains, Gascons , Basques et Béarnais aux Îles d’Amérique, prix de l'Académie nationale de Bordeaux (1998), Haïti l’éternelle Révolution (prix de la Société Haïtienne d’Histoire, 1996), Amerindians, Africans, Americans. Three papers in Caribbean History (Kingston, West Indies Press, 1993), La société des plantations esclavagistes, Caraïbes francophone, anglophone, hispanophone. Regards croisés (2013), Toussaint Louverture. Le Grand Précurseur (Secrets d’Histoire, 2012) ou Cadets de Gascogne, prix des Trois Couronnes (2009). Après La Traite bayonnaise au XVIIIe siècle (Pau, Cairn, 2009), ses derniers ouvrages, Dynamiques caribéennes (2014), Fleuriau, La Rochelle et l'esclavage (2017), Toussaint Louverture, Bordeaux et l’Aquitaine (2023) traitent des questions très actuelles de migrations et de mémoire, d'identité et patrimoine.

 

Textes complémentaires de l’auteur sur le sujet :

- La traite bayonnaise au XVIIIe siècle.Instructions, journal de bord, projets d’armement, Pau, Ed. Cairn, 2009 (avec Marion Graff).

- Un fleuron de la construction navale bayonnaise au XVIIIe siècle, le négrier Le Robuste, Revue de la Société des Sciences, Lettres et Arts de Bayonne, n° 167, 2012, p. 143-156 (avec Marion Graff).

- Les Landes dans l'épopée maritime de la route des Amériques, voie de l'expansion gasconne XVIe- XVIIe s., Bulletin du Centre Généalogique des Landes, n° 117-118, 1e et 2e tr. 2016, p. 1655- 1678.

- L’Eldorado des Aquitains. Gascons, Basques et Béarnais aux Îles d’Amérique (XVIIe-XVIIIe s.), Biarritz, Ed. Atlantica, 1998.

- La colonisation française aux Antilles : les Aquitains à Saint-Domingue (XVIIe-XVIIIe s.), Tomes I et II, Thèse de doctorat d’État ès Lettres, Université Paris IV-La Sorbonne, 2000.

- Les Lamaignère, de Montfort et Bayonne. Soutenance de thèse de Madeleine Dupouy à Lorient, rapport, Bulletin du Centre Généalogique des Landes, n° 89, 1er trim. 2009, p. 935-936.

- Flibustiers basques et gascons de la Caraïbe, Cahiers du Centre de Généalogie et d'Histoire des Isles d’Amérique, n° 71, sept. 2000, p. 59-74.

- Michel-Joseph Leremboure, Bulletin du Cercle Généalogique du Pays Basque et du Bas-Adour, 1996, n° 19, p.15-16.

- Des esclaves à Capbreton au xviiie siècle, Bulletin du Centre Généalogique des Landes, n° 35, 1995, p. 361-364- Jean-Baptiste Charlestéguy, fondateur de la Franc-Maçonnerie haïtienne, Bulletin du Centre Généalogique du Pays-Basque et du Bas-Adour, 1992, n° 12, pp. 2-5.

- Noirs et gens de couleurs à Bayonne et dans Les Landes, Bulletin du Centre Généalogique des Landes, 1991, n° 19, p. 454-455.

- La sucrerie Clérisse à Saint-Domingue. Une histoire de famille, Paris, Cahiers du Centre de  Généalogie et d’Histoire des Isles d’Amérique, 1990, n° 32, p. 48-61, et A plantation on the eve of the haïtian revolution, New-Orleans, Plantation Society in the Americas, 1993, n° 2, p. 31-40.

- Bayonne et Saint-Domingue au xviiie siècle, Bulletin de la Société des Sciences, Lettres et Arts de Bayonne, 1988, n° 144, p.85-104.

- Michel-Joseph Leremboure, un Basque premier maire de Port-au-Prince, Cahiers du Centre de Généalogie et d’Histoire des Isles d’Amérique, n° 17, 1986, 75-77

 

 

 

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2 août 2024 5 02 /08 /août /2024 08:52
Un exemple de photos du fonds Jacques de Cauna. L'habitation sucrerie Delugé, à Montrouis (du nom du colon limousin Jean Pasquet de Lugé), l'une des trois dernières à fonctionner en Haïti dans les années 80. Aqueduc, case à moulin (à gauche), sucrerie (à droite),  savane (au centre). © J. de Cauna, 1984.

Un exemple de photos du fonds Jacques de Cauna. L'habitation sucrerie Delugé, à Montrouis (du nom du colon limousin Jean Pasquet de Lugé), l'une des trois dernières à fonctionner en Haïti dans les années 80. Aqueduc, case à moulin (à gauche), sucrerie (à droite), savane (au centre). © J. de Cauna, 1984.

Disparition du fonds Jacques de Cauna.

Quelques précisions en réponse aux questions posées.

Je tiens à remercier tout d’abord tous ceux qui ont réagi à l’article précédent sur la disparition de mon fonds photographique et me soutiennent, ainsi qu’à apporter quelques précisions, comme annoncé, pour éclairer un peu mieux ce qui se passe à la suite des premières réactions dans lesquelles dominent des termes tels que « incompréhensible », « inconcevable » ou « inimaginable », venant d’une institution à caractère national. Ou même : « scandaleux », « c’est du vol ! ».

Dans les cas de spoliations inacceptables de ce type, les réactions de soutien constituent toujours un réconfort d'une valeur inappréciable et très souvent une aide essentielle pour l'action réparatrice à mener car, rien ne doit être à ce niveau « irréparable ».

 

Voici ce dont il s’agit, pour la forme :

L’origine et la responsabilité de cette affaire incombe entièrement au CIRESC (Centre International de Recherche sur les Esclavages), organisme à caractère public ancré sur deux institutions nationales, le CNRS et l’EHESS, qui a tout simplement supprimé de son site la sélection d'environ 500 photos (constituant le Fonds Jacques de Cauna) réunies à sa demande par l’un de ses membres (l'auteur de ces lignes), sans même prendre la peine de l'en informer. 

Il ne s’agit malheureusement pas d'un bug ou d’une refonte éditoriale devenue nécessaire mais bien d'une disparition brutale venant d’une action délibérée du CIRESC dont la responsable ne répond plus depuis quelque temps et ne m'a jamais consulté sur ce sujet (ni d’autres d’ailleurs), alors même que je suis chercheur associé et conseiller scientifique du CIRESC depuis sa fondation et qu’on n’avait pas manqué jusque là de récupérer mes initiatives lorsque cela pouvait paraître utile ou profitable (l'aide à distance aux doctorants et aux collègues en formation, la diffusion des résultats de la recherche, dont la mise en relations avec l’éditeur Karthala toujours active, la production d’articles pour un dictionnaire de l’esclavage qui ne vit jamais le jour, la création et l’organisation des Rencontres Atlantiques internationales du Musée d’Aquitaine de Bordeaux, la création de la Chaire d'Haïti à Bordeaux, le partage confraternel sur demande de certaines communications lors de colloques et séminaires, dont notamment celui de la Direction du Patrimoine du Ministère de la Culture à La Rochelle… où déjà se perçoit clairement en annexe dans la publication des actes l'intention de s'approprier mon travail, en tout ou partie, en multipliant les noms d'intervenants, là aussi sans m’informer de cet ajout tardif avant publication...). Tout cela pour constater dans un premier temps qu’un mauvais coup n'est pas perdu pour tout le monde, comme on peut s’en douter : il est toujours plus simple de s'accaparer le travail des autres plutôt que de mettre en  oeuvre soi-même pendant de longues années une recherche au long cours pour la soutenance d’un Doctorat d'Etat ou d’une Habilitation à Diriger les Recherches !

 

Cela est déjà anormal, mais l’essentiel, bien plus grave, est ailleurs :

Il est capital pour Haïti que ce fonds ressorte pour être (re)connu du public international avant la disparition de son auteur et surtout après celle de nombreux pans matériels entiers visibles de la mémoire patrimoniale haïtienne détruits par l’évolution récente de l’état du pays.

Le fonds qui avait été mis sur site ne représentait en fait que la partie émergée d'un travail de plusieurs années (environ 500 photos sélectionnées sur 2 500 numérisées pour cette opération) et mériterait encore d’être enrichi et développé par le spécialiste qui l’a conçu, seul apte à s’y retrouver pour avoir travaillé quinze ans sur le terrain en Haïti, surtout après la destruction récente de bon nombre de ces vestiges mémoriels. 

 

Pour résumer brièvement le sujet sur le fond, tel qu’il était présenté à l’origine :

"Entre 1975 et 1990, à partir de repérages effectués dans des documents d’archives des XVIIIe et XIXe siècles suivis d’explorations et d’enquêtes d’archéologie industrielle de terrain, plus de 2 500 clichés de vestiges de la société d’habitation coloniale esclavagiste de Saint-Domingue et de son environnement urbain, militaire, religieux ou naturel, ont été pris en Haïti afin de garder trace d’un patrimoine menacé." (extrait de ma communication à La Rochelle publié dans la revue Insitu du Ministère de la Culture). 

 

Après plusieurs mois sans réponses, le point actuel est le suivant :

 

- Aucune réponse du CIRESC à mes messages téléphoniques ou mails. Mais on a bien pris le temps, curieusement, de s'offusquer de ma réaction légitime à un autre pillage en cours de même source (celui de ma première thèse, publiée sous le titre Au Temps des Isles à Sucre), évoqué dans ce blog en Mai 2023.

 

- Absence de réponse également à mes messages téléphoniques ou par mails au CNRS jusqu’à ce qu'une documentaliste de la Direction Images (que j’ai remerciée), contactée par formulaire de questionnement sur site, m’informe récemment de la malencontreuse absence du seul membre du personnel subsistant impliqué dans ce travail pour raisons de santé. L’adresse originelle http://www.cnrs.fr/cnrs-images/multimedia/haiti_de_cauna/index.html renvoie à une erreur de type 404 ("cette page ne répond pas"). On me précise n'avoir trouvé "aucune trace par ailleurs sur les serveurs du service". Il doit bien pourtant y avoir quelque part une copie d'archive de cet important travail et/ou un moyen technique de le retrouver ou restaurer par l'intermédiaire d'un technicien maison… On aurait du mal à croire qu'une institution nationale de l'envergure du CNRS ne conserve pas d’archives !

 

- Avant d’envisager d’autres moyens d’actions dans un cadre plus large, faudra t-il envoyer une lettre recommandée au Directeur du CNRS dont dépend le CIRESC afin d’amener ce dernier, premier responsable, à réagir dans le bon sens pour tirer cette affaire au clair et sortir par le haut en procédant à la restitution à son auteur de cet important travail de présentation (les cahiers numériques actifs des 300 photos sélectionnées, légendées et localisées) afin de lui permettre de continuer à travailler normalement dans le domaine de la transmission de la connaissance par la mise à disposition du public, national et international, de ces témoignages patrimoniaux (plus de 2 500 documents sous copyright au total) ?

 

 

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12 juillet 2024 5 12 /07 /juillet /2024 17:23
Un aperçu des éléments iconographiques figurant dans le fonds disparu © J. de Cauna 1984

Un aperçu des éléments iconographiques figurant dans le fonds disparu © J. de Cauna 1984

N. B. extrait résumé de la communication donnée par l'auteur au colloque organisé par le Ministère de la Culture à la Rochelle en 2011 pour présenter le fonds J. de Cauna récemment mis en ligne et brutalement disparu aujourd'hui du site hébergeur sans consultation de l'auteur. Un appel est lancé auprès du CNRS pour remédier à cette disparition inexpliquée par la récupération des livrets numériques correspondant à cet important travail et leur remise à la disposition de l'auteur.
 
Jacques de Cauna
Patrimoine et mémoire de l’esclavage en Haïti : les vestiges de la société d’habitation coloniale (extrait résumé)
               Les sucreries sont la sueur et le sang de nos aïeux : il faut les respecter
               (Mes étudiants de l’École Nationale des Arts, Université d'Etat d'Haïti,                      Frontispice de l’exposition Les Sucreries, Institut Français d’Haïti, 1989).

La première république noire du monde est aujourd’hui encore un véritable conservatoire du patrimoine historique de l’économie esclavagiste du XVIIIe siècle dont la grande plantation – connue sous le nom d’habitation aux Isles d’Amérique – était l’unité de base1. Comme dans l’ensemble des sociétés créoles antillaises, qu’elles soient francophones, anglophones, ou hispanophones, la grande plantation fut, en effet, le cadre de vie, de mort et de travail quotidien de la majorité des esclaves – nègres à talents, le plus souvent créoles, ou nègres de houe, en grande majorité bossales. Elle a perduré longtemps après les abolitions de l’esclavage.

Entre 1975 et 1990, à partir de repérages effectués dans des documents d’archives des XVIIIe et XIXe siècles suivis d’explorations et d’enquêtes d’archéologie industrielle de terrain, plus de 2 500 clichés de vestiges de la société d’habitation coloniale esclavagiste de Saint-Domingue et de son environnement urbain, militaire, religieux ou naturel, ont été pris en Haïti afin de garder trace d’un patrimoine menacé. Ces clichés concernent principalement les caféteries du front pionnier des mornes (plus de 3 000 à Saint-Domingue, occupant 60 % des terres cultivées), les indigoteries (autant, souvent associées aux cotonneries), guildiveries (qui fabriquaient le tafia), chaufourneries ou briqueteries, et surtout les sucreries (40 % de toute la fortune coloniale avec 900 unités de production sur seulement 14 % des terres), sources de la plus grande richesse avec des ateliers de 2 à 300 esclaves et un investissement en matériel élevé dans un cadre dont les plans, gravures et inventaires d’époque, et surtout les vestiges actuels disséminés dans les campagnes haïtiennes, révèlent l’organisation immuable entre bâtiments d’exploitation et d’habitation des grandes sucreries : au vent, au bout de la grande allée ouverte par un portail monumental à deux ou quatre piliers et grille en fer forgé, la Grand-case [maison de maître] en position dominante dans son enclos, avec ses annexes et dépendances (cuisine, poulailler, jardin, entrepôts, remises, cases des domestiques…) ; au-devant, la savane (ou « la cour ») où paissent les bêtes ; plus loin, pour éviter aux maîtres bruits, odeurs et risques d’incendie, les installations industrielles (aqueducs, moulins, sucreries, purgeries, étuves…) ; puis le quartier des esclaves, sous le vent ; le tout entouré de terres réservées aux plantations de denrées exportables et de vivres alimentaires pour l’atelier (bananes, manioc, riz, patates…). 

Cinq cents de ces clichés ont été sélectionnés et positionnés sur la Carte de l’Isle de Saint-Domingue Partie Françoise ou Hayti, 1789, revue et corrigée en 1804, par Delvaux, afin que l’on puisse localiser chaque site et chaque ruine de ces habitations qui ont produit la plus grande richesse coloniale de l’époque moderne.

En dehors des vestiges historiques urbains ou militaires, les ruines des quelque 8 500 habitations coloniales – le plus important réseau d’exploitation des Antilles – constituent actuellement un patrimoine d’une exceptionnelle richesse qui nécessite protection car il est très menacé et fragilisé par les déprédations climatiques et humaines.

Ces clichés témoignent de l’histoire des plantations esclavagistes, mais aussi, compte-tenu de la rapide disparition depuis quelques années de ces bâtiments, ils constituent un sauvetage virtuel de ce patrimoine historique et mémoriel.

                                                        &&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&

Conclusion

Au-delà de leur valeur purement esthétique et de la charge émotionnelle qui les habite, ces vestiges représentent pour Haïti un patrimoine architectural exceptionnel et irremplaçable que bon nombre de pays neufs pourraient lui envier. Véritables lieux de mémoire de l’esclavage dont ils ont constitué le cadre de la vie quotidienne pour la grande majorité de ses victimes et acteurs, ils sont en même temps les témoins de la longue histoire commune franco-haïtienne et l’expression d’un type de société pré-industrielle pionnière, à dominante agro-commerciale – la société créole esclavagiste d’économie de plantation fondée sur l’exploitation extrême d’hommes privés de leur liberté – dont Saint-Domingue constituait la pointe la plus avancée et qui a façonné toute cette région de la Caraïbe non seulement dans ses paysages et ses réalisations mais aussi bien plus profondément peut-être dans les valeurs humaines, les mœurs et les coutumes hérités d’une histoire de labeur et de souffrance. Après les troubles qui marquèrent la fin de la colonie et l’indépendance d’Haïti, la diaspora des anciens colons de Saint-Domingue et de leurs esclaves dans la Caraïbe a, en effet, contribué à répandre ce modèle dans les pays avoisinants – et plus particulièrement à Cuba (pour le sucre et le café), à la Jamaïque (pour le café) et à la Nouvelle-Orléans (pour le coton) –, justifiant ainsi aujourd’hui la nécessité d’un caractère transnational à donner aux recherches à venir. Au-delà de l’évidence de la médiation dominguoise dans la diffusion du modèle français, puis antillais en général, voire « américain », l’élargissement de la mise en perspective comparative dans un premier temps à d’autres pays de la Caraïbe (Jamaïque, Cuba, États-Unis, République Dominicaine…) devrait encore permettre d’utiles avancées de la connaissance.

Un premier travail de grande utilité pour les échanges entre chercheurs pourrait être la constitution d’un glossaire quadrilingue (français, espagnol, créole, anglais) des termes usuels du lexique de l’habitation, puis d’un répertoire des principales sources et de leur localisation. Il conviendrait ensuite, dans un second temps de croiser les travaux effectués dans différentes îles pour en tirer des synthèses à l’échelle caribéenne, avant d’affiner les résultats dans le sens d’une distinction entre les divers apports européens (et leurs lointaines origines) et ceux issus de l’incorporation d’éléments plus spécifiquement locaux relevant d’une certaine créolisation.

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Référence électronique

Jacques de Cauna, « Patrimoine et mémoire de l’esclavage en Haïti : les vestiges de la société d’habitation coloniale », In Situ [En ligne], 20 | 2013, mis en ligne le 13 février 2013, consulté le 06 mai 2013. URL : http://insitu.revues.org/10107 ; DOI : 10.4000/insitu.10107. Éditeur Ministère de la culture et de la communication, direction générale des patrimoines © Tous droits réservés

Pour la bibliographie de l’auteur, voir en complément :

http://www.esclavages.cnrs.fr (site du Centre International de Recherche sur les Esclavages)

http://jdecauna.over-blog.com (blog de la Chaire d’Haïti à Bordeaux)

Références : Fonds Jacques de Cauna. Mémoire et patrimoine de l’esclavage en Haïti

Conception et rédaction : Jacques de Cauna, Myriam Cottias, Coordination et recherches iconographiques : Jacques de Cauna, Myriam Cottias, Véronique Ikabanga. Conception et réalisation graphique : Frédéric Eckly, Véronique Ikabanga, CIRESC/CNRS Images.

 

 

 

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Présentation

  • : Le blog de Jacques de Cauna Chaire d'Haïti à Bordeaux
  • : Site de la Chaire pluridisciplinaire d'Haïti à Bordeaux créée après le séisme du 12 janvier 2010 dans le cadre des activités du CIRESC (Centre international de recherche sur les esclavages du CNRS à l'EHESS). Histoire et culture d'Haïti et de Gascogne. Enseignement supérieur. Formation, suivi à distance, mémoires, thèses. Développement des liens entre la Caraïbe et la région Aquitaine Gascogne.
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