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19 avril 2020 7 19 /04 /avril /2020 15:55
Blason et Palacio de Isasi à EibarBlason et Palacio de Isasi à Eibar

Blason et Palacio de Isasi à Eibar

Don Cristóbal Arnaldo de Isasi, le Basque rebelle, dernier défenseur de la Jamaïque espagnole (1655-1660)

Pr Jacques de Cauna, docteur d’État (Sorbonne), article paru dans Baskulture

 

Quasiment inconnu de l’ensemble des historiens de la Caraïbe, et du reste du monde, Don Cristóbal Arnaldo de Isasi reste l’objet d’une remarquable dévotion respectueuse en Jamaïque où son nom est toujours cité, plus ou moins déformé par la langue anglaise, notamment dans tous les ouvrages scolaires, à l’occasion du chapitre obligatoire que constitue la saga des célèbres Marrons des Montagnes Bleues1, esclaves fugitifs qui, fait exceptionnel dans l’histoire mondiale, finirent par obtenir des Anglais en 1739 la signature d’un traité de coexistence pacifique et de reconnaissance de leurs droits à un gouvernement autonome avec la Couronne britannique dans leur village-capitale secret de Nanny Town, du nom de celle qu’ils considéraient comme leur reine historique. Ce haut fait d’armes, au terme d’un long parcours de luttes de résistance à l’oppression et de conquête de la liberté, consacre pour tous les descendants d’esclaves aux Antilles la reconnaissance officielle d’une dignité dont les Jamaïcains sont à juste titre très fiers et qui a été reconnue par l’inscription du site par l’Unesco en 2015 au patrimoine mondial de l’humanité. On peut regretter toutefois que dans le descriptif qui accompagne cette reconnaissance officielle ne figure pas une seule fois le nom basque d’Isasi, qui en fut à l’origine historique mais est sacrifié sans doute pour les besoins d’une cause réduite à une transmission patrimoniale de valeurs communes des premiers habitants amérindiens taïnos aux esclaves noirs.

 

Les Isasi, Basques créoles d’Amérique

Un rapide retour sur les événements historiques et leur protagoniste nous permettra de mieux comprendre la nature du lien qui a pu exister quatre siècles auparavant entre ces noirs fugitifs et un noble Basque. On verra aisément comment, en un mot, Isasi portait en lui la composante essentielle de l’âme vasconne, cet irrépressible esprit de résistance à l’oppression qui se traduit en rébellion libertaire dans un cadre montagneux d’accès difficile face à l’invasion étrangère.

Lorsque la formidable armada navale anglaise de conquête envoyée par Cromwell aux Antilles sous le commandement de l’amiral Penn et du général Venables se présente devant la côte jamaïcaine en 1655 après l’échec de son entreprise sur Hispaniola, la grande île, très peu peuplée comme la grande majorité des possessions de l’immense empire de l’Amérique espagnole, ne compte qu’un peu moins de deux milliers de personnes de toutes classes comprenant seulement 500 Espagnols en état de porter les armes, leurs femmes et leurs enfants, à peu près autant d’esclaves noirs, quelques dizaines de noirs et mulâtres libres, d’indiens Arawaks survivants (les Taïnos) et d’aventuriers étrangers, dont quelques flibustiers français. La plupart des colons, créoles aux familles installées depuis les premiers temps, parfois depuis Christophe Colomb, sont d’ailleurs étroitement apparentés entre eux par leurs mariages endogamiques quand ils ne se sont pas mêlés au fil des ans aux autochtones indiennes ou à leurs esclave noires « ménagères ».

Un enquêteur royal arrivé en 1649 se plaint amèrement de l’un de ces créoles, le plus riche de tous, Don Francisco de Leyba Yzazi [sic] qui le reçoit très mal et qu’il dénonce pour avoir depuis seize ans, bien que marié, des relations avec une femme de couleur. C’est le traditionnel conflit en Amérique latine entre ceux des Blancs qui sont nés sur place (Criollos) et les Européens nouveaux venus (Chapetons ou Gachupinos, ceux que les Français nommaient Moutons France). Le nom indubitablement basque d’Isasi, mal rendu ici en Izazi, est orthographié de plusieurs manières : Ysassi, Issasi, Isasi, Sassi…, selon les scripteurs, et le plus souvent déformé dans les ouvrages jamaïcain en Xassi. Sa mère, Doña Lorenza Ysassi, était la sœur de Don Cristóbal Ysassi. Le couple eut un fils unique Don Cristóbal de Leiva Ysassi, neveu et commandant en second de Don Cristóbal Arnaldo de Ysassi, le gouverneur rebelle. La famille, de grande antiquité en Guipuzcoa, portait en partie les armes chevaleresques des Marzan de Isasi.

Les Isasi étaient alliés notamment aux Proenza (Don Francisco de Proenza, le plus influent des créoles à l’époque, marié à Doña Yñez de Leiva y Espinoza), aux Leyba ou Leiva (Don Francisco de Leiva Ysassi, fils de Cristóbal et Lorenza Ysassi) et Cartagena (Francisco de Leiva Cartagena), tous formant une même famille élargie dont les membres avaient pris l’habitude de se partager les quelques rares charges, offices royaux et honneurs qu’offrait l’île. On conçoit que la résistance à l’invasion anglaise fût devenue immédiatement pour eux quelque chose comme une affaire de famille. De manière significative, dès le départ du dernier gouverneur nommé et imposé par la métropole, c’est sur ces natifs du pays, créoles et parfois métis, que reposa la défense de la colonie. La famille Ysassi, des plus distinguées, illustrée par cinq générations jamaïcaines, pouvait mettre en avant ses longs services et ses racines profondes venues du Pays Basque, depuis l’ancêtre fondateur venu le premier en Jamaïque pour y commander le fort du premier établissement espagnol dans l’ile, à Sevilla la Nueva où avait débarqué Colomb, sur cette côte nord qui sera chère à son héritier Cristóbal Arnaldo dont le père avait été gouverneur...2

Cette prestigieuse parentèle s’étendait aussi bien dans l’espace caribéen que dans les temps historiques de l’Empire. Elle lui permettait de soutenir partout ses appels à l’aide contre l’Anglais. Le père de Don Cristóbal était le capitaine Don Cristóbal Sanchez Ysassi, mentionné comme officier royal et fils d’un conquistador dans une lettre au Roi, un temps gouverneur par interim, marié deux fois. Et Don Blás Ysassi Arnaldo, lieutenant gouverneur à Santiago de Cuba, n’était rien d’autre que l’un de ses nombreux frères et demi-frères, comme d’ailleurs Sebastian de Ysassi Proenza, ainsi qu’à Puerto-Rico, l’évêque Don Francisco Arnaldo Ysassi.

Même le vieux gouverneur Ramirez de Arellano était son parent par Don Juan Domingo Ramirez de Arellano y Mendoza, 9e comte d’Aguilar et marquis de la Hinojosa, époux de Doña Maria Augustina Sarmiento y Sotomayor, dame de la reine Marie Anne d’Autriche, soeur de Don José Joaquin Sarmiento de Isasi, marquis du Sobroso, né en 1642 de Doña Juana de Isasi Idiáquiez Ladrón de Cegala, 2e comtesse de Pié de Concha. Elle était fille d’Antonio de Isasi Idiáquez, capitaine de la flotte des galères de Naples en 1616 puis amiral commandant l’escadre de Guipúzcoa en 1639 pour S.M., puis général de toute la flotte de la Terre Ferme en 1647, chevalier de l’Ordre d’Alcantara et des Suprêmes Conseils de Guerre et de Marine. C’est lui que l’on trouve en 1648 inspectant les fortifications de Portobello, grand port de départ des flottilles de l’argent de la Nouvelle-Grenade, sur l’actuelle côte de Panama.

Signe sans équivoque, un autre de ses proches parents, le noble Juan de Leyva y de La Cerda, né à Alcala de Henares, 5e marquis d’Adrade, second comte de Baños, fils de Pedro de Leyva y Mendoza, capitaine général des galères d’Espagne, après avoir combattu sur mer, comme son père, les pirates algériens Barbaresques d’Alger, fut nommé vice-roi de la Nouvelle Espagne par Philippe V à 56 ans, en 1660 avant de mourir dans un monastère où il s’était retiré pour expier une vie un peu trop agitée.

Cette position sociale américaine de premier plan, dans la lignée des conquistadores, explique beaucoup de choses (comme on le voit pour la famille du poète José Maria de Heredia à travers Les Trophées par exemple). Les premières valeurs, héréditaires, qui le commandaient dans son action ne pouvaient être que la bravoure, l’honneur et la fierté, jusqu’à la vanité parfois, un patriotisme virulent, une foi religieuse et un inflexible courage associé à une indéniable rudesse guerrière féodale (il avait tué de sa propre main en 1640 un aventurier français surnommé Pedro)3. On comprend aussi ses difficultés parfois à coopérer, à partager le pouvoir, ses déceptions devant certaines réactions timorées et les désertions, mais tous les natifs de l’île, blancs, noirs ou métis, avaient confiance en lui, le respectaient et le soutenaient naturellement avec ferveur.

 

L’invasion anglaise de la Jamaïque et la résistance espagnole

Lorsque l’armada des trente navires de l’amiral Penn entre dans la baie de Caguaya et commence à débarquer à l’aube du 21 mai 1655 ses sept mille hommes au Fort Passage, le vieux gouverneur espagnol, Juan Ramírez de Arellano, ancien alcalde du fort d’El Morro de La Havane, très affaibli par l’âge, est bien en peine pour se défendre, ne disposant pas des forces suffisantes et la résistance va s’effondrer très rapidement. Seule une batterie côtière commandée par le maître de camp Francisco de Proenza, à la tête de quelques recrues inexpérimentées, échange quelques coups de canons avec l’envahisseur avant d’évacuer vers Santiago de la Vega (l’actuelle Spanish Town) où la capitulation sera signée le 27 mai, les Anglais demandant l’évacuation de l’île et offrant en contrepartie la possibilité pour les Espagnols de s’embarquer pour la destination de leur choix.

Mais quelques irréductibles, une soixantaine d’hommes, sous l’impulsion d’Isasi et de Proenza, décident de résister en se retirant dans l’intérieur montagneux de l’île, resté sauvage et inexploité, après avoir offert la liberté aux esclaves qui les suivraient. Ils y rejoignirent les quelques premiers fugitifs qui s’étaient installés dans des lieux inaccessibles et entamèrent avec eux et leurs chefs Juan de Bolas (Lobolo) et Juan de Serras une guérilla qui s’annonçait longue et qui durera effectivement cinq ans. Proenza, déjà vieux et devenu rapidement aveugle, mourut, laissant Isasi seul aux commandes, installé à Guatibacoa, à un jour de marche au sud de la capitale avec un troupeau de 2000 bêtes et comme sergent major son très proche parent le capitaine Don Cristóbal de Leyba

Un an plus tard, les troupes anglaise subsistantes étaient réduites à 2 500 hommes par la maladie et la faim, et Isasi, à la tête d’une centaine d’hommes, blancs et noirs confondus, poursuivait son harcèlement des soldats anglais isolés devenus habitants, en tuant notamment une quarantaine dans une embuscade meurtrière après avoir mené une attaque de nuit contre la capitale qui s’était soldée par quelques maisons hébergeant des soldats brûlées. Reconnu Gouverneur pour le Roi pour ses services dans la défense de l’île, il finit par obtenir un renfort de 300 soldats venus durant l’été de l’île voisine de Cuba et qu’il avait demandé au gouverneur de Santiago, Don Pedro Bayona de Villanueva, d’ascendance basque4, comme le Gouverner général à La Havane, le capitaine José de Aguirre. Mais cette troupe étrangère, mal dirigée, fut défaite près d’Ocho Rios (et du site actuel de Dunn’s River Falls) par les 900 hommes réunis par le gouverneur anglais O’Doyley dans ce qu’on appela la bataille de Las Chorreras (Ocho Rios), le 30 octobre 1657.

L’année suivante, en 1658, il fit une nouvelle tentative à Rio Nuevo avec des renforts lus nombreux venus de Nouvelle-Espagne (Mexique et pays voisins) et débarqués dans ce petit port de la côte nord le 20 mai. Il avait là sous ses ordres, 31 capitaines des Tercios Mexicanos (régiments), autant d’enseignes, 28 sergents et 468 soldats auxquels se joignirent une cinquantaine de ses guérilleros bien aguerris. Il fit construire un fort où il put tenir trois jours de siège au canon, du 25 au 27 juin, avant de devoir s’enfuir à nouveau devant les 700 hommes portés par 10 navires qu’avait pu réunir D’Oyley, appuyés par une importante artillerie. Près des deux tiers des Espagnols furent tués ou blessés, bon nombre de ces derniers ne survivant pas aux maladies tropicales, 150 faits prisonniers et 11 drapeaux, 6 canons et la plupart de leurs armes et munitions pris… pendant que les Anglais ne perdaient que 60 hommes.

Isasi tenta encore de résister jusqu’à ce qu’il soit finalement défait à nouveau en 1660 et obligé de s’enfuir définitivement (certains disent par l’endroit encore nommé Runaway Bay) avec ses derniers fidèles subsistants. L’élément déterminant, outre la mésentente qui s’était développé avec Bayona de Villanueva, fut la défection d’un ancien esclave noir devenu chef de bandes de marrons qui contribua activement à cette défaite en trahissant Isasi. Juan de Bolas s’était en effet brusquement rangé aux côtés des Anglais contre ses anciens compagnons, inaugurant ainsi une longue tradition d’utilisation par les forces coloniales des compétences des anciens marrons dans la chasse à leurs congénères. Dix ans plus tard, en 1670, par le Traité de Madrid, la couronne espagnole cédait définitivement la Jamaïque à l’Angleterre.

 

Un héros basque inconnu

On aimerait en savoir plus sur ce héros méconnu dont certains envisagent même, pour expliquer sa résilience locale et son autorité reconnue sur les Noirs, qu’il ait pu « ne pas être tout à fait blanc », c’est-à-dire qu’il fût un mulâtre, ce qui était assez courant dans les élites hispano-américaines beaucoup moins regardantes que les françaises sur le préjugé de couleur parmi les créoles. Mais rien de concret ne vient à l’appui de cette insinuation. Il est vrai que ses écrits révèlent une curieuse orthographe dont il est difficile de tirer des enseignements définitifs sur sa manière de parler, assurément peu classique, et sur la rudesse de l’homme, peu lettré, ce qui était courant chez les créoles. Tout en expliquant sans ambages qu’il tue les prisonniers par sécurité, il affiche son goût pour les belles armes, les décorations, les beaux habits qu’il prélève sur ses victimes lors des pillages qu’il offre pour paiement de leurs services à ses hommes et dont il prend la part du lion. En un mot, il ressemble davantage à un flibustier qu’à un gentilhomme de bon ton d’une cour européenne.

On se souvient parfois sur la côte nord qu’Isasi se réfugia un moment dans les grottes de Runaway Bay et sur un îlet de la baie de Saint-Ann, face à la plantation de Drax Hall. Mais à part cela, rien ne rappelle en Jamaïque son action, en termes de monument, plaque commémorative, noms de lieux ou de descendants en ayant conservé et cultivé le souvenir. Mais la mémoire du nom subsiste, elle, dans de nombreuses familles issues des différentes branches des Isasi aux Amériques. La plus connue peut-être est sans doute celle de l’ancienne présidente chilienne au nom français, Michèle Bachelet. Parmi ses ancêtres figure en effet la famille de Don Miguel Jorge de los Dolores Marzán de Isasi y Hurtado de Mendoza dont les armes – qui rappellent celles des Isasi d’Eibar – sont parfaitement connues dans leur simplicité que nous lisons ainsi : D'or à l’arbre de sinople affronté de deux loups de sable rampants. Le premier américain de cette branche des Isassi, qui était venu de Cadix et passé à Carthagène des Indes avant 1720 était un Marzán marié à une Isasi y Urueta, tous deux d’Olite en Navarre. Ces Marzán ou Marsan espagnols descendaient tous d’un chevalier Arnald de Marzán qui en 1297, le 25 octobre, vendit au sacristain Domingo Perez un jardin potager sis au quartier de San Cebrian de Huesca pour 640 sueldos jaqueses5. Cet Arnaud de Marsan était issu par peu de degrés (sans doute l’un de ses petits fils) de Pierre, vicomte de Marsan et comte de Bigorre (Petrus, comes Bigorra, vicecomes de Marciano), le fondateur de Mont-de-Marsan, qui était aussi seigneur des maisons de Saragosse qu’il cède à l’ordre du Temple et de Tarazona dont il avait reçu les honneurs en 1130 (Pere de Marzan, comite de Bigorra, in Tarazona) et qu’il tenait de son beau-père Centulle de Bigorre, frère de Gaston de Béarn, qui avait reçu ceux de Saragosse, dès 1119, puis de Huesca et Uncastillo, dans la vassalité du roi d’Aragon6.

En Hegoalde aujourd’hui (Pays Basque espagnol), la trace la plus remarquable de la famille est le palacio des Isasi à Eibar en Guipúzcoa, autrement connu sous le nom de Markeskua. Récemment restauré, il abrite aujourd’hui une institution d’enseignement supérieur, l’Udako Euskal Unibertsitatea où se donnent des cours académiques, conférences, séminaires, congrès, rencontres culturelles diverses. C’est une grande bâtisse rectangulaire classique, semblable à beaucoup d’autres de la même époque, sobre et compacte, à plusieurs fenêtres et une porte surmontée d’un arc en plein cintre à larges voussoirs. Le seul élément qui attire vraiment l’œil est, à mi-façade, une plaque finement gravée représentant artistiquement les armes de la famille, ou plutôt des deux familles alliées car il s’agit d’un blason bipartite. Et nous savons que les premiers habitants du palais à la fin du XVIe siècle ont été Martin Lopez de Isasi et Domenja Orbea, originaire de la tour d’Unzaga à Eibar, famille dont les armes représentent un chevalier au clair de lune et un arbre. La description qui en est donnée en espagnol est lacunaire, la pierre gravée n’ayant pas apparemment restitué les couleurs, ou la correspondance en lignes et points n’étant pas connue du graveur : por un lado un castillo con tres estrellas, al que rodea una bordura con cadenas; por otro, un árbol, al que parece ser le faltan tres lobos atravesados que aparecían en el escudo original de la familia. Dos leones defienden el escudo. Nous n’avons pu malheureusement contrôler sur place. En principe, les armes de l’époux et donc de Isasi devraient se trouver à dextre en termes héraldiques (c’est-à-dire dans le parti gauche de l’écu, celles des Orbea à senestre), et répondre à la description originelle : D'or à un poirier au naturel fruité de gueules et deux loups passants au pied de l'arbre, un devant et brochant, l'autre derrière, accompagné en chef d'une étoile d'azur. Supports : deux lions (on croit apercevoir ici plutôt deux sauvages). Ce dernier détail, comme la nature exacte du cimier à lambrequins surmontant l’écu, pouvant faire l’objet d’une recherche sur les lieux, tout autant que la visite d’un gîte rural voisin appelé la Torre de Isasi qui serait le lieu d’origine de la famille selon certains7.

 

1 Ou Windward Maroons, plus anciennement Spanish Maroons, pour les différencier d’un autre groupe installé à l’ouest de l’île, les Leewards Maroons. Voir l’historien jamaïcain Carey Robinson, The fighting Maroons of Jamaïca, Kingston, Collins & Sangster, 1971.

2 Sir Edward Long, Esqu., The History of Jamaïca. Or, general survey of the antient and modern state of the island: with reflections on its situation settlements, inhabitants, climate, products, commerce, laws, and government, London, T. Lowndes, 1774, 3 vol.

3 Jacques de Cauna-Ladevie, la diaspora des colons de Saint-Domingue et le monde créole : le cas de la Jamaïque, dans Revue française d’histoire d’outre-mer, n° 304, p. 334.

4 Notice dans Auñamendi Eusko Entziklopedia, Eusko Ikaskuntza.

5 Archivo Historico Nacional, Clero Secular-Regular, CAR 726, NUM 6. Dans la Seccion Nobleza des mêmes archives, le contrat de mariage de Magdalena de Marsan avec le comte de Belalcazar, fils du duc de Béjar, la dit « fille du prince de Pons [descendant de Françoise de Marsan], descendante de la maison royale de Lorraine (Loreno) ».

6 Carlos Laliena Corbera, Les nobles francos en Aragon. La réorganisation aristocratique en Aragon (1134-1137), dans Annales du Midi, 2000, p. 155, 167. Voir aussi Jacques de Cauna, Cadets de Gascogne. La Maison de Marsan de Cauna, Capbreton, 2001, tome II.

7 Charlotte de Castelnau L’Estoile, Connaissance et pouvoirs : les espaces impériaux (16e-17e s.), PU Bordeaux, 2005, p. 290

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13 avril 2020 1 13 /04 /avril /2020 16:09
Sur les traces de Belzunce. La citadelle du roi Christophe.

Sur les traces de Belzunce. La citadelle du roi Christophe.

Armand de Belzunce, la rénovation du système de défense colonial et l’indépendance d’ Haïti

Hommage à Madame Jean de Bertier, née Thérèse de Belzunce, décédée le 19 avril 1919

Armand, vicomte de Belzunce, fils de Charles, vicomte de Méharin, et de Marie-Anne Haranader, de la très ancienne famille noble navarraise des vicomtes de Belzunce dont les ruines du château féodal se voient encore aujourd'hui à Ayherre en Arbéroue (Basse-Navarre), est le prototype du gouverneur militaire que seuls ses talents guerriers ont propulsé à la tête de la colonie. Il était venu en effet à Saint-Domingue en 1762 comme Lieutenant-Général, Commandant Général des troupes de sa Majesté en Amérique, avant d'être nommé Gouverneur Général de Saint-Domingue, après une longue série de gouverneurs de temps de guerre issus de la Marine dont le Béarnais Ducasse avait été le plus remarquable représentant, avec le changement notable qu'on avait fait appel, en sa personne, pour la première fois, à un officier de l'armée de terre.

Très jeune pour la fonction (né en 1722, il n'avait que 40 ans), Armand de Belzunce, ancien bailli du pays de Mixe, avait cependant derrière lui, une carrière bien remplie commencée comme Lieutenant à 23 ans, puis Capitaine des Dragons à 25 ans, Colonel à 29 ans, et enfin Brigadier à 38 ans, Major Général de l'Infanterie à l'armée du Duc de Broglie en 1759 et Gouverneur de l'Ile d'Oléron puis de Belle-Isle (1761). Il s'était surtout illustré en défendant avec succès Göttingen dans le Hanovre l'année précédant son arrivée aux îles.

Il fut malheureusement emporté prématurément, le 4 août 1763, à peine cinq mois après sa prise officielle de fonction dans l’île, le 7 mars 1763, au Trou-du-Nord où il résidait depuis un an, sans avoir été marié. Rien ne résume mieux le caractère tout féodal du personnage que l'épitaphe que son ami et compatriote de Castera, Brigadier des Armées du Roi, fit graver sur sa tombe en latin, avec ses armoiries dans du marbre doré d'or moulu, dans la partie ouest du chœur de l'église du Cap, au dessus du siège du Gouverneur-Général :

"Ci-gît Armand vicomte de BELZUNCE, en qui une brillante naissance fut le moindre titre à la gloire. Citoyen vertueux, ami tendre et sûr, guerrier intrépide, avide de dangers; prodigue de son sang pour épargner celui du soldat; ne devant rien à la faveur, obtenant tout de sa valeur et de ses exploits, il fut élevé au grade de Lieutenant-Général des Armées de Sa Majesté. En récompense enfin, de ses périlleux travaux, un regard attentif du Souverain venait de le placer à la tête du Gouvernement, plus périlleux encore, de Saint-Domingue, quand au milieu de ses soins vigilants pour le salut de ces contrées, la mort le frappa, le 4 Août 1763, âgé de 43 ans.

DE CASTERA, Brigadier des armées du roi, a consacré, l'an MDCCLXIIII, ce monument de sa tendre affection, à l'ami qui lui a été enlevé."

Jean-Baptiste de Castera, originaire de Bayonne, chevalier de Saint-Louis et lieutenant- colonel d'infanterie comme Belzunce, était le fils de Messire Pierre de Castera, lieutenant-général et sénéchal du pays de Labourd, et de dame Jeanne de Guillardie. Le 8 mars 1763, il avait épousé aux Vérettes où "il faisait son séjour" depuis son départ du Cap-Français, dame Marie Saunier, habitante et veuve de messire Claude Bidone, chevalier de Saint-Louis et capitaine de cavalerie-milice. Les Saunier étaient une très ancienne famille créole de l'Artibonite alliée, entres autres, à des familles landaises des environs de Bayonne.

Mais revenons à ce que nous dit Moreau de Saint-Méry de Belzunce :

"Cet officier de terre sur le talent militaire et la réputation duquel on avait fait un grand fond fut l'occasion d'un changement notable dans le système de défense de la colonie."1 Nommé en 1762, au moment où celle-ci était considérée comme très menacée par les Anglais et avec la difficile mission de la conserver à la France, il était accompagné de huit bataillons de troupes et, dès son arrivée, "toutes les idées avaient pris la teinte militaire et l'on ne s'occupa que des moyens de conserver la Colonie."

En très peu de temps, au prix d'une intense activité, Belzunce, qui résidait au Cap, mit la colonie en état de défense en fortifiant les côtés (embarcadères de Jacquezy, Caracol, Limonade ...), renforçant ou créant des communications à usage militaire (sur la route de Fort-Dauphin au Cap avec de nombreux bacs et ponts, ou encore avec l'ouverture de la route actuelle du Nord à Port-au-Prince via Le Mirebalais, au Dondon surtout, en ouvrant une route de liaison avec la partie espagnole, alliée à l'époque ...), et, surtout, en faisant établir des camps retranchés dans des sites qui lui paraissaient essentiels à la défense intérieure de la colonie, comme les camps de Biros, du Trou ou encore du Dondon qu'il considérait à juste titre comme le réduit naturel de résistance du Nord de la colonie, avec le Mirebalais pour l'Ouest. Il était, nous dit toujours Moreau de Saint-Méry, "tout occupé de camps, de communications et de défense intérieure".

Cette orientation toute nouvelle, qui rompait avec la stratégie traditionnelle reposant uniquement sur la défense du littoral et des ports par des escadres et des batteries côtières d'appui, est, en fait, à l'origine de l'ensemble du nouveau système des fortifications haïtiennes qui se développeront à l'indépendance et dont la plus célèbre, la citadelle Laferrière, forteresse inexpugnable mais jamais utilisée du roi Henri Christophe, est située précisément à l'entrée de ce réduit du Dondon lorsqu'on vient du Cap. Moreau de Saint-Méry s'attarde longuement sur ce plan de défense novateur de Belzunce qui avait pour origine, "la douloureuse expérience qu'on venait de faire à la Martinique, où les secours étaient trop tardivement arrivés, qu'une place intérieure qui prolongerait la défense pourrait sauver une colonie". Pénétré de cette idée majeure, Belzunce s'attacha à la réaliser en fortifiant notamment Sainte-Rose et le Dondon, convaincu que la partie du Nord était "la plus importante à défendre, celle dont la destinée devait avoir la plus grande influence politique sur celle de la colonie entière", vision terriblement prémonitoire qui ne se vérifia que trop lors des troubles qui menèrent à l'indépendance de la colonie.

Il avait parfaitement compris l'avantage que pourrait présenter "une fortification donnant l'espoir d'une défense prolongée face à un ennemi supérieur en nombre et vainqueur sur mer. Il fallait, pensait-il, qu'entre l'ennemi et cette place une route difficile puisse à chaque instant lui rendre son propre nombre embarrassant et l'expose à voir acquérir, par une poignée d'hommes acclimatés et embusqués (on pense aux compagnies de chasseurs mulâtres créées par Belzunce), l'avantage sur de nombreux bataillons... que tous les transports lui soient pénibles, que toutes ses communications avec ses vaisseaux soient lentes et fatigantes ; qu'en un mot les hasards de la guerre et les maux du climat lui fassent tout redouter".

On ne saurait mieux décrire, quarante ans avant les événements, les principales causes de l'échec de la malheureuse expédition Leclerc. Comment ne pas évoquer, par exemple, le siège de la Crête-à-Pierrot où s'empêtra le corps expéditionnaire à la lecture de ces lignes : "Il faudrait que le génie du chef sût rendre ce réduit tel qu'il faudrait pour le forcer, une attaque régulière et propre à faire perdre beaucoup de temps à l'assiégeant", ou encore au combat de la Ravine à Couleuvres où triompha la tactique générale des troupes indigènes, en lisant ces autres lignes :

"On sent qu'il est bien difficile de se promettre de grands succès dans les plaines par l'impossibilité d'opposer alors une milice, quoique très courageuse, à des troupes familiarisées avec les évolutions militaires; mais d'autres fortifications bien entendues, dans des gorges, dans des ravines, dans d'étroits défilés, le courage du colon (i.e., plus tard de l'Haïtien insurgé) déconcertera le soldat accoutumé à des mouvements réglés d'ensemble."

L'essentiel de la future stratégie du précurseur noir de l’indépendance Toussaint-Louverture et de ses successeurs est dans ces lignes prémonitoires qu'ils n'ont pas pu ne pas connaître, et où ne manque même pas, un peu plus loin, l'évocation du "tableau du ravage et de l'incendie... manière de guerroyer digne des flibustiers" que Christophe, notamment, parmi d'autres généraux haïtiens, appliqua à la lettre, sur les ordres de Toussaint, en incendiant le Cap à l'arrivée de la flotte française de reconquête en 1802.

Le futur amiral comte d'Estaing, successeur de Belzunce à sa mort, fut si frappé de son système en arrivant dans la colonie qu'il n'y voulut rien changer et, au contraire, en poursuivit l'exécution en tous points. Il attribuait à Belzunce "un grand savoir militaire", estimait qu'il "avait saisi, en homme de guerre, l'objet qu'on doit se promettre en défendant une colonie et disait à qui voulait l'entendre qu'une chose établie par M. le Vicomte de Belzunce lui paraissait respectable, et devait l'être aux yeux de tous les militaires, parce que la réputation, les talents et le zèle ont caractérisé la vie et les actions de cet officier-général. Moreau de Saint-Méry ajoute que ces deux hommes à qui l'on ne peut refuser cet hommage ... ont parlé de ce qu'ils savaient bien".

Cette considération était généralement partagée, y compris par tous ceux qui ne manquaient pas de récriminer contre les corvées et les dépenses que ces travaux militaires nouveaux, la militarisation de la maréchaussée ou l'organisation des milices entraînaient, au point que le héros de Belle-Isle lui-même, le chevalier de Sainte-Croix, demanda l'autorisation au roi de retourner en France pour y continuer ses services, "inutiles dans une colonie dont la partie militaire était confiée à M. de Belzunce". On vit même le chef des nègres marrons du Bahoruco, esclaves fugitifs qui vivaient en quasi-indépendance sur les plus hautes montagnes et auquel il fut le premier à s'attaquer, s'affubler du nom de Belzunce tant il lui paraissait glorieux.

On reste confondu, en effet, devant l'ampleur des changements apportés par Belzunce à l'organisation militaire de la colonie dans le si court espace de temps où il y fut présent. Son action au service de la préservation de la colonie mérite de figurer dans les annales à la suite de celles menées par ses compatriotes Ducasse et Charritte.

Pr Jacques de Cauna, docteur d’État

1 MOREAU de SAINT-MERY dans sa Description... de l’Ise Saint-Domingue... évoque à plusieurs reprises longuement l'action décisive de Belzunce pour la défense de la colonie. Voir p. 1451 et 597-600 notamment.

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28 mars 2020 6 28 /03 /mars /2020 10:14
Qui le reconnaîtrait ainsi affublé ? Pourquoi fallait-il imposer à lou nouste Henric de contempler cette mascarade depuis l'autre bout de la Place Royale ? Mais où sont nos vaches béarnaises d'antan ?

Qui le reconnaîtrait ainsi affublé ? Pourquoi fallait-il imposer à lou nouste Henric de contempler cette mascarade depuis l'autre bout de la Place Royale ? Mais où sont nos vaches béarnaises d'antan ?

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23 mars 2020 1 23 /03 /mars /2020 11:45
Jean de LA FONTAINE 1621 - 1695

Jean de LA FONTAINE 1621 - 1695

Les Animaux malades de la peste

Un mal qui répand la terreur,
Mal que le Ciel en sa fureur
Inventa pour punir les crimes de la terre,
La Peste (puisqu'il faut l'appeler par son nom)
Capable d'enrichir en un jour l'Achéron,
Faisait aux animaux la guerre.
Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés :
On n'en voyait point d'occupés
A chercher le soutien d'une mourante vie ;
Nul mets n'excitait leur envie ;
Ni Loups ni Renards n'épiaient
La douce et l'innocente proie.
Les Tourterelles se fuyaient :
Plus d'amour, partant plus de joie.
Le Lion tint conseil, et dit : Mes chers amis,
Je crois que le Ciel a permis
Pour nos péchés cette infortune ;
Que le plus coupable de nous
Se sacrifie aux traits du céleste courroux,
Peut-être il obtiendra la guérison commune.
L'histoire nous apprend qu'en de tels accidents
On fait de pareils dévouements :
Ne nous flattons donc point ; voyons sans indulgence
L'état de notre conscience.
Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons
J'ai dévoré force moutons.
Que m'avaient-ils fait ? Nulle offense :
Même il m'est arrivé quelquefois de manger
Le Berger.
Je me dévouerai donc, s'il le faut ; mais je pense
Qu'il est bon que chacun s'accuse ainsi que moi :
Car on doit souhaiter selon toute justice
Que le plus coupable périsse.
- Sire, dit le Renard, vous êtes trop bon Roi ;
Vos scrupules font voir trop de délicatesse ;
Eh bien, manger moutons, canaille, sotte espèce,
Est-ce un péché ? Non, non. Vous leur fîtes Seigneur
En les croquant beaucoup d'honneur.
Et quant au Berger l'on peut dire
Qu'il était digne de tous maux,
Etant de ces gens-là qui sur les animaux
Se font un chimérique empire.
Ainsi dit le Renard, et flatteurs d'applaudir.
On n'osa trop approfondir
Du Tigre, ni de l'Ours, ni des autres puissances,
Les moins pardonnables offenses.
Tous les gens querelleurs, jusqu'aux simples mâtins,
Au dire de chacun, étaient de petits saints.
L'Ane vint à son tour et dit : J'ai souvenance
Qu'en un pré de Moines passant,
La faim, l'occasion, l'herbe tendre, et je pense
Quelque diable aussi me poussant,
Je tondis de ce pré la largeur de ma langue.
Je n'en avais nul droit, puisqu'il faut parler net.
A ces mots on cria haro sur le baudet.
Un Loup quelque peu clerc prouva par sa harangue
Qu'il fallait dévouer ce maudit animal,
Ce pelé, ce galeux, d'où venait tout leur mal.
Sa peccadille fut jugée un cas pendable.
Manger l'herbe d'autrui ! quel crime abominable !
Rien que la mort n'était capable
D'expier son forfait : on le lui fit bien voir.
Selon que vous serez puissant ou misérable,
Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.

 

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1 mars 2020 7 01 /03 /mars /2020 16:42
Historia n° 878 Février 2020

Historia n° 878 Février 2020

Dire ou ne pas dire : il y a quelque chose de pourri dans le royaume de Bordeaux

En ce début d’année 2020, Historia, revue française grand public de référence, cite ma biographie de Toussaint en compagnie de celles écrites par Aimé Césaire et Pierre Puchon, comme les trois qui font autorité dans la production francophone. Dans le même temps, je reçois des sollicitations du Royaume-Uni, pour l’iconographie d’un ouvrage sur Toussaint Louverture préparé par le Dr Sudhir Hazareesingh, grand historien d'origine mauricienne de l'Université d'Oxford et de l'Académie Bitannique. Puis d'autres, du Canada, par l’intermédiaire du professeur Pierre Boulle, de l’Université Mac Gill, éminent spécialiste des Libres de couleur, pour l’aide aux recherches d’une universitaire américaine sur la famille aquitaine de Julien Raimond dont je viens précisément de rappeler les positions sur l’esclavage dans ce blog, après celles de Laffon de Ladébat. C’est aussi au Canada que ma communication ancienne aux Archives de France sur les Libres de couleur à Bordeaux vient d’être publiée dans une nouvelle revue d’histoire d’Haïti. Un autre collègue, des Etats-Unis cette fois, le professeur Paul Cheney, de l’Université de Chicago, m’envoie son récent et excellent ouvrage sur l’habitation La Ferronnays dans la plaine du Cul-de-Sac et m’annonce sa prochaine venue pour une rencontre à Bordeaux et quelques recherches en archives sur le fonds Gabriel Debien.

Parallèlement, se poursuivent, bien sûr, les recherches, communications à des colloques internationaux, interviewes (au Festival international du film d’histoire de Pessac) et publications sur les Aquitains à Cuba, sans oublier, naturellement, les questions haïtiennes qui restent le fond habituel de mes travaux et pour lesquelles je suis régulièrement sollicité de toutes parts au titre de la chaire d’Haïti à Bordeaux que j’anime… On pourrait dire, en quelques mots, que les sollicitations internationales ne manquent pas, ce qui est plutôt bon signe, et en tout cas, au minimum, très satisfaisant, alors que paradoxalement, se confirme à l’évidence une tendance locale lourde à vouloir m’ignorer – en apparence tout au moins car les récupérations ne manquent pas – lorsqu’il s’agit d’aborder publiquement les sujets de notre mémoire historique transatlantique dans le petit monde politico-médiatique et institutionnel bordelais qui les découvre soudain après les avoir si longtemps ignorées.

Nul n’est prophète en son pays, dit le proverbe. Certes…, mais il arrive un moment où on ne peut plus se taire et accepter ce petit jeu qui finit tout simplement par fausser la donne en matière de connaissance au préjudice de toute une population. Ce qui ne peut nous laisser indifférent lorsqu’il s’agit de nos racines et même – et peut-être surtout – si l’arbre de vie a largement poussé ailleurs. Comme je l’ai fait pour La Rochelle dans un récent ouvrage1, il faudra sans doute que je relate un jour comment ces questions historiques sont traitées chez nous – ou plutôt maltraitées – comme je peux le ressentir à la faveur d’une longue expérience de plus de quarante ans, dont une bonne partie (un quart de siècle) en fonctions de responsabilités sur le « terrain » caraïbe, et notamment en Haïti. Dans un tel contexte de déni, la question de la légitimité du témoignage de l’auteur-acteur des événements n’est pas sans intérêt et ne peut s’éluder derrière un facile recours au « moi haïssable » pascalien.

En attendant, voici un petit rappel des évolutions les plus récentes. Au début du mois de juillet 2005, en pleine effervescence de l’irruption médiatique de la question, Hugues Martin, nouveau maire de Bordeaux en remplacement d’Alain Juppé, judiciairement empêché, m’appelle à mon domicile de la rue Fondaudège pour me demander d’accepter d’être membre, en tant qu’historien professionnel, et de surcroît bordelais de naissance – précise-t-il, du Comité bordelais de réflexion et de propositions sur la traite des Noirs et l’esclavage qu’il entend mettre en place sous la présidence du journaliste, éditeur, écrivain et homme politique corrézien, Denis Tillinac, ancien conseiller pour l’Afrique de Jacques Chirac. J’étais alors moi-même conseiller au comité scientifique des Archives nationales pour la rédaction du Guide des sources de la traite négrière, de l’esclavage et de leurs abolitions, commande de réponse officielle, sous la direction de Mme Martine de Boisdeffre, directrice générale des Archives de France. Et, pour le même type de réaction officielle dans le secteur de la recherche, membre du Conseil scientifique du réseau thématique prioritaire (RTP Esclavages) créé au sein du Centre national de la recherche scientifique et qui deviendra peu après le Centre international de recherche sur les esclavages à l’Ecole des hautes études en sciences sociales.

Le comité bordelais est inauguré officiellement lors d’un déjeuner à l’Hôtel de Ville le 18 juillet 2005. Présenté comme composé d’« experts » et de « personnalités », il ne comprend en fait, outre deux représentants des relations internationales de la Mairie, que quatre membres qualifiés experts : la directrice des Archives municipales, un politologue africaniste rapidement démissionnaire, et deux historiens universitaires – dont un seul spécialiste de l’esclavage, moi-même en l’occurrence – auxquels se trouvent associés, en qualité de personnalités issues de la société civile, une dizaine de responsables associatifs, religieux, économique et politiques dont il est apparu très vite que c’était eux qui faisaient le cœur des préoccupations politiques, au point même qu’on crut bon d’y rajouter le sempiternel opposant auto-proclamé représentant des victimes qui piaffait à la porte en se posant en victime de discrimination.

Je ne reviendrai pas sur le travail que j’ai pu fournir à cette occasion pendant cinq ans et la manière déloyale dont il a été exploité (pour son propre compte) et dénaturé par un collègue sous prétexte d’échanges (à sens unique). Ni sur le pré-rapport que j’avais établi, complètement occulté en fin de course mais dont on pourra trouver la publication intégrale dans mon dernier ouvrage précité sur Fleuriau et la mémoire rochelaise de l’esclavage ainsi que sur ce blog. Ni sur ma démission, la veille de la remise de ce rapport en 2006, qui fut la conséquence de ce traitement anormal, ni sur la mise à l’écart qui s’en suivit, notamment lorsque je fus refoulé du cortège officiel et de la présentation télévisée lors de la visite d’inauguration de mai 2009 en présence de trois ministres, pour laquelle on avait mobilisé et déplacé quelques collègues parisiens parmi les plus médiatisés.

Je préfère me souvenir des éléments positifs, mais n’insisterai pas non plus sur ces aspects marqués d’abord par l’antériorité de mon rôle d’information auprès de la Mairie, la publication très appréciée d’un ouvrage pionnier sur la présence aquitaine aux îles d’Amérique, fruit de longues années de recherches pour la préparation d’un doctorat d’État en Sorbonne2, ma première intervention auprès de M. Juppé pour lui recommander le Musée d’Aquitaine comme lieu de mémoire et d’histoire approprié pour la ville et la région, à l’instar de l’action que j’avais pu mener à La Rochelle auprès de M. Michel Crépeau. Ni sur ma proposition acceptée d’apposition d’une plaque sur la maison du fils de Toussaint Louverture au 44 rue Fondaudège par M. le Maire en présence de l’ambassadeur d’Haïti. Ni sur la qualité d’accueil et de collaboration rencontrée auprès de la direction du Musée d’Aquitaine pour le traitement des objets, textes et documents bien avant la rédaction à trois mains du catalogue de l’exposition permanente...3 J'ai en particulier, été très sensible au fait que soit choisi pour nom de l'une des quatre nouvelles salles, celle consacrée à la vie quotidienne des esclaves sur les plantations antillaises, le titre de mon ouvrage L'Eldorado des Aquitains. On pourra trouver d'autres détails dans les ouvrages précités. 

Une dizaine d'années plus tard, je ne peux que constater malheureusement, et il me faut bien le dire, que les dérives remarquées rapidement dans les premiers temps se poursuivent et s'aggravent. Comment est-il possible que l'on remette tout ce travail en cause en créant une nouvelle Commission de réflexion à laquelle je ne suis même pas invité à participer ? Et surtout, que l'on consacre la journée de la mémoire de l'esclavage du 10 mai à Toussaint Louverture sans même m'inviter à y présenter mon dernier ouvrage consacré au personnage (le troisième, publié chez un éditeur local) et qui fait aujourd'hui référence1 et qu'on préfère faire venir à grands frais un collègue de Paris pour parler de tout autre chose, l'image du Noir dans l'art en l'occurrence ?

Il y a bien quelques chose qui ne tourne pas rond dans les petits cénacles bordelais de la bien-pensance politico-médiatique.

1 Jacques de Cauna, Fleuriau, La Rochelle et l’esclavage. Trente-cinq ans de mémoire et d’histoire, Les Indes Savantes, 2015. Voir aussi : Au temps des isles à sucre, Ed. Karthala, 1987.

2 J. de Cauna, L’Eldorado des Aquitains. Gascons, Basques et Béarnais aux îles d’Amérique, Biarritz, Atlantica, 1998.

3 F. Hubert, Ch. Block et J. de Cauna, Bordeaux au XVIIe siècle, le commerce atlantique et l’esclavage / Bordeaux in the 18th century. Trans-atlantic trading and slavery, Bordeaux, Le Festin, 2009.

4 J. de Cauna, Toussaint Louverture, le Grand Précurseur, Bordeaux, Ed. Sud-Ouest, 2012.

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24 février 2020 1 24 /02 /février /2020 09:38
par le docteur Jacques Battin, président honoraire de l'Académie de Bordeaux, historien de l'art et membre de l'Académie de Médecine

par le docteur Jacques Battin, président honoraire de l'Académie de Bordeaux, historien de l'art et membre de l'Académie de Médecine

Une lecture chaudement recommandée par la Fédération des Académies de Gascogne

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17 février 2020 1 17 /02 /février /2020 15:09
Les plaques "explicatives" présentées à l'hôtel de vile avant installation pour la journée mondiale de l'esclavage. "La majorité municipale, si son mandat est reconduit après les élections, envisage une deuxième phase pour identifier les personnalités impliquées dans le commerce colonial. « Mais cela représente beaucoup plus de personnes si on considère le fonctionnement de la société à l’époque », avertit Marik Fetouh" (20 Minutes, 2 décembre 2019).

Les plaques "explicatives" présentées à l'hôtel de vile avant installation pour la journée mondiale de l'esclavage. "La majorité municipale, si son mandat est reconduit après les élections, envisage une deuxième phase pour identifier les personnalités impliquées dans le commerce colonial. « Mais cela représente beaucoup plus de personnes si on considère le fonctionnement de la société à l’époque », avertit Marik Fetouh" (20 Minutes, 2 décembre 2019).

Bordeaux, le 30 décembre 2019, Pr. Jacques de Cauna, Commandeur de l’Ordre Honneur et Mérite d’Haïti, à M. Nicolas Florian, Maire de Bordeaux

Monsieur le Maire,

La France entière a pu entendre ce dimanche 29 décembre dans le journal du matin de la radio RTL des propos concernant notre ville sur lesquels les Bordelais seraient sans doute heureux de recueillir votre opinion avant les prochaines élections municipales.

« Savez-vous vraiment qui se cache derrière le nom de la rue que vous habitez à Bordeaux ? Vous pourriez avoir des surprises ! Six rues ont été identifiées, elles portent les noms d’anciens négriers, des vendeurs d’esclaves » – annonçait d’emblée la présentatrice.

« Mais plutôt que de les faire tomber dans l’oubli, la municipalité veut assumer son passé sombre en ajoutant bientôt des plaques explicatives... » – poursuivait l’envoyé spécial qui prit alors pour exemple le Cours Journu-Auber « près du Jardin Public », « du nom de Bernard Journu-Auber, un riche négociant de Bordeaux au XVIIIe siècle ».

La plaque en question, qui a été présentée avec d’autres il y a peu à l’Hôtel de ville comme « action-phare  du plan mémoire » municipal, indique que Bernard Journu-Auber, bienfaiteur bien connu de la ville,

« a été impliqué indirectement dans la traite des Noirs puisqu’il était associé dans sa jeunesse au déploiement des activités de négoce familial par le biais de la société Journu Frères. Celle-ci a organisé cinq expéditions de traite négrière entre 1787 et 1792 ».

Doit-on étendre ainsi une éventuelle responsabilité, chronologiquement datée, à tous les membres d’une même famille, et bien sûr, ses actuels représentants ? La tournure alambiquée visant à justifier l’implication comme « associé » de Bernard Journu-Auber dans une société familiale Journu frères principalement gérée par Antoine-Auguste Journu – qui le paya de sa tête, guillotiné en 1794 – ne doit pas faire oublier que Journu-Auber fut, avec Ducos et Laffon de Ladebat, l’un des généreux membres du Club des Amis de la Constitution de Bordeaux, aux idées avancées pour l’époque, qui non seulement approuvèrent le décret de la Constituante du 15 mai 1791 accordant l’égalité des droits civiques aux Libres de couleur des colonies, mais proposèrent de surcroît l’envoi de la Garde nationale de la ville à Saint-Domingue pour le faire respecter en obligeant les colons à l’appliquer. Son cas est donc ainsi tout à fait assimilable à celui du premier Maire élu de Bordeaux à la Révolution et commandant de la Garde nationale, François-Armand de Saige, autre guillotiné de la Terreur, qui s’était lui aussi démarqué des activités négrières de son père par la même attitude philanthropique, anticipant ainsi sur l’évolution morale à venir.

Je voudrais rappeler simplement que le nom de la Rue Saige – avant d’être retiré de la liste à la suite de ma protestation historiquement étayée montrant qu’il ne fallait pas confondre le père négrier et le fils philanthrope (voir le site de la Chaire d’Haïti à Bordeaux) – avait fait l’objet d’une mise à l’index par le sempiternel instigateur de cette campagne de dénonciations calomnieuses qui n’avait pas hésité à l’assimiler publiquement à plusieurs reprises comme criminel à ceux d’Hitler et Goering, sous prétexte d’une loi récente dont on veut croire qu’elle vise d’abord l’inacceptable persistance dans de trop nombreux pays de pratiques esclavagistes contemporaines, à qui l’intéressé et ses supports sont loin de donner la même publicité.

Quant aux autres plaques, disons très vite, entre autres, qu’Etienne Féger-Latour avait déjà abandonné la direction de la maison de commerce familiale lorsque celle-ci sous le nom de Féger Frères se lança dans la traite dans les années 1770 et que la rue Féger honore simplement son intervention pour la création d’un cimetière destiné aux protestants étrangers des Chartrons proscrits par l’église. De même, il est pour le moins étonnant de voir le neveu du corsaire Desse embarqué sans discernement dans cette galère négrière comme associé à son oncle dans le sauvetage de naufragés…

Après le faux buste de Toussaint Louverture, la supercherie de la statue de l’esclave Modeste Testas (en réalité Toinette Lespérance, femme née libre d’un président d’Haïti), et autres billevesées mercantiles d’une boutique mémorielle longtemps soutenue officiellement et subventionnée, faudra-t-il encore supporter longtemps ces atteintes renouvelées à l’histoire de notre ville et de ses habitants ? Ou pourra-t-on espérer qu’un jour enfin il sera tenu compte des travaux et remarques de spécialistes reconnus de la question1 ?

En vous remerciant pour votre attention à ces nécessaires éléments d’information, je vous prie d’agréer, Monsieur le Maire, l’expression de mes sentiments respectueusement dévoués.

J. de Cauna

1 Voir J. de Cauna, Fleuriau, La Rochelle et l'esclavage. Trente-cinq ans de mémoire et d'histoire, 2017.

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8 février 2020 6 08 /02 /février /2020 14:41
Le 14 mai 2011, une plaque commémorative en hommage à Julien Raimond et son père landais a été posée à mon initiative à Buanes, dans le Tursan, avec M. le préfet Philippe Nucho et le maire de Buanes, M. Thierry Biarnès

Le 14 mai 2011, une plaque commémorative en hommage à Julien Raimond et son père landais a été posée à mon initiative à Buanes, dans le Tursan, avec M. le préfet Philippe Nucho et le maire de Buanes, M. Thierry Biarnès

On ne connaît pas d'autre représentation de Julien Raimond que cette caricature (n° 16) où il tient à la main la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen qu'un autre député, représentant des colons blancs, tente de lui arracher. Portant perruque à l'ancienne, Julien Raimond a toute l'apparence d'un Blanc.

On ne connaît pas d'autre représentation de Julien Raimond que cette caricature (n° 16) où il tient à la main la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen qu'un autre député, représentant des colons blancs, tente de lui arracher. Portant perruque à l'ancienne, Julien Raimond a toute l'apparence d'un Blanc.

Ses origines

Créole né à Bainet, petit port du sud d’Haïti, le 16 octobre 1744, Julien Raimond est, selon la catégorisation d’époque, un quarteron libre, ou même plutôt un octavon, d’une nuance de peau très pâle, très proche du blanc, quasiment indiscernable qui, alliée à sa grande fortune en plantations, le fait qualifier souvent sur les actes coloniaux de « sieur » au lieu de l’obligatoire « le nommé… mulâtre » rajouté parfois sur intervention manifeste de blancs voisins jaloux sans doute auprès du curé. Il est ce qu’on appelle encore aujourd’hui sur le modèle espagnol, « un grand Don », membre de cette élite de couleur qui constitue la partie supérieure de la classe intermédiaire En France, il est invisible sous sa perruque de bon ton au sein de la population , d’autant qu’il devient, par mariage avec une riche mulâtresse libre de même qualité, seigneur d’un fief charentais. Deux de ses sœurs épouseront d’ailleurs dans la noblesse de robe bordelaise (Jacques de Lamontaigne) et toulousaine (Antoine-Marcelin Blanc d’Arolles). Homme politique, orateur et essayiste révolutionnaire célèbre pour son engagement dans la lutte pour l’égalité des droits des hommes de couleur dont il fut l’orateur et le chef de file incontesté dans la métropole, il avait été élevé à Toulouse et Bordeaux, avant de devenir tour à tour avocat à Paris et porte-parole des hommes de couleur auprès du Roi, membre de la Société des Amis des Noirs, académicien (membre associé non résidant de l’Institut de France, classe des Sciences morales et politiques, section de Science sociale et Législation, élu le 24 février 1796), Commissaire Civil délégué par le Directoire en mission plénipotentiaire à Saint-Domingue en 1796, député au Conseil des Cinq-Cents (28 octobre 1798), nommé par Bonaparte Agent de la France à Saint-Domingue (25 décembre 1799). Il décéda en fonctions au Cap-Français, âgé de 56 ans, le 17 octobre 1801, après s’être rallié à Toussaint-Louverture, précurseur de l’indépendance d’Haïti, première république noire du monde, dont il signa la première constitution autonomiste1.

Son père, Pierre Raymond, était un Gascon, « natif de la ville de Buan [sic, pour Buanes] en Gascogne » en 1689 selon son acte de décès à Aquin (Haïti) du 19 juin 1772, « fils de Jacques Raymond et de Marie Claire », l’un de ces nombreux Landais courageux qui se sont embarqués comme engagés à l’appel de la Compagnie Royale de Saint-Domingue fondée en 1698 pour coloniser le sud de l’île d’Haïti. Bien qu’illettré, il sut s’élever à la notabilité et à la richesse dans la ville d’Aquin où il devint propriétaire de quatre indigoteries et marguillier de la paroisse. Il avait épousé en 1726 à 37 ans Marie Bégasse, femme de couleur libre (mulâtresse), dont il eut douze enfants, et laissa son nom à un cap, un carrefour et une plage d’Haïti (Raymond-les-Bains)2. Quant à Julien, outre ses grandes propriétés familiales à Saint-Domingue, il deviendra en France par son second mariage avec une riche mulâtresse charentaise possesseur de grands biens fonciers et seigneur de la Poussarderie à Mauzé-sur-le-Mignon (Deux-Sèvres), d'une valeur de 115 000 Livres.

Son action politique

On retiendra seulement de son action politique jusqu’à la Révolution qu’il fut successivement protégé, dès 1783, par le gouverneur général de Saint-Domingue Léonard de Bellecombe et le comte de Jarnac, Charles-Rosalie de Rohan-Chabot avant de rencontrer en France le ministre de la marine et des colonies de Louis XVI, Charles de La Croix, marquis de Castries à qui il remit son rapport pour l’égalité des droits civiques des hommes de couleur en évoquant sans doute auprès de lui la nécessité d’adoucir le sort des esclaves puisque des instructions royales en ce sens furent passées peu après, allant même en 1785 jusqu’à préparer l’abolition en Guyane en ordonnant de commencer à donner l’exemple par la libération des esclaves de la chaîne royale. Il rejoignit en octobre 1789 la Société des Colons Américains (de couleur). Il présenta en 1791 à la Constituante son mémoire intitulé Observations sur l'origine et le progrès du préjugé des colons blancs contre les hommes de couleur qui reprenait son rapport sur l’égalité et aboutit au décret du 15 mars en faveur des hommes de couleur nés de ère et mère libres. Partisan de l’abolition, il se rapprocha de Brissot et de ses amis et les commissaires civils Sonthonax et Polvérel le consultèrent avant leur départ pour Saint-Domingue. Il fut emprisonné en septembre 1793 à la suite de dénonciations auprès du comité de sûreté générale des deux colons esclavagistes Page et Brulley. Revenu à Saint-Domingue avec Sonthonax en mai 1796 en qualité d’agent du gouvernement chargé de réorganiser les plantations après l'abolition de l'esclavage, il ne l’accompagna pas à son retour forcé en France en juin 1800 et resta aux côtés de Toussaint Louverture dont il fut l’un des rédacteurs pour sa constitution autonomiste de 1801, ce qui amena Bonaparte à la placer sur la liste des traîtres à arrêter à l’arrivée de l’expédition Leclerc, mais il mourut avant, ce qui lui évita une arrestation infamante dans le cadre de sa fonction d’agent français.

Il ne manquait pas en effet d’ennemis, au premier desquels le commissaire civil Sonthonax qui le stigmatise comme « incertain et lâche, ne s’occupant que de l’exploitation des sucreries affermées pour son compte », depuis qu’il avait aidé Toussaint à l’expulser en 1797. Celui-ci en fera son régisseur général des domaines. Le colonel Vincent confirme : « faux, souple et lâche, sans patrie ni gouvernement, il a passé sa vie à faire de la musique. Ennemi du travail, il ne fait que rêvasser, surtout après la possibilité de faire fortune et de plaire à l’autorité du moment qu’il craint et qu’il déteste ». Son gendre, le Blanc Pascal, « secrétaire général du gouverneur [Toussaint], son faiseur et son conseil », est son associé en affaires « pour les fermes qu'ils se sont adjugées, il en a l'opinion et la même ingratitude envers la France » : il est, selon l’ordonnateur Périès, l’« un des intrigants les plus dangereux du conseil secret de Toussaint Louverture, le principal rédacteur de sa constitution […] et qui a eu l’impudeur de se constituer propriétaire des deux tiers des habitations du nord de Saint-Domingue » selon Dubroca qui paraît assez bien informé sur lui et pense qu’« il l’abandonnera sans doute afin de conserver le fruit de ses rapines qu’il a eu soin de déposer aux Etats-Unis d’Amérique ». Pascal était en fait un agent double qui finira par convaincre Toussaint, dans une longue lettre de douze pages aux circonvolutions politiques d’une extrême complexité, de se rendre au fatal rendez-vous de son arrestation sur l’habitation Georges.

On a pu aussi reprocher à Julien Raimond, dans un esprit abolitionniste, d’avoir sollicité – et obtenu – auprès du Club Massiac, redoutable organe de défense des grands colons, une audience pour plaider un accord qui aurait instauré une union sacrée des propriétaires pour préserver la traite et l’esclavage en accordant l’égalité des droits civiques aux Libres de couleur. Mais il faut bien resituer cette action dans son contexte temporel qui était celui des tout premiers temps de la Révolution, le 26 août 1789, dans la continuité d’une action pionnière pour l’égalité civique, initiée par lui-même le 15 mars, avant même la réunion des Etats Généraux à laquelle il demandait l’admission d’une représentation de ses congénères, rupture si inouïe pour l’époque qu’il ne reçut aucune réponse. Il est juste de lui donner crédit de cette première avancée et de l’évolution qu’elle entraîna dans les esprits et qui fut aussi la sienne.

L’évolution de ses positions sur l’abolition

Il signe le premier, avec Fleury, Honoré Saint-Albert et Dusoulchay de Saint-Réal, à Paris le 10 juin 1791, la Lettre des commissaires des Citoyens de couleur en France à leurs frères et commettans dans les isles françoises3, qui fait suite au décret du 15 mai, première victoire vers l’égalité politique dans la mesure où « les gens de couleur, nés de père et mère libres, seront admis dans toutes les assemblées coloniales et paroissiales futures, s’ils ont d’ailleurs les qualités requises », c’est-à-dire s’ils sont propriétaires. Il peut leur annoncer fièrement, qu’au terme de leur action, « l’assemblée nationale, par son décret solennel du 15 mai 1791 vient de vous rendre les droits que la tyrannie d’un préjugé vous avait ravis ».

Mais cette restitution implique de grandes obligations dont la première est de contribuer au rétablissement de l’ordre et de la paix. Il faut renoncer à la vengeance personnelle et et se confier à la loi. E respect de ce premier devoir est d’autant plus important que « les amis de la justice et de l’humanité », leurs « défenseurs », les considèrent à juste titre « comme le vrai boulevard des colonies ». Ils auront à le prouver, comme ils l’ont déjà fait avec bravoure en assurant la sécurité au prix de leur sang et en répandant l’instruction par l’exemple de leurs bonnes mœurs, de leur lutte contre le vice répandu dans les villes et de leur activité dans la culture de leurs plantations. Cela passe, avant l’intérêt, par l’humanité envers leurs esclaves :

« Sachez dédaigner les richesses que la vanité arrache, par l’oppression, à la servitude [...] Encouragez-les par de petits intérêts sur vos plantations, comme cela se pratique par plusieurs habitans… [petites cultures, volailles, heures de repos…] Les nègres qui en jouissent sont fort attachés à leurs maîtres […] attendez une honnête aisance de votre industrie progressive et non des larmes et du sang de vos esclaves [...] Et surtout... souvenez-vous que si vous l’avez réclamé avec force en votre faveur, vos esclaves le réclament aussi pour eux ». En quelques mots : Soyez justes et humains avec vos esclaves en les contenant ».

Sans entrer dans de plus larges développements, Julien Raimond et ses amis insistent par exemple sur les encouragements à la population auprès des mères de plusieurs enfants : « Accordez-leur même une liberté entière lorsqu’elles vous auront donné par ce genre de produit infiniment plus qu’un travail qui les eût exténuées », en précisant en note que « ces idées se retrouvent dans un édit du roi donné en 1784 en faveur des esclaves. On y défendait aux maîtres de faire travailler avant et après le jour. Il faut espérer que l’intérêt bien entendu fera ce que l’humanité commande ».

C’est ainsi qu’ils pourront « contribuer à l’avantage de la nation » et la « porter au plus haut point de bonheur, de gloire et de prospérité » en oubliant « tout ressentiment » et en rejetant « toute espèce de cabale et d’esprit de couleur ou de classe », y compris contre les quelques commerçants qui se seraient opposés à leurs droits. C’est de Bordeaux, du premier port pour le grand négoce transatlantique, que vient le bon exemple :

« Voyez avec quelle ardeur patriotique les Bordelois, abjurant les anciens préjugés, ont secondé la révolution qui s’est faite dans les idées ; avec quel zèle ils cherchent à maintenir vos droits. Que leur sainte humanité couvre d’un voile ceux de leurs frères qui vouloient vous condamner à l’ignominie, et ne voyez dans tous que des frères, que des membres de la grande famille des François, qui vous adopte ».

L’essentiel était dit, c’était la voix de la raison, qui ne fut malheureusement pas, pour les colons, entendue. Mais deux ans plus tard, en 1793, Julien Raimond précisait quelques idées, « lues à plusieurs membres de la convention et à plusieurs colons bancs [qui l’] ont tous engagé à les faire imprimer », dans ses Réflexions sur les véritables causes des troubles et des désastres des colonies, notamment sur ceux de Saint-Domingue, avec les moyens à employer pour préserver cette colonie d’une ruine totale adressées à la Convention nationale par Julie Raymond, colon de Saint-Domingue4.

Abolition, éducation, propriété

Il pointe d’abord « la première faute que fit l’assemblée constituante sur l’objet des colonies » qui a été « de consentir à partager avec les assemblées coloniales le pouvoir législatif » en leur permettant de faire des « lois relatives aux hommes esclaves [souligné par nous ; on peut apprécier l’opportunité de ce rappel à l’humanité des esclaves], et d’une partie des libres ». Aucune révolution populaire ne réussit si elle n’avantage « la majorité du peuple ». Or, écouter les seuls colons blancs, c’était à la fois à l’évidence « mécontenter plus de la moitié de la population libre » (les Libres de couleur) et « les neuf dixièmes de la population totale des colonies », les esclaves qu’on aurait du « y intéresser en améliorant considérablement leur sort » et en les rendant « contents de leur nouvel état » pour en faire de « chauds partisans… et les malveillants eussent échoué dans leurs desseins perfides de les soulever ».

Pour Julien Raimond l’explication du soulèvement des ateliers du Nord en 1791 est claire. Il ne fait aucun doute « que les contre-révolutionnaires conseillèrent à ces colons de faire mettre quelques ateliers en insurrection pour prouver à l’assemblée constituante que c’était un effet du décret du 15 mai » en faveur des hommes de couleur. Qu’il fallait donc abroger ce décret pour revenir ensuite par celui du 24 septembre à remettre la décision aux assemblées locales. Une lettre imprimée fut envoyée pour cela à profusion à Saint-Domingue par un député de la colonie. Derrière cette stratégie se profile « le système perfide » des cours de Madrid et de Londres : « Quelque atroce que soit le projet de faire égorger les libres par les esclaves, les tyrans et leurs cours ne le mettront pas moins à exécution ». Le principal bénéficiaire d’un abandon général des Antilles aux esclaves révoltés serait pour finir la Grande-Bretagne, devenue maîtresse incontestée des mers et du commerce.

Mais on peut encore déjouer ce vaste projet du cabinet de Pitt visant à la destruction de nos colonies à laquelle l’Espagne a déjà participé en fournissant des armes aux révoltés « en considérant toute la population des libres et des esclaves comme un tout homogène » qu’il faut « porter à son plus grand bonheur […] En faisant arriver tous les libres à la plus grande latitude de liberté […], vous devez aussi rapprocher les esclaves de l’état de liberté, en sorte qu’ils puissent y arriver sans secousse et par les seuls moyens que la loi leur offrira ». Il faut « par nos sages lois […] rendre nos esclaves infiniment plus heureux qu’ils ne sont ». En somme, selon le mot de Charles Vilette cité en note : « Donnez à vos nègres la liberté et vous couvrez le sol des colonies de combattants ». Ils regarderont ns ennemis comme les leurs.

Ces considérations générales sont appuyées en annexe par un modèle de Proclamation à faire aux esclaves dans les colonies françaises qui s’ouvre sur un vibrant « Hommes abandonnés, » adressé aux esclaves tout en tentant de rassurer les colons : « la nation française doit avant tout s’occuper du soin de faire germer dans vos âmes les vertus nécessaires un nouvel état qu’elle vu destine » tout en conciliant « par de sages lois  ses principes de justice avec les intérêts commerciaux de la métropole et ceux des colons qui ont des propriétés dans les colonies […] « Rentrez donc promptement dans l’ordre, hommes égarés et attendez dans un silence respectueux les lois qui doivent vous régénérer.

Vos âmes, depuis trop longtemps comprimées par l’avilissement et par des châtiments rigoureux, ont dû nécessairement se dégrader et voir s’éteindre ce feu divin qui fait naître et alimente les vertus nécessaires à l’homme et indispensables dans son état de sociabilité.

Déraciner de vos âmes les vices, les remplacer par des vertus : tel sera le premier soin de la loi.

Pour cela, il est nécessaire que vous soyez encore sous la tutelle de ceux qui seront chargés du soin d’améliorer votre sort, car ce ne eut être que par l’habitude constante à pratiquer ce que la loi exigera que vous vous montrerez dignes du bonheur où elle veut vous conduire ».

En d’autres termes : la liberté progressive préparée par l’éducation. Les quatre piliers en seront : « le respect des personnes et des propriétés », « l’amour et l’habitude du travail », « les mœurs ou vertus sociales », les « habitudes de convenance et d’usage ». Les moyens ne seront plus ceux qui avaient cours : devenir mère par un blanc, le rachat au gré du maître, la récompense pour bons services. Ils seront remplacés par une seule modalité d’affranchissement : le rachat au barème légal (prix fixes et dégressifs selon l’âge) sur pécule, heures ou jours de liberté (11h quotidiennes dues au maître, réductions à déduire), récompenses au mérite. Ce « temps d’éducation » sera « comme une espèce de minorité » comportant une « diminution d’esclavage » au mérite et débouchant sur « une liberté active ».

« Oh ! combien vous avez été égarés par ces hommes perfides qui ont placé dans vos mains les torches et les poignards pour rétablir l’ancien ordre de choses à force de crimes ! […] Des perfides vous ont trompés […) vous devez à la générosité de la nation de les lui dénoncer afin qu’une prompte justice mette un terme à leur méchanceté […] Obéissez donc promptement à des lois faites pour votre bonheur, ou le châtiment le plus terrible suivra de près votre refus ».

Une longue conclusion rappelle donc – après être revenue sur les exactions à l’encontre des Libres de couleur, et notamment l’affaire Ogé, et la dénonciation de Page et Brulley et des contre-révolutionnaires du Cub Massiac – qu’il faut considérer les esclaves « comme de grands enfants dont les facultés morales et intellectuelles, loin d’avoir été cultivées ont été au contraire dégradées par l’avilissement de leur état » que « la loi, en les tenant encore dans une espèce de tutelle » doit leur donner le temps de réparer et en leur accordant même au besoin une petite propriété indépendante du caprice de leurs maîtres ».

Au-delà des aspects qui, hors du contexte chronologique d’époque, pourraient aujourd’hui susciter nos réticences sur un plan moral (notamment l’assimilation infantile), cette dernière proposition – qui paraît annoncer un « système Polvérel » amélioré et les distributions de terres effectuées plus tard par le président Pétion – est de nos jours d’une particulière acuité.

 

 1 Pour plus de détails sur sa vie, sa famille, son action dans la colonie, voir Jacques de Cauna, L'Eldorado des Aquitains. Gascons, Basques et Béarnais aux Îles d'Amérique (17e-18e s.), Biarritz, Atlantica, 1998, p. 190-196 et 384-388.

2 Jacques de Cauna, article « Julien Raymond » dans Mario Graneri-Clavé, Le Dictionnaire de Bordeaux, Toulouse, Ed. Loubatières, 2006.

3 La Révolution française et l’abolition de l’esclavage. Textes et documents, Paris, EDHIS, 1968, 12 t., t. XI, n° 3, 7 p.

 4 La Révolution française et l’abolition de l’esclavage. Textes et documents, Paris, EDHIS, 1968, 12 t., t. XI, n° 7, 36 p.

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27 janvier 2020 1 27 /01 /janvier /2020 09:04
Arthez-de-Béarn (64), la Carrère (Grande rue)

Arthez-de-Béarn (64), la Carrère (Grande rue)

Daudinot, un Arthézien aux Amériques

                                                                                                                par Hugues de Lestapis

Avec les Casamajor, Dufourcq et autres Ribeaux, Daudinot est un de ces Béarnais qui ont animé la colonie française déployée dans l’Oriente cubain au début du XIXe siècle, pour y exploiter du café.

André-Pierre Daudinot est issu d’une famille d’Arthez-de-Béarn, longtemps protestante et alliée aux Formalagues. On trouve sa généalogie dans Un coin de Béarn autrefois, d’Arnaud de Lestapis, qui descendait lointainement des Daudinot.

André-Pierre Daudinot est né le 2 mai 1782 à Bayonne, baptisé le 3 mai, fils d’André Daudinot et de Rose Périssé. Son père, André Daudinot, né et baptisé à Arthez-de-Béarn le 6 octobre 1724, est un homme déjà âgé. Il a été, et il demeure, un négociant entreprenant, établi à Madrid dès 1746 comme marchand de gros avant de fonder en 1763 une maison de banque avec un sieur Bouheben. André Daudinot reste en Espagne jusqu’en 1779, et revient en France avec femme et enfants, après avoir confié sa banque à son fils aîné. Il se fixe alors à Bayonne, et fonde une maison de commerce en 1780 avec Étienne Moracin, son futur gendre. La maison Daudinot et Moracin a eu une certaine envergure d’après les travaux de l’historien Michel Zylberberg1. André Daudinot meurt à Bayonne le 21 août 1792. Etienne Moracin poursuit l’affaire, mais fait faillite entre 1797 et 1798.

André-Pierre Daudinot n’a que 10 ans à la mort de son père. Vers 1802, il est signalé à Madrid, probablement en apprentissage dans la banque familiale. Il obtient sa naturalisation espagnole et s’en va vers les Amériques. À quelle date ? Mystère. On lit parfois qu’il se serait arrêté à Saint-Domingue avant de se fixer à Cuba. C’est possible. En 1809, en tout cas, c’est à Philadelphie qu’il rencontre Adrien-Pierre de Lestapis (1780-1852), d’une famille originaire de Mont, non loin d’Arthez. Deux Béarnais, cousins issus de germains qui plus est. Lestapis, futur receveur général des Basses-Pyrénées, a fini une mission au Mexique pour le compte des banques Hope d’Amsterdam et Baring de Londres, dont il est l’agent. Daudinot, en juillet de la même année 1809, est à Santiago de Cuba. Il y a là nombre de réfugiés français de Saint-Domingue, qui feront, comme l’a raconté Jacques de Cauna, la fortune caféière de l’île espagnole2. Daudinot pressent les choses. Il veut investir dans une exploitation, mais il manque de capitaux. Son cousin Lestapis, revenu entretemps en France et établi à Bordeaux, va lui en fournir. En 1812, les deux hommes sont associés dans la Soledad. Daudinot en contrôle la gestion sur place, tout en développant ses propres affaires, et il entraîne son cousin et ses deux frères dans des investissements toujours plus conséquents outre-Atlantique. La maison Lestapis frères, fondée à Bordeaux en 1818, a pu passer un temps comme la banque de la colonie française de Cuba. Elle prête de gros montants à l’émigré le plus célèbre de l’île, Prudent de Casamajor, originaire de Sauveterre, et elle financera les initiatives de Daudinot et bientôt les projets risqués d’Eugène de Ribeaux. Le Béarn réunit tous ces gens-là, auxquels il faut ajouter les Dufourcq. Tous cousins ou cousins de cousins.

Les affaires en propre de Daudinot sont difficiles à discerner. L’historienne Agnès Renault en parle un peu3. Daudinot a été l’un des rares Français (même s’il était naturalisé) à obtenir un poste dans l’administration espagnole de l’île, comme « capitan del partido de Santa Armonia». Casamayor, personnage d’une tout autre importance, a eu le même honneur. Les deux hommes étaient amis, l’un a été l’exécuteur testamentaire de l’autre, et membres de la même loge maçonnique. Ils étaient en outre « beaux-frères », encore que le terme soit mal approprié, car ni l’un ni l’autre n’ont épousé formellement la mère de leurs enfants. Daudinot et Casamayor se sont attachés sentimentalement à deux des sœurs Brun, des quarteronnes issues d’une importante famille de réfugiés de Saint-Domingue.

En 1828, selon un courrier adressé par le consul de France à Philadelphie à l’aîné des Lestapis, Daudinot est à la tête d’une exploitation florissante qui vaut « près de 40 000 dollars ». Mais un an plus tard, Daudinot meurt brutalement à 47 ans. On ne sait ni quand, ni surtout les circonstances.

Les familles Daudinot et Lestapis vont rester proches, et même solidaires. La « veuve Brun » peut récupérer la totalité de la Soledad à des conditions avantageuses. Entre 1823 et 1830, le cadet des Lestapis, Pierre-Sévère, avait accueilli à Bordeaux les quatre fils Daudinot, Prudent, Adrien, Sévère et Hippolyte, nés entre 1812 et 1820. Il avait supervisé leur éducation, leur trouvant collège ou pension particulière. Les deux premiers à Sorèze. On le voit d’ailleurs en relation avec la direction de cet établissement réputé. Il suit attentivement les progrès des jeunes Daudinot, n’hésitant pas à les priver de vacances s’ils ne donnent pas le meilleur d’eux-mêmes.

À l’âge d’homme, Prudent, Adrien et Sévère Daudinot retournent à Cuba gérer des plantations. Familiales ou d’autres, dont une de la famille Casamayor. Au milieu des années 1850, Adrien Daudinot supervise ce qu’il reste des propriétés de café Lestapis autour de Santiago et de Guantanamo. Elles étaient au nombre de six vers 1850. Il en sera le dernier « gérant », quarante ans après son père André-Pierre Daudinot. Entre les deux Daudinot, Gustave puis Joseph Dufourcq, cousin des Casamayor, et Théodore Moracin, un des fils d’Étienne Moracin et de Bernardine Daudinot, sœur d’André-Pierre (les quatre fils Moracin sont eux aussi partis à Cuba !).

Le cas d’Hippolyte Daudinot est singulier. En 1860, il est encore à Santiago, où il a une petite exploitation. Il se fixe ensuite en France, probablement à Bordeaux. Il apparaît comme « dentiste rue du Champ de mars » en 1874, sur l’acte de mariage (le second) de son oncle Théodore Moracin, rentré au pays lui aussi. Hippolyte se suicide le 5 octobre 1894 à Bordeaux. Il était atteint, dit un article, d’une maladie incurable.

La sœur de ces garçons Daudinot, Luce ou Lucie, a épousé au Caney à Cuba en 1852 un… Dufourcq, petit-fils de Justice de Casamajor, sœur de Prudent. Dont postérité.

Il serait étonnant qu’aucun des fils Daudinot restés à Cuba n’ait eu de descendance. Le nom y est encore porté de nos jours, mais rien n’a permis de le relier aux nôtres jusqu’à présent.

1 Comité pour l’histoire économique et financière de la France, Une si douce domination. Les milieux d’affaires français et l’Espagne, vers 1780-1808, 1993.

2 J. de Cauna, Des Pyrénées à la Sierra Maestra : aux origines du modèle caféier cubain, Casamajor et les Béarnais dans l’Oriente, dans actes du 124e congrès du CTHS, Université de Pau et des Pays de l’Adour, Pau, 2017, Des ressources et des hommes en montagne, Paris, Ed. CTHS, 2019 [en ligne].

3 A. Renault, D’une île rebelle à une île fidèle. Les Français de Santiago de Cuba (1791-1825), Mont Saint-Aignan, PURLH, 2012

 

 

 


 

 
 
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17 janvier 2020 5 17 /01 /janvier /2020 15:43
Pastel offert au Musée d'Aquitaine par M. Philippe Laffon de Ladebat

Pastel offert au Musée d'Aquitaine par M. Philippe Laffon de Ladebat

André-Daniel Laffon de Ladebat (1746-1829)

Tout en restant largement méconnu du grand public, André-Daniel Laffon de Ladebat (1746-1829) est en passe de devenir la figure emblématique de l’abolitionnisme bordelais, surtout depuis qu’un très beau pastel le représentant, offert par le représentant actuel de la famille Philippe Laffon de Ladebat, trône en bonne place au Musée d’Aquitaine depuis 2009, dans la salle des Héritages de l’exposition permanente Bordeaux, au XVIIIe siècle, le commerce atlantique et l’esclavage. La ville n’a pourtant jamais songé à l’honorer en donnant son nom à un lieu public. C’est à Pessac qu’il faut se rendre pour trouver une Rue André-Daniel Laffon de Ladebat.

Cette notoriété, il la doit presque uniquement à l’antériorité de son Discours sur la nécessité et les moyens de détruire l'esclavage dans les colonies qu'il lut « à la séance publique de l’Académie royale des sciences, belles lettres et arts de Bordeaux le 25 août 1788 » et qui est devenu un des grands classiques des écrits défendant la cause abolitionniste au point que la Société des Amis des Noirs lui adressera une lettre de compliments en sollicitant l’envoi d’exemplaires pour les diffuser à Londres et en Amérique. Il se présentait alors comme « membre de cette Académie, directeur de celle des arts, correspondant de la société d’agriculture de Paris, etc. » et concédait que le sujet pouvait sembler « singulier pour le fils d’un marchand de nègres ». Son père, le banquier et armateur Jacques-Alexandre Laffon de Ladebat, sieur de Bellevue, était en effet connu comme l’un des premiers armateurs bordelais pour la traite avec quinze navires armés en huit ans entre 1764 et 1772, dont trois pour la seule année 1769.

La famille, originaire du Languedoc et de confession protestante, avait dû s’exiler aux Provinces-Unies, comme bon nombre d’autres, à la suite de la révocation en 1685 de l’Edit de Nantes et des persécutions qui l’accompagnèrent durant le règne de Louis XIV. Revenu à Bordeaux, le grand-père, Daniel, marié à la bordelaise Jeanne Nairac, issue de la première famille pour la traite à Bordeaux, avait crée une affaire de négoce et d'exportation de vin que le père, né en Hollande en 1719, volontaire, intrépide, entreprenant et formé au grand négoce international qui s’appuyait sur les réseaux protestants, rentré en 1744, développa considérablement en commençant en 1755 par le commerce en droiture pour l’approvisionnement en vivres des colonies avant que sa réussite économique dans le négoce transatlantique, confortée par la traite, et son investissement dans la course pendant la guerre de Sept Ans ne lui vaille l’anoblissement royal en 1773. Il porte dès lors D’azur à une fontaine d’argent jaillissante surmontée d’un soleil d’or et accompagnée de deux ancres aussi d’argent, à la devise Soyez utile qui sera particulièrement mise en valeur par son fils aîné.

André-Daniel, le 30 novembre 1746, aîné de sept enfants, associé très jeune aux affaires paternelles, fut envoyé en Hollande puis à Londres, comme cela était coutumier dans ces familles, pour compléter sa formation financière et commerciale. Il y découvrit aussi les idées libérales et donna le plus grand développement aux affaires familiales lorsqu’il s’engagea à son retour à Bordeaux dans les affaires de son père pendant que son frère cadet, Philippe-Auguste, également associé, était envoyé en 1777, selon le schéma classique, aux colonies, en l’occurrence à Saint-Domingue pour y servir de relais à la tête de la maison de commerce du Cap-Français et gérer l’habitation familiale, la sucrerie Ladebat au Camp-de-Louise, à l’Acul-du-Nord, à laquelle viendront s’ajouter une autre sucrerie à Port-Margot et deux caféières à Plaisance et aux Gonaïves d’une valeur de plus d’un million et demi de Livres apportées en dot par son épouse, la créole Thérèse de Sainte-Avoye. Royaliste convaincu, ce frère, dit le chevalier de Ladebat, devint commissaire du Roi et son représentant majeur auprès des colons réfugiés à la Jamaïque après l’évacuation des troupes britanniques d’occupation de Saint-Domingue en 1798 avec lesquelles ils avaient collaboré. Il épousa dans l’île anglaise, où il resta vingt ans, Julie-Adélaïde de Montagnac, émigra à nouveau vers Baltimore et La Nouvelle-Orléans, qualifié d’ancien officier du régiment du Cap et major de la place du Port-au-Prince pour les Anglais, avant de rentrer en France à plus de 70 ans pour finir sa vie dix ans plus tard à Paris en 1840, chevalier de la Légion d’Honneur et du Mérite.

Répugnant à exercer la traite, André-Daniel réorienta les activités de l’entreprise familiale vers le commerce en droiture tout en se consacrant à la mise en valeur des terres agricoles du grand domaine noble de Bellevue de landes de plus d’une centaine d’hectares entre Pessac et Mérignac où il s’installera avec son épouse Julie de Bacalan et qui deviendra une ferme expérimentale dont le moulin de Noès est aujourd’hui l’un des derniers vestiges (c’est là que se situe la rue de Pessac à son nom). Réputé pour ses prises de positions sociales et son engagement abolitionniste, il est déjà membre de l’Académie de Bordeaux lorsqu’il adresse en 1776 une supplique au Roi pour la substitution du servage à l’esclavage en Guyane. Il sera aussi en 1783 membre du Musée de Bordeaux, d’inspiration maçonnique, dès sa création, et en deviendra le secrétaire, y côtoyant Vergniaud, Gensonné, Garat, de Sèze…

C’est la même année qu’il prononce devant l’Académie de Bordeaux son célèbre discours qui deviendra immédiatement un grand classique pris pour référence à la Société des Amis des Noirs. Il y condamne l’esclavage sur le plan moral et en dénonce l’inefficacité économique. Cette idée selon laquelle des hommes libres seraient plus productifs avait largement cours dans les milieux royalistes modérés et les esprits éclairés de l’époque, chez les francs-maçons de hauts grades, les savants et politiques physiocrates et jusque dans la sphère royale puisque le Roi, sans doute conforté dans cette voie par La Fayette et son ministre de la Marine et des Colonies, le duc de Castries, fait adresser à son commissaire ordonnateur en Guyane Daniel Lescallier, le 11 juin 1785, des Instructions secrètes parfaitement claires pour qu’il libère les esclaves de la chaîne royale afin de montrer l’exemple à suivre aux colons, seule voie, pense-t-il, capable de les convaincre et d’assurer sans heurts la réussite de l’entreprise1. La seule question pendante pour cette initiative capitale trop méconnue dont la révolution viendra entraver la réalisation reste de déterminer, si c’est possible, qui a influencé qui, ou s’il s’agit d’une évolution simultanée des uns et des autres allant dans le sens général en vogue des idées nouvelles.

La Société des Amis des Noirs, version française, est fondée le 19 février 1788, un an après le modèle anglais de la Society for Effecting the Abolition of the Slave Trade. Elle demande effectivement la suppression immédiate de la traite mais celle plus progressive de l’esclavage. Le sujet divise et on en redoute les effets sur les négociants. Passé le geste philanthropique sur lequel s’accordent les esprits éclairés, la libération immédiate des esclaves obérerait le négoce et serait mal reçue par le commerce maritime et tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, en vivent, un Français sur huit disait-on. A Bordeaux comme à La Rochelle ou Nantes, sans vraiment contester le principe, on demande des délais, des mesures transitoires permettant d’amortir le choc. Il ne s’agit pas d’interdire la traite des Noirs aux négociants français tout en laissant les planteurs se fournir auprès des étrangers, en un mot de sacrifier les intérêts à l’idéologie : la traite réclame une solution globale. André-Daniel s’en expliquera clairement dans le Journal de [sa] déportation en Guyane :

« Lorsqu’en 1788 j’ai fait imprimer un discours sur la nécessité de s’occuper des moyens de détruire l’esclavage, j’ai dit expressément que si on donnait la liberté tout d’un coup, on ferait une grande injustice, on perdrait les colonies et le Noirs eux-mêmes. Les événements n’ont que trop cruellement justifié mes principes »2.

Sur le plan moral, Ladebat condamne sans ambiguïté la pratique de la traite qu’il n’hésite pas à qualifier de crime, « le plus grand crime public » dont il faut « demander vengeance » aux lois et non aux hommes et dénoncer la cruauté :

« on verra que la masse de la population anéantie par la traite dans l’espace de 30 ans s’élève à 4 800 000 individus, et qu’ainsi ce commerce cruel coûte chaque année à l’Afrique plus de 160 000 de ses habitants »3.

Il rappelle son antériorité dans la démarche (depuis 1776), son enracinement dans la tradition bordelaise (depuis le grand précurseur Montesquieu) et l’intérêt porté par les milieux royaux à la Guyane, avec notamment l’échec de la tentative de La Fayette sur l’habitation La Gabrielle dont il avait libéré les esclaves4 :

« il y a bientôt douze ans [en 1776 donc] que je proposai à l’administration de diriger d’après ce système [progressif] les nouveaux établissements dont on s’occupait pour la Guyane française […] Je désirais que cette colonie servît de modèle pour l’affranchissement successif des esclaves […] J’avais tracé la marche successive de cet affranchissement […], indiqué les dangers d’un affranchissement subit, et, s’il fallait des autorités, je dirais ce que Montesquieu rapporte de l’embarras des Romains pour cette partie de leur police publique, et de l’abus que des affranchis ont osé faire de leurs droits. Il faut, a dit un homme [Montesquieu] dont la plume éloquente a défendu les droits sacrés de la la liberté publique : « il faut, avant toutes choses, rendre dignes de la liberté et capables de la supporter, les serfs qu’on veut affranchir »5.

Autrement dit, le servage ne serait qu’une étape vers la libération progressive et non son aboutissement à terme tel que l’exprime encore Montesquieu : « l’esclave qui cultive doit être [devenir] le colon partiaire du maître », étant entendu que « la servitude de glèbe est odieuse lorsque la loi n’assure pas des moyens successifs pour s’en affranchir »6.

Cette étape – qui correspond à l’apprentissage anglais sans qu’en connaisse cependant la durée, non fixée – aurait l’avantage, estime-t-il, de parer aux deux effets nocifs de l’émancipation précipitée que l’on connaîtra en 1793 par exemple à Saint-Domingue avec la décision brusquée de Sonthonax : la désertion des plantations et le désastre économique subséquent, ainsi que le relâchement moral, souvent déploré :

« L’esclave deviendrait un serf de glèbe, c’est-à-dire qu’il serait attaché à une partie du terrain ou des travaux de l’habitation, et le produit de sa culture serait partagé entre son maître et lui ». Il se rachèterait en payant une somme égale aux trois quarts de sa valeur obtenue après six ou sept ans de travail salarié. « Tout affranchissement qui ne serait pas le prix du travail ou d’une grande vertu serait proscrit. C’est ainsi qu’on formerait cette population avilie à l’amour du travail et au respect des mœurs »7.

Il rappelle qu’il avait déjà exposé ce principe dans son mémoire remis au ministre de la Marine au terme duquel il avait obtenu « par arrêt du Conseil du 29 décembre 1776 » un terrain en Guyane de 250 lieues carrées entre les fleuves Oyack et Approuague pour sa propre expérimentation afin que « tous les esclaves de la Guyane aient un pécule assuré et constant, et qu’il fût loisible aux habitants comme à la Compagnie que je formais, de changer l’esclavage pur et simple en servitude de glèbe »8. Il avait lu ensuite les mémoires présentés en 1779 et 1785 par un autre abolitionniste convaincu, « M. le chevalier de Laborie, lieutenant-colonel d’infanterie, sur les moyens de donner la liberté aux esclaves en Amérique. Les mêmes principes nous ont guidé… mais les moyens sont différents. M. de Laborie parle d’une sucrerie qu’il voulait établir à la Tortue... »9. Ni l’un ni l’autre de ces projets ne virent le jour, contrairement à celui de La Fayette.

Laffon de Ladebat occupe pour finir une position originale sur l’échiquier politique de son temps, curieusement en rupture avec ses principales attaches identitaires sans qu’il les trahisse toutefois. Il est d’abord, mais avec le duc de Duras, autre Aquitain, un noble dissident, royaliste libéral modéré, qui voulut se présenter pour le Tiers et en fut refusé car noble. Il écrit dans son mémorial :

« J’avais à la fois à combattre contre le parti monarchique et ma députation, la plus haineuse, qui comprenait Vergniaud, Guadet et Gensonné et dont l’influence était prouvée ». Il n’est donc pas non plus, malgré son origine bordelaise et ses alliances familiales, membre ou sympathisant du groupe Girondin et, évidemment encore moins des scélérats Jacobins. Il épingle sans la moindre complaisance sa compatriote si bien considérée par l’air du temps et plus tard l’histoire officielle, la célèbre Thérésia Cabarrus encensée à Bordeaux sous le nom de « Notre-Dame de Bon Secours », pour avoir sauvé plusieurs condamnés de la guillotine auprès de son mari, le redoutable Tallien, avant de devenir « Notre-Dame de « Thermidor ». Elle n’est pour lui qu’une salonnière immorale lorsqu’il rappelle le dîner orgiaque « donné par Mme Tallien à sept ou huit femmes de la même espèce » qui finirent nue avec elle et leurs invités. Proche du groupe central des Feuillants, il n’est pas plus tendre pour ce qu’il appelle « la faction d’Orléans [qui] s’est agrégée la faction de la Gironde et la plupart de ceux qui ont joué quelque rôle en scélératesse révolutionnaire ». En politique comme sur la question de l’esclavage il se veut avant tout modéré, au centre.

Cette modération lui vaudra, comme souvent en de telles circonstances, d’avoir à subir l’acharnement des uns et des autres comme en témoigne ses trois arrestations, la première, sur ordre du Comité de sûreté générale le 7 décembre 1792, alors qu’il vient d’assister le 20 juin et le 10 août impuissant à l’invasion des Tuileries par la foule des sans-culottes et au massacre des Suisses dans les jardins, étant l’un des quelques trop rares députés de la Législative, qu’il a présidé, à protéger la famille royale contre les émeutiers. La seconde, le 18 Avril 1794, député de la Convention, sur dénonciation auprès des Terroristes. La troisième enfin, lorsque président du Conseil des Anciens établi par le Directoire, il est appréhendé chez lui au matin du coup d’État du 18 Fructidor an V (4 septembre 1797), emprisonné au Temple, transféré à Rochefort dans une cage de fer, puis déporté à Cayenne à fond de cale pendant un mois avec Marbois, Pichegru, Barthémamy, Ramel, Tronson du Coudray et une d’autres qui y rejoindront les Terroristes ou Billaud-Varenne et Collot d’Herbois et dont bon nombre périrent. Et pour finir exilé pendant deux ans et demi à Sinnamary. Il est alors âgé de cinquante ans, de haute taille (1m75), « maintien de fer, tête élevée, ton haut et impérieux, cheveux gris, sourcils noirs, front découvert, yeux bleus… il avait à quelque choses près la même tournure que Dumouriez mais son œil est plus fin et son physique plus agréable ».

A son retour à cinquante-trois ans à Paris début mars 1800, le Directoire ayant annulé sa proscription et civile et sa condamnation sans jugement, son fils le décrit « vieilli, le front barré de cheveux blancs mais avec toujours la même vigueur dans le regard : c’était le propre de son caractère de se grandir contre les événements et les malheurs de cette vie ». Désabusé par « la monarchie arbitraire, l’anarchie jacobine, la confusion directoriale, le despotisme et le mépris du peuple », il tente de s’éloigner du politique et de la fonction publique, poursuivi par la rancune de Bonaparte qui raye son nom de toutes les listes. Il contribue, dans sa partie financière, à la création de caisses d’épargne et autres actions philanthropiques, œuvre pour la religion réformée, tente de relever les affaires familiales et surtout écrit des ouvrages scientifiques, financiers, géographiques, et surtout son mémorial pour laisser à ses descendants « des indications utiles et des règles de conduite ». Membre actif de la Société de la morale chrétienne, il milite toujours pour l’abolition que Bonaparte a remise en cause en 1802 et est en 1821 avec Auguste de Staël et Charles de Rémusat l’un des fondateurs du Comité pour l’abolition de la traite des Noirs et de l’esclavage.

En préconisant un affranchissement graduel passant par l’éducation et le travail tout en prenant en compte les impératifs économiques, en insistant sur l’idée que « les lois doivent être l’expression de la justice ». Dire que c’est par là qu’il faut commencer plutôt que par la violence révolutionnaire puisque « l’homme le plus juste peut être entraîné lui-même par le vice de la législation », relève d’un profond humanisme. Laffon de Ladebat, tout en s’inscrivant dans une longue tradition de rationalité bordelaise qui passe par le relativisme culturel des Essais de Montaigne et la logique d’équilibre de L’Esprit des Lois de Montesquieu, fait véritablement œuvre en son temps, plus de soixante ans avant l’abolition française de 1848, de grand précurseur méconnu.

1 J. de Cauna, Haïti, l’éternelle révolution, réédition PRHG, 2009, d’après Revue d’Histoire des Colonies, XXXV, 1949, p. 31-32.

2 André-Daniel Laffon de Ladebat, Journal de déportation en Guyane et discours politiques, édité, présenté et annoté par Philippe Laffon de Ladebat, Edilivre, 2009, p.

3 Ibid., p. 344, note.

4 Ibid., p. 281.

5 Ibid., p. 339.

6 Ibid., p. 348, 340.

7 Ibid., p. 340.

8 Ibid., p. 348, note 20.

9 Ibid., p. 349, note 21.

 
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